La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
[DOCUMENT] La circulaire polémique de l’Intérieur sur les nuances politiques attribuées aux municipales
Par François Vignal
Publié le
C’est une circulaire de dix pages signée du ministre de l’Intérieur, Christophe Castaner, et à destination des préfets. Son objet : « Circulaire relative à l’attribution des nuances politiques aux candidats aux élections municipales et communautaires des 15 et 22 mars 2020 ». Derrière ce vocabulaire très administratif se cache une circulaire au centre d’une polémique pour les élections municipales.
Lecture des résultats biaisée
Le gouvernement a décidé de demander aux préfets d’attribuer « de manière discrétionnaire » une nuance politique « à chaque liste candidate ainsi qu’à chaque candidat de chaque liste seulement dans les communes de 9.000 habitants et plus ».
C’est ce seuil qui est au cœur des critiques de l’opposition, qui y voit un moyen un peu grossier de cacher le manque d’implantation locale de La République en marche et de la majorité présidentielle. Autrement dit, en cas de mauvais résultats pour le bloc présidentiel aux municipales, ce que les membres de LREM reconnaissent eux-mêmes comme une hypothèse tout à fait possible, cette décision pourrait les minimiser en biaisant la lecture des résultats. Car ce sont ces nuances, attribuées par les préfets, qui remontent Place Beauvau le soir du second tour et permettent la lecture politique globale des résultats.
La moitié du corps électoral concerné
Dans les petites communes rurales, certains maires ne sont cependant pas liés à un parti. Mais pour d’autres, cela compte toujours. La droite reste notamment bien implantée dans les territoires moins urbains, ce dont elles bénéficient ensuite aux sénatoriales. A noter que la nuance est à distinguer de l’étiquette politique librement choisie par le candidat, lors de sa déclaration de candidature.
Au total, c’est plus de 96% des communes qui sont concernées, représentant la moitié du corps électoral. Si ce nuançage a souvent fait l’objet de critiques, la circulaire va plus loin, aux yeux de l’opposition. Le ministère de l’Intérieur semble d’ailleurs déjà anticiper les critiques. « Il est donc important que vous puissiez étayer, en cas de contestation, les raisons ayant présidé à l’attribution des nuances » précise Christophe Castaner aux préfets… L’attribution se fait selon « un faisceau d’indices objectifs » : soutiens, déclarations officielles, appartenances politiques, autres mandats, etc.
Si le contenu de la circulaire est connu, elle n’a pas été rendue public par Christophe Castaner. Publicsenat.fr s’est procuré ce document. Nous publions donc cette circulaire (voir le pdf ci-dessous).
Les préfets ont le choix entre 22 nuances pour classer les listes et 24 nuances individuelles pour les candidats. Les listes sont regroupées en 6 grandes familles classiques : extrême gauche, gauche, divers, centre, droite, extrême droite.
Sept nuances à gauche
Dans le détail, pour les listes d’extrême gauche, on trouve logiquement le NPA ou Lutte ouvrière. Pour les listes de gauche, 7 nuances sont proposées à la discrétion des préfets : LCOM (liste PCF), LFI (Liste La France insoumise), LSOC (liste PS), LRDG, (liste PRG), LVEC (liste EELV). Pour les listes divers gauche (LDVG), la grille propose « Génération.s, Place publique, Nouvelle donne, le MRC, le Mouvement des progressistes, autres » mais La Gauche républicaine et socialiste n’y est pas. Les listes Union de la gauche (LUG) concernent les listes soutenues au moins par le PS et un ou plusieurs partis de gauche. On trouve aussi une nuance LECO (Ecologiste), pour les partis écolo, hors EELV.
Trois nuances à droite
A droite, seules trois nuances sont possibles : LLR (liste LR), LUD (Union de la droite avec les LR et un ou plusieurs autres partis de droite) et LDVD (liste divers droite) où sont classés Les centristes d’Hervé Morin, le Mouvement pour la France, le Parti chrétien démocrate, le Centre national des indépendants et des paysans, Chasse, pêche, nature et tradition ou encore l’Alliance Royale.
A l’extrême droite, on trouve sans surprise la nuance Rassemblement national (LRN) et maintenant Debout la France de Nicolas Dupont-Aignan (LDLF). LEXD, pour liste d’extrême droite, englobe Les Patriotes, comités Jeanne, la Ligue du Sud ou encore Civitas.
Création d’une nuance « Divers centre » pour la majorité présidentielle
C’est pour le centre, que les choses deviennent intéressantes. On trouve LREM (liste LREM), LMDM (liste Modem) mais aussi LUDI (liste UDI). L’UDI fait certes alliance avec LREM dans plusieurs villes de France, mais ce n’est pourtant pas le cas partout.
Une nouvelle nuance LDVC, pour liste divers centre, est créée. Elle concerne « les listes d’union entre plusieurs partis dont au moins LREM ou le Modem » ainsi que les « listes de candidats qui, sans être officiellement investies par LREM, ni par le Modem, ni par l’UDI, seront soutenues par ces mouvements ». Ce qui correspond à la stratégie présidentielle. Un maire sortant LR ou PS, qui bénéficie du soutien, mais pas de l’investiture de LREM, et qui n’a pas de liste de la majorité présidentielle face à lui, pourrait ainsi se retrouver comptabilisé du côté de la majorité.
« Une nuance "GILETS JAUNES" ajoutée afin que ce mouvement soit suivi à l’occasion des prochaines élections »
Une nuance Gilet jaunes (LGJ) est créée. Le pouvoir compte suivre l’évolution de ce mouvement, comme on peut le lire dans la circulaire : « Une nuance "GILETS JAUNES" a été ajoutée afin que ce mouvement soit suivi à l’occasion des prochaines élections ».
Sous la nuance divers (LDIV), on trouve ce que le ministère de l’Intérieur qualifie de « listes inclassables » avec l’Union populaire républicaine, le Parti animaliste, le Parti du vote blanc, le Parti pirate, etc.
« Pas conforme aux valeurs démocratiques » pour Gérard Larcher
A l’Assemblée comme au Sénat, l’opposition multiplie les alertes. Le président LR de la Haute assemblée, Gérard Larcher, a « attiré solennellement l’attention du premier ministre » sur ce point, la semaine dernière, lors de sa conférence de presse. « Cette circulaire n’est pas conforme aux valeurs démocratiques » soutient même le sénateur des Yvelines. Regardez :
La sénatrice Laure Darcos, proche de Valérie Pécresse, y voit elle « une forme de machiavélisme politique ». Même inquiétude à gauche. Pour André Laignel, premier vice-président PS de l’Association des maires de France, « c’est une médiocre manœuvre politique. C’est vrai que La République en marche risque d’avoir des résultats qui ne sont pas vraiment brillants aux élections municipales et ils essaient tout simplement de les masquer » a-t-il affirmé mardi dernier (voir notre article).
« Inimaginable et exécrable » selon Patrick Kanner
Critique relayée aussi par le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner. « C’est inimaginable. C’est exécrable sur le plan de la démocratie » et « extrêmement inquiétant » attaque le sénateur du Nord. « C’est dangereux sur le plan de la liberté d’expression et c’est considérer que 96 % des communes, représentant 50 % du corps électoral, peuvent échapper à une forme de nuançage politique. Nous n’allons pas laisser faire. Le groupe PS du Sénat va prendre sa part dans le combat contre cette circulaire » prévient lors de ses vœux Patrick Kanner. Regardez (images Sandra Cerqueira) :
Marc Fesneau : « C’est faire un mauvais grief que cette affaire-là »
En face, le gouvernement tente de convaincre de ses bonnes intentions. « C’est faire un mauvais grief que cette affaire-là ! » lance le ministre en charge des Relations avec le Parlement, Marc Fesneau, invité d’Audition Publique sur Public Sénat/LCP-AN lundi 13 janvier. Prenant exemple sur son expérience, il rappelle que beaucoup de maires de petites communes souhaitent justement qu’on ne leur attribue pas de couleur politique. « J’ai plutôt croisé des élus locaux qui n’aimaient pas qu’on les étiquette », souligne Marc Fesneau. « J’étais maire d’une commune de 700 habitants. Tout le monde savait que j’étais au MoDem et je n’aimais pas qu’on dise que la commune de Marchenoir était gagnée par le MoDem parce que dans les 14 autres colistiers que j’avais, ils n’étaient pas au MoDem ». Selon le ministre, la lecture politique du scrutin se fera avant tout « sur les villes de plus de 10.000 habitants ». A vérifier le soir du second tour des municipales, le 22 mars.