Les violences montent d’un cran en Nouvelle-Calédonie. La nuit dernière les émeutes ont fait trois morts et des centaines de blessés, conduisant le chef de l’Etat a convoqué un Conseil de défense et de sécurité nationale. L’état d’urgence va être décrété sur place dans les prochaines heures, a annoncé le Premier ministre, Gabriel Attal. Une situation qui frôle la guerre civile et qui rappelle les « Evènements » d’il y a 40 ans, dont le point culminant avait été la prise d’otages de la grotte d’Ouvéa. Ils avaient conduit aux accords de Matignon. « Oui, mais en 1988, il y avait la perspective de l’indépendance. Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui après les trois référendums d’autodétermination qui ont vu le non l’emporter », observe Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à Paris 2 Panthéon-Assas.
Le vote des députés, dans les mêmes termes, que les sénateurs du projet loi constitutionnelle visant à élargir le corps électoral pour les élections provinciales en Nouvelle Calédonie, a mis le feu aux poudres. Le texte est rejeté par les indépendantistes, qui voient dans cette réforme, une marginalisation des Kanak, peuple autochtone de Nouvelle-Calédonie, dans la répartition des sièges dans les provinces.
Depuis la révision constitutionnelle de 2007, découlant de l’Accord de Nouméa de 1998, seules les personnes inscrites sur les listes électorales avant la date de l’Accord peuvent voter aux élections provinciales. Le projet de loi constitutionnelle propose donc d’ouvrir le corps électoral à tous les natifs et aux personnes ayant au moins dix ans de résidence en Nouvelle-Calédonie. Un dégel qui ajouterait 25 000 personnes, selon les estimations du gouvernement, au corps électoral. (Lire notre article)
« Le gel du corps électoral avait pour but d’éviter la mise en place d’une colonie de peuplement »
Le gel du corps électoral, qui prive de leur droit fondamental un certain nombre de citoyens, était l’un des points de l’accord de Nouméa qui a instauré un processus de décolonisation progressif dans cet archipel français du Pacifique sud, inscrit depuis 1986 sur la liste des territoires non-autonomes à décoloniser de l’ONU.
« Le gel avait pour but d’éviter la mise en place d’une colonie de peuplement. Il était toléré par la Cour européenne des droits de l’Homme tant que le processus de décolonisation était en cours. Le problème, c’est que les trois référendums ont eu lieu. Nous sommes donc arrivés à échéance de ce processus. Mais la Nouvelle-Calédonie a toujours un statut colonial, avec un droit d’exception, une autonomie législative. La stratégie du gouvernement a été de faire pression sur les acteurs locaux en avançant sur le point le plus problématique d’un accord global sur l’avenir de l’île, le dégel du corps électoral », rappelle Benjamin Morel.
En effet, sans cette révision constitutionnelle, le moindre recours contre les élections provinciales qui doivent intervenir d’ici le 15 décembre, risquerait d’invalider le scrutin. « La persistance du gel du corps électoral dérogeait de manière particulièrement significative au principe d’universalité et d’égalité du suffrage », avait mis en avant Éric Dupond-Moretti, lors des débats au Sénat.
Quelles bases pour un accord politique ?
Dans un souci de désescalade, Emmanuel Macron a demandé au Premier ministre Gabriel Attal et au ministre de l’Intérieur et des Outre-Mer Gérald Darmanin de recevoir les « représentants des forces politiques indépendantistes et non indépendantistes à Paris » « dans les prochaines semaines ». « Dès à présent, ils se tiennent à votre disposition pour organiser votre venue à Paris et pour créer les conditions d’un dialogue qui engage les uns et les autres », souligne le chef de l’Etat dans un courrier.
Néanmoins, Emmanuel Macron a prévenu qu’un Congrès serait réuni à Versailles « avant la fin juin » pour entériner la révision constitutionnelle si indépendantistes et loyalistes ne trouvent pas un accord sur un texte plus global.
Les principaux partis indépendantistes et non-indépendantistes de Nouvelle-Calédonie ont quant à eux appelé mercredi « solennellement l’ensemble de la population » du territoire « au calme et à la raison ». « Malgré la situation insurrectionnelle que nous traversons depuis quarante-huit heures et parce que nous sommes appelés à poursuivre le vivre-ensemble », écrivent dans un communiqué commun l’UC-FLNKS, l’Union nationale pour l’indépendance, Les Loyalistes, le Rassemblement-LR et l’Eveil océanien.
« Est-ce qu’un accord politique est possible ? Les indépendantistes vont devoir accepter le dégel du corps électoral mais en obtenant quelque chose en échange comme la perspective d’un nouveau référendum d’autodétermination puisqu’ils contestent la légitimité du troisième. Les questions de la représentation au sein des provinces et le renforcement de leurs pouvoirs peuvent également être mises dans la balance. L’Etat ne s’est pas suffisamment armé juridiquement pour faire face à l’hypothèse du non au référendum. On se retrouve avec une collectivité à statut colonial qui perdure dans le temps », constate Benjamin Morel.