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Elections européennes : la tentation des seniors pour le vote RN, symbole de « l’épanouissement du processus de normalisation » du parti, selon Pascal Perrineau
Par Alexis Graillot
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Ce sont les électeurs les plus nombreux, mais aussi ceux qui se mobilisent le plus. Alors qu’ils s’étaient déplacés pour deux tiers d’entre eux lors des dernières élections européennes, soit 15 points de plus que la moyenne nationale, les plus de 65 ans constituent un électorat scruté de près par l’ensemble des forces politiques. « Lors d’une élection où la participation est faible, comme c’est le cas des européennes, les seniors peuvent en effet représenter de 40 à 45 % du nombre total de votants », analysait ce dimanche, le politologue Jérôme Fourquet, dans La Tribune du Dimanche, y voyant « un dernier verrou qui saute ».
Même constat pour Pascal Perrineau, professeur émérite à Sciences Po Paris, pour qui ce vote n’est que la concrétisation de « l’épanouissement du processus de normalisation que connaît le RN ». Entretien.
De manière générale, comment expliquez-vous la montée en puissance du vote RN chez les plus âgés ?
Chez l’électorat plus âgé, comme dans bien d’autres milieux, ce vote résulte de l’épanouissement du processus de normalisation que connaît le Rassemblement National. Ce parti, de tradition protestataire est en train de s’institutionnaliser, devenant presque un parti comme les autres. De nombreuses personnes âgées, même lorsqu’elles étaient proches des positions défendues par le parti sur la souveraineté et la sécurité, estimaient qu’il n’était pas fréquentable, et s’interdisaient de voter en sa faveur. Désormais, ce même public peut rallier le RN alors qu’il se tournait auparavant vers les partis institutionnels traditionnels comme Les Républicains ou Renaissance. Cela se situe également dans un contexte d’inquiétude généralisé, là où même lorsqu’ils ne sont pas inquiets pour eux, les personnes âgées sont préoccupées par la crise économique, l’inflation, ou encore les rumeurs de guerre. En tant que parents et grands-parents, ils se font des soucis pour leurs enfants et petits-enfants, les conduisant vers le vote RN.
D’autant plus, que comme vous l’indiquez, la droite traditionnelle peine désormais à convaincre l’électorat plus âgé…
En effet, cet électorat avait l’habitude de voter en faveur des Républicains, car ils restaient un grand parti de pouvoir local. Néanmoins, ils n’ont pas réussi à envoyer le signal d’un parti qui repartait du bon pied, tiraillé par de nombreuses querelles internes. Les plus de 65 ans constituent également un électorat très sensible aux personnalités, et en la matière, personne aux Républicains n’a su s’imposer, pas même le président du parti, Éric Ciotti. Les électeurs de droite traditionnelle sont donc aujourd’hui en recherche d’incarnation, que d’une certaine manière, le phénomène Jordan Bardella atteste, ce dernier étant le symbole du renouvellement générationnel du parti, et bénéficie de cette image de gendre idéal, qui contribue à attirer ces électeurs.
Face à un électorat sensible aux personnalités, l’entrée en campagne d’Emmanuel Macron et de Gabriel Attal est-elle de nature à changer le cours de cette dynamique et de donner un second souffle à Valérie Hayer, en déficit de reconnaissance ?
En réalité assez peu, car l’électorat de Renaissance est très différent de celui du Rassemblement National. La sociologie des électeurs de Valérie Hayer est dans sa large majorité, très ouverte sur le monde et sur l’Europe, et résiste bien à la mondialisation, d’un point de vue économique, mais aussi culturel. Quant à la sociologie de l’électorat du Rassemblement National, il est plutôt très attaché à la notion de souveraineté nationale, et montre un fort scepticisme par rapport à l’UE.
Le fait que des figures de la société civile comme Fabrice Leggeri, ex-patron de Frontex, ou encore l’essayiste Malika Sorel, aient rejoint la liste de Jordan Bardella, est-il de nature à rassurer un électorat plus âgé ?
C’est évident, mais ne nous y trompons pas, ces ralliements ne constituent qu’un des nombreux signaux de la dédiabolisation du parti. En revanche, il est clair qu’ils envoient un signal fort en termes de respectabilité et d’institutionnalisation du parti, puisque ces figures n’ayant jamais été encartées au RN, y viennent de leur plein gré, sur la base d’une expertise réelle et supposée.
Marine Le Pen était en visite à Mayotte ce week-end, en proie à des problématiques migratoires majeures. L’électorat ultramarin constitue-t-il une base électorale sur laquelle le RN peut s’appuyer ces prochaines années ?
Sans aucun doute. Cet électorat est souvent tenté par l’abstention (NDLR : 53% au deuxième tour de la dernière élection présidentielle, 25 points de plus que la moyenne nationale), mais son implantation au sein des territoires ultramarins n’est pas nouvelle, en attestent les très bons scores de Marine Le Pen aux dernières élections présidentielles (jusqu’à presque 70% en Guadeloupe). Ces départements constituent une France des terres qui souffrent de la crise économique et de flux migratoires extrêmement mal contrôlés. Cela constitue à l’évidence, un terrain extrêmement favorable au Rassemblement National, qui en faisant voyager Marine Le Pen à Mayotte envoie un signal à tous ces territoires, afin que ces derniers ne les oublient pas le moment de l’élection venu.
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