Rien ne se perd, rien ne se crée, tout se transforme. Les partis composant les différents attelages électoraux pourront-ils se transformer en coalition de gouvernement ? C’est la question qui anime un grand nombre de responsables politiques depuis quelques jours, anticipant une Assemblée nationale plus divisée que jamais au lendemain du 7 juillet. « Il faudra sûrement faire des choses que personne n’a jamais faites auparavant dans ce pays », déclare la secrétaire nationale des Écologistes Marine Tondelier, le 3 juillet, évoquant la possibilité d’une coalition de gouvernement très large.
Chacun y va de sa proposition, soumettant un périmètre plus ou moins large pour la coalition, avant même l’élection des 577 députés. Le 1er juillet, Gabriel Attal envisage l’option d’une « Assemblée plurielle » regroupant plusieurs groupes de droite et de gauche, tandis que le communiste Sébastien Jumel plaide pour une alliance allant « du gaullisme social jusqu’aux communistes en passant par des gens de gauche de bonne volonté ». Néanmoins, le périmètre d’une éventuelle coalition et le programme sur lequel elle pourrait s’appuyer son plus rarement mentionnés.
« Pour qu’une coalition fonctionne, il faut une plateforme gouvernementale, c’est-à-dire un accord de gouvernement »
Assez peu fréquentes sous la Vè République, les coalitions de gouvernement sont un accord entre plusieurs partis afin d’obtenir une majorité absolue à l’Assemblée nationale. « Les coalitions peuvent se former pour répondre à une crise politique, mais généralement, une coalition apparaît au lendemain des législatives pour s’appuyer sur une majorité claire », explique Christophe Bellon, Professeur d’histoire contemporaine à l’Université catholique de Lille et spécialiste de l’histoire parlementaire. Le mode de scrutin majoritaire à deux tours, utilisé pour les législatives, favorise l’émergence d’une majorité absolue et minimise les cas de figures nécessitant un rapprochement entre plusieurs partis. Des alliances entre des partis proches ont pu avoir lieu sous la Vè République, notamment entre le PS et le PCF ou entre le RPR et l’UDF.
« Pour qu’une coalition fonctionne, il faut une plateforme gouvernementale, c’est-à-dire un accord de gouvernement qui permet à la majorité issue de la coalition de le soutenir et de ne pas se disloquer au moindre différend, c’est donc un travail exigeant », analyse Christophe Bellon. « Une fois que l’on s’est accordé sur un programme, il faut se répartir les postes en fonction des rapports de force, s’accorder sur un chef de gouvernement », poursuit l’historien.
S’accorder sur un contrat de gouvernement
Si la Constitution de 1958 privilégie la formation de majorité absolue c’est avant tout pour « éviter la création de majorités artisanales et changeantes qui ont marqué la IIIè et la IVè République », rappelle Christophe Bellon. La formation d’un gouvernement de coalition nécessite donc de réunir des partis capables de s’entendre sur des projets politiques. « Les coalitions ne se font pas entre partis diamétralement opposés, c’est possible entre des partis différents, mais qui ont tout de même des points communs. Pour former une coalition, il faut que le contrat de gouvernement reprenne une partie des programmes de chaque formation politique, plus la coalition gouvernementale est hétéroclite et plus l’accord se fait a minima », souligne Christophe Bellon. Par conséquent, une alliance très large pourrait avoir du mal à gouverner et porter un projet politique clair. « Si c’est une coalition uniquement contre le RN c’est absurde, dans cette configuration, des accords de gouvernement semblent illusoires et Marine Le Pen en profitera en vue de 2027 », juge Virginie Martin, docteure en sciences politiques. Une analyse partagée par Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à l’université Paris-Panthéon-Assas. « Mettez Edouard Philippe, Laurent Wauquiez, Sandrine Rousseau et le Parti Communiste dans un même gouvernement et faites leur voter un budget : ça risque d’être rigolo », affirmait-il sur Public Sénat ce 4 juillet.
Vers une crise de régime ?
« La perspective d’une cohabitation à la forme inédite, violente et imprévisible est probable tout comme l’absence de majorité claire à l’Assemblée qui pourrait déclencher une crise de régime », écrivait, le 20 juin, le politiste Rémi Lefebvre sur le site AOC. Si l’hypothèse d’une cohabitation semble de moins en moins probable, celle d’une majorité introuvable se renforce. Alors que l’article 12 de la Constitution pose un délai d’un an avant de pouvoir procéder à une nouvelle dissolution, les options pourraient, au lendemain du scrutin du 7 juillet, se révéler particulièrement limitées. « On est dans une situation inédite sous la Vè, au point qu’on ne sait pas si on peut former un contrat de gouvernement. Sans majorité, ni coalition, on est dans un système bloqué », prévient Christophe Bellon. Au centre du jeu, les parlementaires devraient donc trouver une solution au risque de porter la responsabilité de l’inertie des institutions. « Un gouvernement de techniciens et de hauts fonctionnaires, neutres qui expédient les affaires courantes est peut-être l’option la plus envisageable », estime Christophe Bellon. En cas de blocage total, une dissolution paraîtrait inévitable et poserait assurément la question du futur des institutions.