Identity and Democracy Party Meeting

Elections européennes 2024 : vers une poussée de l’extrême-droite en ordre dispersé ?

Si l’on s’attend à une poussée de l’extrême droite lors des élections européennes du 9 juin, difficile de prévoir son influence à venir. Aujourd’hui divisée en deux groupes, l’un fréquentable, l’autre très isolé, une partie de la droite radicale européenne pourrait toutefois trouver des terrains d’entente avec le PPE.
Tâm Tran Huy

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Au Parlement européen, l’extrême droite est divisée. D’un côté, le groupe des Conservateurs et Réformistes, très à droite mais pas infréquentables. De l’autre, ID, Identité et Démocratie, auquel appartient le RN et qui est séparé du reste de l’hémicycle par une barrière étanche. Une politique de « cordon sanitaire » a été mise en place. Cette répartition pourra-t-elle tenir en cas de poussée de la droite radicale le 9 juin ? Et la politique européenne s’en trouvera-t-elle bouleversée ?

 

Pourquoi deux groupes d’extrême droite au Parlement européen ?

 

Depuis 2019, les députés européens d’extrême droite se partagent entre deux groupes politiques. D’une part, ECR, le Groupe des Conservateurs et Réformistes, né en 2009 à la suite de la scission des conservateurs britanniques du PPE, qui compte 68 parlementaires et qui est dominé numériquement par le Parti Fratelli d’Italia de Giorgia Meloni. Il compte aussi parmi ses membres le parti polonais PiS ou encore ceux de l’Alliance néo-flamande belge. Côté français, l’unique élu Reconquête, Nicolas Bay, siège également dans ce groupe. Parmi les marqueurs d’ECR, le fort conservatisme et l’attachement à la religion chrétienne. Pour Francisco Roa Bastos, chercheur spécialisé sur l’Europe à l’université Paris I-Panthéon Sorbonne, ces partis ont aussi pour point commun « d’avoir le vent en poupe d’un point de vue électoral, car il y a des partis de gouvernement. » Il souligne aussi le positionnement « très fortement marqué par l’atlantisme, le côté anti-poutine et pro-ukrainien ».

A l’inverse, le groupe ID, Identité et Démocratie, qui compte aujourd’hui une soixantaine de membres, a des positions « beaucoup plus anti-américaines et dans la guerre en Ukraine, restent sur un chemin de crête, dans des positions d’ailleurs difficiles à tenir », explique Francisco Roa Bastos. De nombreux pro-Russes par le passé ne peuvent plus tenir une position ouvertement favorable au Kremlin mais ne renient pas entièrement les proximités d’hier. C’est d’ailleurs aujourd’hui l’un des angles d’attaque en France de la majorité présidentielle à l’égard de Marine Le Pen, accusée par Gabriel Attal d’être la cheffe des « troupes de Poutine ». Dans ce groupe parlementaire, on trouve en effet le RN français, la Lega de Matteo Salvini ou encore l’AfD, des partis qui affirment plus volontiers leur côté « anti-migrant et xénophobe » souligne le Francisco Roa Bastos.

 

Un groupe fréquentable et un cordon sanitaire

 

ECR et ID ont beau se situer du même côté de l’échiquier politique, leur statut est très différent au sein du Parlement européen. Discuter avec ECR est tout à fait possible pour la droite traditionnelle du PPE. En revanche, une politique de cordon sanitaire a été mise en place à l’égard d’ID, dont aucun amendement n’est voté par le reste de l’hémicycle et qui est complètement isolé politiquement. Cela tient au statut de ces partis au niveau national : « Le passage au gouvernement et la façon dont Meloni gère les relations avec l’Europe l’ont rendu plus fréquentable et crédible », souligne Francisco Roa Bastos. Depuis son arrivée au pouvoir, en 2022, Giorgia Meloni ne s’est-elle pas attelée à rassurer l’Europe et ne s’est-elle pas affichée plusieurs fois avec Ursula von der Leyen ? Bien loin des positions provocatrices de la Lega de Salvini.

Cette distinction partis de gouvernement-partis d’opposition est d’ailleurs à l’origine de tensions au sein d’ID. Le Rassemblement national de Marine Le Pen, bien placé dans les sondages pour la prochaine élection présidentielle de 2027, ne s’entend plus guère avec les membres de l’AfD. Alternative pour l’Allemagne est en effet en pleine stratégie de radicalisation : dernier scandale en date, une réunion qui s’est tenue au mois de novembre, durant laquelle certains de ses membres ont évoqué un projet de « remigration », d’expulsion massive d’étrangers et de personnes d’origine étrangère, ce qui a beaucoup choqué en Allemagne. L’AfD apparaît donc comme un allié encombrant pour le RN en pleine stratégie inverse, aujourd’hui en pleine normalisation.

La présence de l’unique eurodéputé Reconquête Nicolas Bay dans le groupe ECR interroge donc, Reconquête étant plus radical dans ses positions xénophobes que le RN. Mais Francisco Bastos souligne à la fois la cohérence anecdotique (Marion Maréchal s’est mariée avec un membre de Fratelli d’Italia) et idéologique, puisque Reconquête se positionne sur le créneau de l’affirmation des valeurs chrétiennes.

 

 

Quelles alliances sont possibles après le 9 juin ?

 

S’il n’est pas question pour le RN de faire imploser l’alliance avec l’AfD avant les prochaines élections européennes, toutes les cartes pourraient être rebattues après la prochaine élection qui prévoit une poussée de l’extrême droite. Ainsi par exemple du Fidesz hongrois, dont les membres appartiennent aujourd’hui aux parlementaires non-inscrits. Autrefois membre du PPE, le parti de Viktor Orban, prenant acte de sa stratégie de radicalisation, a quitté le groupe mais est aujourd’hui courtisé par ID comme par ECR. Parti de gouvernement, il pourrait hésiter à rejoindre ECR, proche pour des raisons pro-chrétiennes mais refroidi par les positions anti-Poutine du groupe.

ECR, un groupe qui pourrait prendre de plus en plus de poids dans le Parlement européen ? L’hypothèse est sérieuse. Tout dépend de l’aboutissement des négociations déjà en cours avec le PPE. Des contacts ont été pris, des sujets d’accords se dessinent déjà sur l’environnement, l’agriculture ou encore la guerre en Ukraine… « Le groupe ECR pourrait renforcer ce rôle de groupe pivot si les sondages se confirment et si le PPE n’arrive pas à augmenter ses députés » souligne Francisco Roa Bastos. Une perspective exclue pour le groupe ID : « Je le vois mal prendre part aux responsabilités » explique le chercheur.

L’alliance possible entre le PPE et ECR aurait une autre conséquence : le départ du PiS polonais de son groupe : impossible pour lui de s’allier avec son opposant au niveau national, la coalition portée par Donald Tusk et membre du PPE. On pourrait alors imaginer un rapprochement du PiS avec le Fidesz hongrois et éventuellement d’autres partis, comme le Parti pour la liberté (PVV) de Geert Wilders.

On l’a compris, une simple poussée numérique de l’extrême-droite ne signifierait pas un basculement de la politique européenne, loin de là, tant les alliances sont encore difficiles à prévoir. Or, l’alliance est au cœur même de la machine strasbourgeoise, basée sur la proportionnelle : aujourd’hui, il faut au minimum trois groupes pour obtenir la majorité absolue et voter une disposition, ce qui signifie mettre d’accord la droite, la gauche et peut-être demain une partie de l’extrême droite. Le positionnement des partis peut enfin évoluer selon leurs réussites au niveau national. Francisco Roa Bastos anticipe : « Il n’est pas exclu qu’il y ait une recomposition plus forte encore à l’avenir, si le RN arrivait au pouvoir au niveau national… » Mais cela est une autre histoire, celle des élections européennes de 2029 et surtout de la présidentielle de 2027.

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