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Duel Bruno Retailleau/Didier Migaud : « Il risque d’y avoir du sang sur les murs »

L’encre de la composition du nouveau gouvernement est à peine sèche qu’un duel entre Beauvau et la place Vendôme se dessine. Mais le bras de fer entre le nouveau ministre de l’Intérieur et le nouveau ministre de la Justice pourrait être exacerbé en raison du profil politique des deux hommes : le très droitier Bruno Retailleau et l’ancien socialiste Didier Migaud.
Simon Barbarit

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« Il risque d’y avoir du sang sur les murs. Et beaucoup plus qu’entre Gérald Darmanin et Éric Dupond-Moretti. On a deux visions philosophiques différentes de la politique pénale », commente avec le sens de la formule qu’on lui connaît, le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner, lorsqu’on l’interroge sur l’antagonisme attendu entre Bruno Retailleau et Didier Migaud.

Dès samedi soir, à l’annonce de la composition du gouvernement « l’attelage Bruno Retailleau à l’Intérieur et Didier Migaud à la Justice », avait interpellé la présidente du groupe communiste du Sénat, Cécile Cukierman qui se souvenait des combats de l’ex député socialiste « contre les peines planchers, l’état de nos prisons, la protection judiciaire de la jeunesse ».

Lors d’une visite à la prison de la Santé à Paris, ce mardi, le garde des Sceaux reconnaît avoir « hésité » à entrer au gouvernement. « Je ne sais pas si je suis une caution mais en tout cas, je défendrai mes convictions », a-t-il promis en indiquant faire confiance au Premier ministre « pour de bons arbitrages ».

« Tolérance zéro » vs indépendance de la justice

De l’autre côté, Bruno Retailleau tel son illustre prédécesseur de droite, Nicolas Sarkozy fonce. Visite auprès des policiers blessés, promesse de « rétablir l’ordre » et d’une baisse de l’immigration, Bruno Retailleau s’est même autorisé à s’éloigner de son périmètre en s’indignant contre « l’inexécution des peines » et a appelé à la construction de nouvelles places de prisons alors que la loi d’orientation et de programmation de la Justice 2023-2027 prévoit la déjà la construction de 15 000 places d’ici 2027.

A son arrivée au groupe LR du Sénat, Bruno Retailleau a confirmé son intention de vouloir « changer les lois », « par exemple sur la justice des mineurs », et « ce n’est pas atteindre à l’indépendance de la justice », a-t-il précisé. Le pacte législatif présenté par les Républicains en juillet dernier avait pour « axe 1 » la restauration l’autorité », « la tolérance zéro face à l’insécurité » et « l’arrêt de l’immigration incontrôlée ». Pour ce faire, les mesures esquissées sont de vieilles antiennes de la droite, et même de l’extrême droite, inacceptables pour un homme gauche, telle l’instauration de peines planchers et de courtes peines de prison, la suspension des aides sociales pour les délinquants et les parents des délinquants mineurs, ou encore l’instauration d’une présomption de légitime défense pour les forces de l’ordre.

Toute la journée, un jeu de ping-pong a opposé les deux ministres. Bruno Retailleau a d’abord souligné à Public Sénat que « les juges prennent des décisions en fonction des lois » et qu’une « majorité de Français de droite et de gauche » souhaitait la reprise en main du « contrôle de l’hyperviolence, de l’insécurité, et du désordre migratoire ». Quelques heures plus tard, Didier Migaud lui rappelait que « le taux d’exécution des peines n’a jamais été aussi élevé. Le laxisme dans la justice n’existe pas». « Il faudra que je puisse contribuer à l’information de mon collègue et qu’on puisse avoir des échanges à ce sujet, des échanges constructifs », a-t-il poursuivi.

Au groupe LR, les sénateurs tout à leur joie de voir sept d’entre eux rejoindre l’exécutif ont dédramatisé ce rapport de force. Bruno Retailleau lui-même a estimé qu’il s’agissait « d’un classique » et qu’il « veillerait à avoir de bonnes relations avec Didier Migaud ». « C’est un peu tôt pour tirer des conclusions hâtives », a tempéré Alain Joyandet, sénateur de Haute-Saône. Plus offensive, Jacqueline Eustache-Brinio, une proche de Bruno Retailleau, considère que « les Français attendent de l’ordre ». « Il va falloir que Didier Migaud prenne conscience que la France d’aujourd’hui n’est pas celle d’il y a 15 ans ».

« Qu’est-il allé faire dans cette galère ? »

Du côté des socialistes, c’est la présence de Didier Migaud dans l’équipe gouvernementale qui interpelle. « Qu’est-il allé faire dans cette galère ? Il suffisait de voir quels textes a défendu Bruno Retailleau et sa présence au gouvernement aux côtés de 37 autres ministres de droite, pour comprendre que Didier Migaud n’aura pas gain de cause », constate le sénateur de l’Oise, Alexandre Ouizille.

« Avoir choisi ces deux personnages politiques assumés à des postes où ils devraient logiquement collaborer, c’est un choix de joueur. Mais vous savez qu’Emmanuel Macron est un grand joueur. C’est de l’irresponsabilité », tance Patrick Kanner.

« La politique du chiffre à la Sarkozy, ça marche 5 minutes »

Parmi les chantiers de la politique pénale à venir, une loi sur le narcotrafic est demandée de part et d’autre de l’échiquier politique. Une proposition de loi transpartisane issue des travaux de la commission d’enquête du Sénat a déjà été déposée. « Ce que la commission d’enquête m’a appris, c’est que l’opposition stérile police contre justice ne produit aucun résultat. S’il n’y a pas de collégialité entre l’Intérieur, la justice et Bercy pour taper aux portefeuilles des têtes de réseaux, la lutte contre le narcotrafic sera un échec. La politique du chiffre à la Sarkozy, ça marche 5 minutes. Parce que 15 après, le Kärcher, on l’attend toujours, la police de proximité a disparu et on a supprimé 12 000 postes chez les forces de l’ordre », met en garde Jérôme Durain, président socialiste de la commission d’enquête, et co-auteur de la proposition de loi avec Etienne Blanc (LR).

Mais après deux défaites électorales cette année, la droite de retour miraculeusement au gouvernement, se doit de montrer les muscles au risque de se laisser définitivement déborder par le RN sur le terrain de la sécurité. Bruno Retailleau devra également donner rapidement des gages d’efficacité de sa politique pénale « tolérance zéro » au risque de perdre aussi sur le terrain de la crédibilité.

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