Jordan Bardella visite Poste-Frontiere de Menton

Elections européennes : la tentation des seniors pour le vote RN, symbole de « l’épanouissement du processus de normalisation » du parti, selon Pascal Perrineau

Alors que la liste menée par Jordan Bardella (31.5%) devance de plus de 14 points la liste Renaissance, menée par Valérie Hayer (17%), selon le dernier sondage IFOP-Fiducial pour LCI, le Figaro et Sud-Radio, le parti de Marine Le Pen, mise désormais sur l’électorat âgé, traditionnellement très mobilisé pour les élections intermédiaires. Désormais deuxième force politique chez les plus de 65 ans (le RN conquiert 24% de cet électorat, 7 points de moins que Renaissance), la stratégie semble porter ses fruits. Décryptage avec le politologue Pascal Perrineau, professeur émérite à Sciences Po Paris et récent auteur de l’ouvrage Le Goût de la politique : Un observateur passionné de la Ve République, aux éditions Odile Jacob.
Alexis Graillot

Temps de lecture :

5 min

Publié le

Mis à jour le

Ce sont les électeurs les plus nombreux, mais aussi ceux qui se mobilisent le plus. Alors qu’ils s’étaient déplacés pour deux tiers d’entre eux lors des dernières élections européennes, soit 15 points de plus que la moyenne nationale, les plus de 65 ans constituent un électorat scruté de près par l’ensemble des forces politiques. « Lors d’une élection où la participation est faible, comme c’est le cas des européennes, les seniors peuvent en effet représenter de 40 à 45 % du nombre total de votants », analysait ce dimanche, le politologue Jérôme Fourquet, dans La Tribune du Dimanche, y voyant « un dernier verrou qui saute ».

Même constat pour Pascal Perrineau, professeur émérite à Sciences Po Paris, pour qui ce vote n’est que la concrétisation de « l’épanouissement du processus de normalisation que connaît le RN ». Entretien.

De manière générale, comment expliquez-vous la montée en puissance du vote RN chez les plus âgés ?

Chez l’électorat plus âgé, comme dans bien d’autres milieux, ce vote résulte de l’épanouissement du processus de normalisation que connaît le Rassemblement National. Ce parti, de tradition protestataire est en train de s’institutionnaliser, devenant presque un parti comme les autres. De nombreuses personnes âgées, même lorsqu’elles étaient proches des positions défendues par le parti sur la souveraineté et la sécurité, estimaient qu’il n’était pas fréquentable, et s’interdisaient de voter en sa faveur. Désormais, ce même public peut rallier le RN alors qu’il se tournait auparavant vers les partis institutionnels traditionnels comme Les Républicains ou Renaissance. Cela se situe également dans un contexte d’inquiétude généralisé, là où même lorsqu’ils ne sont pas inquiets pour eux, les personnes âgées sont préoccupées par la crise économique, l’inflation, ou encore les rumeurs de guerre. En tant que parents et grands-parents, ils se font des soucis pour leurs enfants et petits-enfants, les conduisant vers le vote RN.

D’autant plus, que comme vous l’indiquez, la droite traditionnelle peine désormais à convaincre l’électorat plus âgé…

En effet, cet électorat avait l’habitude de voter en faveur des Républicains, car ils restaient un grand parti de pouvoir local. Néanmoins, ils n’ont pas réussi à envoyer le signal d’un parti qui repartait du bon pied, tiraillé par de nombreuses querelles internes. Les plus de 65 ans constituent également un électorat très sensible aux personnalités, et en la matière, personne aux Républicains n’a su s’imposer, pas même le président du parti, Éric Ciotti. Les électeurs de droite traditionnelle sont donc aujourd’hui en recherche d’incarnation, que d’une certaine manière, le phénomène Jordan Bardella atteste, ce dernier étant le symbole du renouvellement générationnel du parti, et bénéficie de cette image de gendre idéal, qui contribue à attirer ces électeurs.

Face à un électorat sensible aux personnalités, l’entrée en campagne d’Emmanuel Macron et de Gabriel Attal est-elle de nature à changer le cours de cette dynamique et de donner un second souffle à Valérie Hayer, en déficit de reconnaissance ?

En réalité assez peu, car l’électorat de Renaissance est très différent de celui du Rassemblement National. La sociologie des électeurs de Valérie Hayer est dans sa large majorité, très ouverte sur le monde et sur l’Europe, et résiste bien à la mondialisation, d’un point de vue économique, mais aussi culturel. Quant à la sociologie de l’électorat du Rassemblement National, il est plutôt très attaché à la notion de souveraineté nationale, et montre un fort scepticisme par rapport à l’UE.

Le fait que des figures de la société civile comme Fabrice Leggeri, ex-patron de Frontex, ou encore l’essayiste Malika Sorel, aient rejoint la liste de Jordan Bardella, est-il de nature à rassurer un électorat plus âgé ?

C’est évident, mais ne nous y trompons pas, ces ralliements ne constituent qu’un des nombreux signaux de la dédiabolisation du parti. En revanche, il est clair qu’ils envoient un signal fort en termes de respectabilité et d’institutionnalisation du parti, puisque ces figures n’ayant jamais été encartées au RN, y viennent de leur plein gré, sur la base d’une expertise réelle et supposée.

Marine Le Pen était en visite à Mayotte ce week-end, en proie à des problématiques migratoires majeures. L’électorat ultramarin constitue-t-il une base électorale sur laquelle le RN peut s’appuyer ces prochaines années ?

Sans aucun doute. Cet électorat est souvent tenté par l’abstention (NDLR : 53% au deuxième tour de la dernière élection présidentielle, 25 points de plus que la moyenne nationale), mais son implantation au sein des territoires ultramarins n’est pas nouvelle, en attestent les très bons scores de Marine Le Pen aux dernières élections présidentielles (jusqu’à presque 70% en Guadeloupe). Ces départements constituent une France des terres qui souffrent de la crise économique et de flux migratoires extrêmement mal contrôlés. Cela constitue à l’évidence, un terrain extrêmement favorable au Rassemblement National, qui en faisant voyager Marine Le Pen à Mayotte envoie un signal à tous ces territoires, afin que ces derniers ne les oublient pas le moment de l’élection venu.

Dans la même thématique

Elections européennes : la tentation des seniors pour le vote RN, symbole de « l’épanouissement du processus de normalisation » du parti, selon Pascal Perrineau
3min

Politique

Retraites : « Il y a de la démagogie chez ceux qui expliquent que l’on peut aussi revenir sur la réforme Touraine », alerte Bernard Jomier

Alors que les députés PS soutiennent l’abrogation de la réforme des retraites portée par La France insoumise, qui efface également le mécanisme mis en place par l’ancienne ministre de la Santé Marisol Touraine sous François Hollande, le sénateur Bernard Jomier (Place publique), appelle les parlementaires de gauche à ne pas aller trop loin face aux enjeux démographiques.

Le

Paris: Weekly session of questions to the government at the french senate
6min

Politique

Budget : les sénateurs écologistes accusent la majorité du Sénat de « lâcher les collectivités »

Alors que la majorité sénatoriale veut réduire l’effort demandé aux collectivités de 5 à 2 milliards d’euros dans le budget, c’est encore trop, aux yeux du groupe écologiste du Sénat. « Il y a un changement de pied de la majorité sénatoriale », pointe le sénateur Thomas Dossus. Avec le groupe PS et communiste, ils vont présenter onze amendements identiques « pour faire front commun ».

Le

Elections européennes : la tentation des seniors pour le vote RN, symbole de « l’épanouissement du processus de normalisation » du parti, selon Pascal Perrineau
2min

Politique

Retrait de la plainte de Noël Le Graët : « une décision sage et prudente » réagit Amelie Oudéa-Castera

A quelques jours de l’audience qui devait avoir devant la cour de justice de le République, Noël Le Graët, par la voix de son avocat a annoncé retirer sa plainte pour diffamation contre l’ancienne ministre des Sports. Invitée dans l’émission Sport etc, Amélie Oudéa-Castéra réagit en exclusivité à cette annonce au micro d’Anne-Laure Bonnet.

Le

G7 summit in Borgo Egnazia
6min

Politique

Nomination des commissaires européens : « On constate qu’Ursula von der Leyen ne peut pas se passer du soutien de Giorgia Meloni », note un spécialiste des partis européens 

La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.

Le

La sélection de la rédaction

Elections européennes : la tentation des seniors pour le vote RN, symbole de « l’épanouissement du processus de normalisation » du parti, selon Pascal Perrineau
8min

Politique

Pascal Perrineau : « Quand la France va mal, les forces de protestation nationalistes et populistes vont bien »

Face à la gestion de la crise du Covid-19, les partis populistes passent à l’offensive. Marine Le Pen accuse le gouvernement de mentir sur « absolument tout ». Jean-Luc Mélenchon s’en prend directement à Emmanuel Macron. Alors comment analyser ce discours des partis populistes ? Entretien avec Pascal Perrineau, politologue et ancien directeur du centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF).

Le

Elections européennes : la tentation des seniors pour le vote RN, symbole de « l’épanouissement du processus de normalisation » du parti, selon Pascal Perrineau
2min

Politique

Pascal Perrineau « Il y a dans le refus de débattre de Macron, un signe troublant d’immaturité démocratique »

« Et Maintenant 2022 ! » décrypte pas à pas la campagne pour l’élection présidentielle. Cette semaine, Steve Jourdin et ses invités, Valérie Lecasble, Alexandre Devecchio, Pascal Perrineau et Denis Olivennes reviennent sur les personnalités du « Rassemblement national » qui rejoignent Éric Zemmour, la primaire populaire, le thème des droits de succession qui surgit dans la campagne… mais aussi sur la candidature d’Emmanuel Macron que se fait attendre.

Le