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Emmanuel Macron au salon de l’agriculture : des affrontements « historiques »
Par Stephane Duguet
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Les agriculteurs ont honoré l’ultimatum qu’ils avaient lancé à Emmanuel Macron lorsqu’ils bloquaient les autoroutes au mois de janvier. Sur les barricades de tracteurs et de bottes de foin, ils avaient menacé de perturber la visite du chef de l’Etat au salon de l’agriculture qui s’est ouvert dans la confusion ce samedi 24 février. De 9 heures à 10 h 30 avant que les portes ne s’ouvrent, les esprits se sont échauffés. Les plus téméraires ont tenté d’escalader les grilles avant d’être rattrapés par les policiers de la Brav-M. Un membre de la coordination rurale s’énerve : « C’est le salon de l’agriculture ! Pas celui du président et on est interdit d’y entrer ! C’est honteux », s’emporte Patrick Legras.
Pendant cette longue heure et demie, Emmanuel Macron s’est entretenu avec plusieurs responsables de syndicats agricoles : FNSEA, la Confédération paysanne, les Jeunes Agriculteurs, la Coordination rurale et le Modef, le mouvement de défense des exploitants familiaux. Une réunion à l’issue de laquelle le président de la République s’est exprimé dans un couloir du hall 1 du parc des expositions, loin de l’agitation. A l’étage du dessous, plusieurs centaines d’agriculteurs se sont introduits dans le salon et ont échangé des coups avec les CRS déployés dans les rangées.
Tensions inédites
Lorsque l’on entre dans le salon, une voix annonce sobrement que cette 60e édition s’est ouverte avec du retard et que le hall 1 n’ouvrira « qu’ultérieurement ». « Pour un salon, c’est un démarrage particulier d’avoir le hall 1 vide. C’est historique », observe Edith Macke, éleveuse dans le Nord. Il faudra attendre 14 heures passées avant que les visiteurs puissent accéder à la plus grande salle d’exposition où se mêlent vaches, chèvres, brebis, toutes installées sur un matelas de paille. Juste avant l’ouverture au public de cet espace, des agriculteurs bonnets jaunes vissés sur la tête ont tenté de pousser les CRS et les policiers en civils déployés en nombres et paraissant par moments dépassés.
Malgré les sifflets, les huées et les « Macron démission » scandés par les agriculteurs présents depuis l’aube dans le hall 1, Emmanuel Macron, dont c’est le sixième salon en tant que président de la République, déambule dans les allées à la rencontre des agriculteurs. L’un des éleveurs de la vache égérie, prénommée Oreillette, ne cache pas sa déception. « Le problème, c’est qu’on n’a pas eu beaucoup de temps pour lui parler », regrette François Foucault.
L’ambiance est inédite, à en croire les habitués du salon. Tom Dumesnil est âgé de 19 ans dont 15 à venir avec ses parents éleveurs à la porte de Versailles. Aujourd’hui il garde un œil inquiet sur ses cinq vaches blanches avec des tâches marron. Elles sont à une dizaine de mètres des manifestants et du barrage précaire de CRS. « C’est pas au salon qu’il faut faire ce cirque-là. On ne montre pas une bonne image des agriculteurs », témoigne le jeune homme. Ses bêtes sont nerveuses à cause des policiers et des agents de sécurité qui se pressent autour d’elles. « Il y en a qui ont dû enlever leurs vaches. On ne sait jamais comment ça peut dégénérer », explique celui qui veut reprendre l’exploitation de ses parents.
Policiers à cheval
A l’extérieur, on peut croiser des chevaux qui ne sont pas exposés, mais montés par les policiers. Les CRS courent toujours dans les allées. « D’habitude, on les voit dehors, pas dedans », s’étonne Patrick Solignac, éleveur de bovins. Lui a pu échanger avec Emmanuel Macron : « Je lui ai dit de penser aux éleveurs parce qu’on est un peu les oubliés », raconte-t-il. Un autre éleveur d’Occitanie, observe la déambulation du chef de l’Etat assis sur une botte de foin. « Le président, il a quand même des couilles, se permet-il. Certes, il déambule avec un dispositif de sécurité, mais il le fait », lui reconnaît Nicolas Lassalle. Le responsable FNSEA de l’Aude est en colère des retards de paiement de la politique agricole commune (PAC). « La PAC me doit 180 000 euros depuis octobre », peste-t-il. L’agriculteur vient depuis 25 ans au salon et même s’il comprend la colère de ses homologues, il déplore la rupture de dialogue de ceux qui cherchent à bloquer la visite du chef de l’Etat. Lui-même aimerait que l’on « arrête la mondialisation » et dénonce « les industriels qui font des plus-values » sur ses produits. Lors de ses échanges avec les éleveurs, le président a pourtant rappelé que « Sans Europe, il n’y a pas d’agriculture ».
Avant d’entamer une déambulation chahutée, Emmanuel Macron s’est entretenu avec des agriculteurs dans le hall 1 fermé au public. Il s’est offert le débat annulé la veille après l’invitation polémique de l’organisation écologiste Les Soulèvements de la Terre. Face à lui, des bonnets jaunes siglés Coordination rurale, des casquettes rouges marque des Jeunes agriculteurs et des vertes floquées la FNSEA. Le chef de l’Etat lâche à nouveau du lest en annonçant que l’agriculture sera reconnue comme « un intérêt général majeur », une mesure demandée par Arnaud Rousseau, président de la FNSEA sur Public Sénat, une réflexion sur des « prix planchers pour préserver le revenu agricole » ainsi qu’une trésorerie d’urgence. Une rencontre sera organisée avec les syndicats agricoles dans trois semaines, planifie également Emmanuel Macron.
Malgré ces annonces, la situation ne s’est pas détendue, c’est sous les huées que le président a coupé le ruban inaugural du salon à 13 h 30. « Nos revendications sont toujours les mêmes, des prix pas des primes », lâche Joël Fortin, éleveur retraité depuis trois ans. L’agriculteur membre de la Coordination rurale originaire de la Vendée explique les mouvements de foule et les tensions par « l’accumulation de ce mois d’actions ». « Les prix planchers, c’est bien ça peut aider, mais les annonces ne sont pas encore complètes. On veut une feuille de route précise », demande Edith Mack, éleveuse de bovins dans le Nord. « On ne peut pas changer en quinze jours le cours de ce qu’il se passe depuis 30 ans », relève Nicolas Lassalle de l’Aude.
Inquiétudes persistantes
L’inquiétude des agriculteurs est palpable dans les allées du salon même si la plupart des exposants auraient préféré des actions moins visibles. « On aurait dû distribuer des produits aux visiteurs ! Là, c’est pas une bonne image renvoyée aux gens qui ont fait 300 bornes et qui se retrouvent bloqués », lance un fromager rencontré au coin d’une allée. Mais la colère est profonde. Quentin Arnaldi, un sifflet rouge autour du cou et un tee-shirt marqué « Jeunes agriculteurs » s’inquiète : « Si ça continue, ce ne sera plus le salon de l’agriculture mais un musée parce qu’on sera tous morts ». Malgré tout, il espère reprendre l’exploitation de canard tenue par sa mère dans le Tarn-et-Garonne, dans laquelle il travaille déjà.
Après s’être accordé une pause déjeuner avec les responsables des filières agricoles, Emmanuel Macron a repris sa déambulation dans les allées du hall 4, fermé par les CRS. Contrairement à sa visite du hall 1, celle-ci était beaucoup plus calme. Le président de la République a échangé avec des agriculteurs et des visiteurs, récupéré des lettres de doléances et une bouteille de vin de la part d’un viticulteur de Haute-Garonne. « Qui aurait dit ce matin que douze heures plus tard on serait ici en train de travailler ? On fait, on avance et c’est ce que méritent les agriculteurs français », s’est réjoui Emmanuel Macron lors d’une conférence de presse en fin de journée. Malgré le calme apparent de la deuxième partie de journée, une visite d’un chef de l’Etat au salon de l’agriculture n’aura jamais été aussi tendue.
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