Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.
Emmanuel Macron en Afrique : « La France a une image de donneuse de leçons et d’arrogance »
Par Steve Jourdin
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Qu’est-ce que le choix de ces trois pays, Cameroun, Bénin, Guinée-Bissau, nous dit des ambitions de la tournée d’Emmanuel Macron ?
Il faut lire ce voyage comme un écho aux derniers développements des relations entre la France et l’Afrique. Au Cameroun, il y a aujourd’hui des pressions en provenance de la Russie afin de conclure des accords d’exclusivité en matière de partenariats économiques. Un nouveau front est en train de s’ouvrir, et Emmanuel Macron veut combler le vide des relations entre la France et le Cameroun.
Le choix du Bénin est plus symbolique. Il s’agit du premier pays à avoir accepté d’engager des discussions sur la restitution d’œuvres d’art (https://www.publicsenat.fr/article/parlementaire/le-senat-propose-un-cadre-juridique-pour-les-restitutions-de-biens-culturels). Le Bénin représente aussi un nouveau front dans la lutte contre le djihadisme, car les attaques se déportent progressivement vers le littoral, et la France observe ces nouveaux mouvements avec inquiétude. La Guinée-Bissau vient quant à elle de prendre la présidence tournante de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest), et l’objectif est d’échanger sur les grands dossiers du moment.
L’Elysée parle d’une volonté de « renouvellement » entre Paris et les capitales africaines. On a l’impression d’entendre ça depuis plusieurs décennies…
Ce sont des phrases toutes faites qui n’ont aucune valeur ! Si on voulait vraiment renouveler les relations entre la France et l’Afrique, on ne choisirait pas le Cameroun et le Bénin pour effectuer un tel voyage, car ce ne sont pas des modèles de démocratie. Il y a aujourd’hui une tendance à l’autoritarisme partout dans le monde, et cette tendance est également présente en Afrique. Elle a certes toujours existé sur le continent, mais la présidence Trump a libéré les énergies. Certains leaders revendiquent un populisme sans vergogne.
Au Cameroun, Paul Biya est au pouvoir depuis quarante ans. Il est le plus vieux chef d’Etat au monde. Ce n’est pas un autoritarisme très nouveau…
L’enjeu du déplacement d’Emmanuel Macron au Cameroun n’est pas de préparer la succession de Paul Biya. Il n’y a pas aujourd’hui de signe immédiat de turbulences au sein du régime. Le Cameroun est l’un des pays qui a le plus de cadres de haut niveau, avec une qualité de capital humain extrêmement élevée. A l’avenir, on trouvera donc facilement des voix et des alternatives après un possible changement de régime. L’objectif d’Emmanuel Macron au Cameroun n’est pas d’anticiper l’après Biya, mais plutôt de replacer la France au centre du jeu géopolitique en Afrique.
Le déplacement du président français s’inscrit dans un contexte de bras de fer avec la Russie sur le continent européen, quelle est la nature du rapport de force en Afrique ?
Un certain nombre de dirigeants russes se sont rendu compte qu’il y avait tout intérêt à multiplier les relations diplomatiques en Afrique pour protéger les bases de l’économie russe. L’idée est de trouver de nouveaux alliés, dans une bataille plus large et plus structurelle qu’est la bataille de la transition énergétique. Ce n’est pas seulement lié à l’Ukraine. C’est un calcul plus global, sur le moyen long terme. La Russie sera la grande perdante de cette bataille si elle ne trouve pas de nouveaux alliés. Or, l’Afrique est le continent qui offre le plus de ressources renouvelables. Elle attire donc les appétits.
Mais la Russie n’a pas les moyens de sa politique ni de ses ambitions en Afrique. Son implantation est encore très précaire. Vis-à-vis de Moscou, les pays africains ont une attitude de non-alignés, c’est un héritage de la guerre froide. Les Africains ne veulent pas prendre position dans le bras de fer entre la Russie et l’Occident. Ils souhaitent rester neutres. Bien sûr, il y a des cas spécifiques comme le Mali et la République centrafricaine, deux pays qui se sont liés à la Russie. Mais il s’agit d’une alliance précaire et temporaire. D’une manière générale, les pays africains veulent simplement avoir des relations avec tout le monde afin de pouvoir peser dans d’éventuelles négociations bilatérales.
On entend beaucoup que l’influence française sur le continent africain n’a jamais été autant remise en cause. Qu’en est-il réellement ?
Nous n’avons pas d’instrument d’évaluation, et il est donc difficile de dire si nous avons passé un cap historique. Mais ce qui est certain, c’est que l’on constate depuis quelques années une dégradation de l’image de la France. La rue africaine considère qu’il y a beaucoup de manipulation côté français. La France a une image de donneuse de leçons et d’arrogance, alors même qu’Emmanuel Macron a promis d’engager des relations nouvelles entre Paris et le continent africain. C’est assez paradoxal.
L’épineux dossier du retrait français du Mali va irriguer les discussions entre Paris et les capitales africaines. Comment ce retrait est-il perçu en Afrique ?
Le dossier malien est un dossier qui montre les faiblesses de la France et de la CEDEAO (Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’ouest). L’échec au Mali ne doit pas seulement être imputé à la France. La CEDEAO manque de consistance, car elle n’a pas vraiment de ligne claire. Elle change de positions en fonction du contexte et de la nature des acteurs. Elle traite les différents coups d’Etat selon le profil des belligérants. Dans le dossier malien, il est très facile d’attribuer tous les torts à la France, mais la CEDEAO doit également être pointée du doigt, car elle a un peu perdu les pédales ces dernières années.
En octobre 2021, lors du sommet de Montpellier qui avait réuni plus de 3 000 représentants des sociétés civiles africaines, Emmanuel Macron avait insisté sur l’importance de la parole de la « jeunesse » et de la diaspora dans les relations entre la France et l’Afrique. Le ton adopté était le bon ?
Il faut se poser trois questions. Qui a choisi les formulations présentées au sommet de Montpellier, qui a choisi les participants à ce sommet et, enfin, qui a décidé que l’échange ne se ferait qu’entre le chef de l’Etat français et les jeunes, et non de manière horizontale entre jeunes Français et jeunes Africains ? La réponse est simple : Emmanuel Macron. C’est toute la limite de cet exercice qui, au final, n’aboutit qu’à une discussion de la France avec elle-même.
Le déplacement du chef de l’Etat français s’inscrit dans un contexte de menace de pénurie alimentaire pour le continent africain. Quel est le niveau d’alerte aujourd’hui ?
Il faut distinguer le court et le long terme. Aujourd’hui, la situation que traverse l’Afrique est dramatique. Et cette situation pourrait durer jusqu’à l’année prochaine. Il y a une très forte dépendance alimentaire, car le continent est tributaire des fertilisants importés de Russie. Il y a aussi une forte dépendance en approvisionnements, car l’Afrique ne contrôle pas ce qu’elle reçoit. En la matière, elle est toujours la dernière à être fournie.
Néanmoins, à long terme, il y a des raisons d’être optimiste. L’Afrique est le continent qui a le plus de terres arables non utilisées, ainsi que le plus fort taux de déperdition de terres agricoles, de l’ordre de 30 %. Par ailleurs, les eaux africaines comptent parmi les eaux les plus poissonneuses du globe. A l’avenir, je suis convaincu que l’Afrique deviendra une puissance alimentaire.