Jeudi 7 mars, lors du congrès du Parti populaire européen (PPE) à Bucarest, Ursula von der Leyen devenait officiellement la candidate de la droite européenne au poste de présidente de la Commission. Un début de campagne en demi-teinte : seule prétendante au poste, l’ancienne ministre allemande avait recueilli 400 voix sur les 801 délégués du PPE pouvant participer au vote.
« Ursula von der Leyen est toujours présentée comme la candidate logique, mais elle fait aujourd’hui face à une accumulation de griefs. Elle défend un bilan dénoncé notamment à l’extrême droite avec le Green Deal, elle est aussi critiquée en interne pour sa conception assez verticale du pouvoir », énumère Francisco Roa Bastos, maître de conférences en science politique et spécialiste des partis européens.
Un processus de nomination en trois étapes
Entre les résultats des élections européennes attendus le 9 juin et la première session plénière du Parlement du 16 au 19 juillet, le chemin vers la reconduction d’Ursula von der Leyen s’annonce encore semé d’embûches. Le PPE doit d’abord rester la première force politique à Strasbourg à l’issu du scrutin. Depuis le traité de Lisbonne, le président de la Commission européenne doit en effet être nommé « en tenant compte du résultat des élections au Parlement européen ». Une première étape qui semble acquise : selon une projection réalisée mi-mai par EuropeElects pour le média Contexte, la droite européenne pourrait obtenir 181 sièges.
Charge ensuite au Conseil européen, qui réunit les 27 chefs d’État de l’Union européenne, de nommer un candidat. Une nomination qui devrait intervenir à l’occasion d’une réunion du Conseil les 27 et 28 juin. Ursula von der Leyen devrait alors logiquement s’imposer, estime Guillaume Klossa, président du think tank EuropaNova et co-auteur du rapport Europe 2040 : Demain se joue dès aujourd’hui. « En plus d’avoir la légitimité d’être la candidate officielle de son camp politique, Ursula von der Leyen a de bonnes relations avec la plupart des chefs d’État et de gouvernement. Elle a largement rempli le programme qu’elle devait mettre en œuvre lors de sa nomination en 2019 et elle a géré des crises existentielles pour l’Union européenne, au moment du Covid-19 et avec la guerre en Ukraine », observe-t-il.
Si cette nomination semble acquise, la candidature d’Ursula von der Leyen devra encore franchir une ultime étape : la confirmation par un vote de la majorité des eurodéputés. Les parlementaires doivent en théorie se prononcer à l’occasion de la session plénière de rentrée, les 16 et 19 septembre, mais si le Conseil désigne son candidat plus tôt, ils pourraient procéder à un vote dès la session du 16 au 19 juillet.
« Ursula von der Leyen joue un jeu d’équilibriste »
En 2019, Ursula von der Leyen avait été élue avec une courte majorité de 51,3 % des voix. Aujourd’hui, sa position est toujours aussi fragile, car l’actuelle présidente de la Commission divise jusque dans son camp. En France, Les Républicains ont assuré à plusieurs reprises qu’ils ne la soutiendraient pas. Pour tenter d’assurer sa place, Ursula von der Leyen devra donc opérer « un grand travail de coalition », explique Guillaume Klossa : « Tout va se jouer au moment de la définition d’un programme de coalition. C’est généralement un texte assez consensuel, puisqu’il prend aussi en compte les équilibres politiques issus de l’élection du Parlement ».
Si l’ancienne ministre allemande n’a pas encore été officiellement nommée par le Conseil, les tractations pour former des alliances en vue du vote au Parlement ont déjà bel et bien commencé. Le 29 avril, à l’occasion d’un débat avec les prétendants des autres groupes politiques à la présidence de la Commission, Ursula von der Leyen a laissé entendre à plusieurs reprises qu’elle n’écartait pas une coalition avec le parti conservateur et réformiste (ECR). Depuis, elle multiplie les gestes en direction de Giorgia Meloni, dont le parti Fratelli d’Italia constitue la majorité des eurodéputés du groupe ECR. Une stratégie d’alliance avec l’extrême droite particulièrement risquée, relève Francisco Roa Bastos : « Ursula von der Leyen joue un jeu d’équilibriste. Elle essaye de tendre la main à ECR, sans pour autant renoncer à son bilan environnemental ».
L’opération séduction pourrait d’ailleurs s’avérer contreproductive. Sans s’assurer pour le moment le soutien de Meloni, également courtisée par l’autre groupe d’extrême droite du Parlement européen, Ursula von der Leyen s’est déjà attiré les foudres des socialistes et des libéraux. Au début du mois de mai, les deux groupes politiques – qui forment la coalition sur laquelle la présidente de la Commission s’appuie aujourd’hui au Parlement – ont signé une déclaration avec les Verts dans laquelle ils refusent toute alliance avec l’extrême droite.
Mario Draghi, Roberta Metsola, Andrej Plenković : qui pour remplacer la présidente de la Commission ?
Sans majorité clairement favorable à Ursula von der Leyen au Parlement, le Conseil européen pourrait-il choisir de nommer un autre candidat ? Si elle reste favorite, d’autres noms circulent en effet pour présider la Commission, à commencer par celui de Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne. Une candidature qui pourrait avoir les faveurs d’Emmanuel Macron. Dans un entretien à Politico, l’eurodéputé Pascal Canfin, qui figure en quatrième position sur la liste de la majorité présidentielle, affirmait que « la France et tout l’écosystème présidentiel aimeraient que Mario Draghi joue un rôle ».
« Si le Conseil nomme quelqu’un comme Mario Draghi, qui ne fait pas partie du PPE, alors il s’affranchit du processus défini par le traité de Lisbonne », observe Francisco Roa Bastos, jugeant donc sa nomination peu probable. Les noms de Roberta Metsola, actuelle présidente du Parlement européen, ou encore du Premier ministre croate Andrej Plenković, déjà candidat en 2019, circulent également pour faire de l’ombre à la candidate von der Leyen. Les Européens ne sont en tout cas pas à l’abri d’une surprise de dernière minute. En 2019, l’eurodéputé allemand Manfred Weber était le grand favori, désigné par le PPE pour prendre la tête de la Commission. Sans respecter le choix de la droite européenne, le Conseil avait finalement préféré Ursula von der Leyen.