La politique, c’est du mouvement. Et parfois, il est davantage subi. Après l’annonce surprise de la dissolution par Emmanuel Macron, Edouard Philippe ne s’attendait pas à se lancer dans la campagne des législatives pour sa formation Horizons, et la majorité présidentielle. Celui qui vise 2027 comptait plutôt monter en charge progressivement. Il doit aujourd’hui s’adapter. « Toute la stratégie montée par Edouard est remise en cause, ça c’est clair. Donc il faut réagir aux annonces qui tombent. Et c’est très difficile de préparer une campagne quand tout change à chaque minute », lâche un parlementaire Horizons.
L’annonce qui tombe, c’est le souhait du président des LR, Eric Ciotti, de faire une alliance avec le Rassemblement national pour les législatives. Une nouvelle déflagration qui menace l’existence même des LR, bien que nombre d’élus, à commencer par des sénateurs LR, demandent aujourd’hui au député des Alpes-Maritimes de quitter ses fonctions. La clarification, que souhaite Emmanuel Macron, est en réalité à l’œuvre. Au profit d’Horizons ?
« Tous ceux qui veulent me rejoindre sont les bienvenus »
Interrogé ce matin, sur RTL, au sujet de ces élus LR tentés de rejoindre le RN, l’ancien premier ministre leur propose de venir plutôt à ses côtés. « Je leur dis que nous pouvons construire ensemble des politiques qui sont indispensables pour le pays, dans les trois ans qui viennent. Notre pays ne peut pas attendre », avance Edouard Philippe, qui n’avait pas pris la parole depuis dimanche soir.
Sur BFM, en fin de journée, il a dit trouver l’annonce d’Eric Ciotti « consternante et contre nature ». Il l’accuse de « trahir l’histoire » de son parti. Edouard Philippe salue en revanche l’attitude des nombreux LR qui ont pris leurs distances. « Très heureusement, un grand nombre des responsables LR, notamment au Sénat, ont tous, et très vite, condamné cette initiative », ajoute l’ancien premier ministre, qui « bien sûr, tend la main » aux LR déçus. « Il est assez évident, que tous ceux qui veulent me rejoindre sont les bienvenus », soutient-il, appelant à « un contrat, un pacte » pour rassembler ces forces.
« Le pays peut compter sur moi »
Si Edouard Philippe peut espérer incarner une forme de renouveau de la droite républicaine classique, dans un retour du clivage droite/gauche, il entend aussi, face à la situation, élargir le spectre, des LR jusqu’aux franges du PS, en « ouvrant la majorité pour qu’elle puisse se construire », « certain que pleins de gens, au PS ou au sein de l’électorat socialiste, […] peuvent se retrouver » sur sa ligne, a-t-il affirmé sur RTL. Il a réaffirmé ses priorités : « Remettre de l’ordre dans notre maison », « dans nos comptes », « dans nos rues », faire « fonctionner l’école », pouvoir « s’enrichir par son travail ».
« Il faut construire cette majorité dans le bloc central. C’est ce que je veux faire et ce que les candidats Horizons veulent faire. C’est ce à quoi je vais m’employer tous les jours dans les trois semaines qui viennent, pour essayer de construire cette future majorité », insiste Edouard Philippe. Mais il ne serait pas prêt, pour autant, à revenir à Matignon. « On n’en est pas là » et « ce n’est pas mon ambition d’être premier ministre », rappelle le maire du Havre, qui ajoute : « Le Président peut compter sur moi. Je dirais surtout que le pays peut compter sur moi ».
« Jacques Chirac doit se retourner dans sa tombe »
Dans ce contexte, l’ancien premier ministre peut-il tirer son épingle du jeu ? Du côté d’Horizons, certains préfèrent rester encore prudents. Il faut attendre que la poussière retombe. « Je ne m’exprime pas dans cette purée de pois », dit un élu. D’autres reconnaissent, plus ou moins du bout des lèvres, que la situation peut paraître favorable à Horizons. « Oui, on peut dire ça, mais l’ambiance n’est pas à ça », tempère aussitôt une responsable du parti d’Edouard Philippe, qui dénonce la décision d’Eric Ciotti : « C’est affligeant. Jacques Chirac doit se retourner dans sa tombe. Voir certains se précipiter pour faire la courte échelle au RN ou à LFI, je suis bien contente d’être à Horizons ».
Alors quel rôle pourrait jouer Edouard Philippe dans ce nouveau contexte ? « De Gaulle ! » lance le sénateur Horizons Franck Dhersin, moins mesuré dans son expression. Mais avant de pouvoir jouer l’homme providentiel, il y a encore quelques « haies » à franchir. Et déjà voir si la nouvelle crise que traversent les LR leur sera fatale, avec une explosion à la clef. Rien n’est moins sûr, quand on voit qu’Eric Ciotti paraît isolé, de nombreux parlementaires LR lui demandant de démissionner de sa présidence.
« A partir du moment où LR explosent, ça ne peut pas être négatif pour Horizons »
Le sénateur Jean-Pierre Grand, ancien des LR, qui a rejoint Horizons en 2021, s’interroge encore sur la suite des événements. « Est-ce que des gens de LR vont devenir électeurs RN, ou préférer des votes différents pour les candidats Horizons ou Renaissance ? Aujourd’hui, on ne peut pas l’évaluer. En tout cas, ça met le désordre », constate l’élu. Mais « à partir du moment où LR explosent, ça ne peut pas être négatif pour Horizons, c’est certain », admet Jean-Pierre Grand. Pour l’heure, les sénateurs Jean-François Husson et Sophie Primas ont annoncé quitter les LR, sans pour autant prendre leur carte à Horizons, ou ailleurs, dans l’immédiat. Le président du département des Yvelines, Pierre Bédier, quitte aussi les LR.
Jean-Pierre Grand reconnaît qu’Edouard Philippe pourrait avoir un coup à jouer. « Lui n’est pas perdant dans cette situation, c‘est une évidence. Mais ne pas être perdant ne veut pas dire que vous êtes gagnant », tempère Jean-Pierre Grand, « mais s’il s’impose comme quelqu’un qui soutient parfaitement les candidats de la majorité présidentielle, ce sera apprécié par beaucoup de citoyens et beaucoup d’élus ».
« Le président de la République va démissionner après les législatives, j’en suis persuadé »
D’autres avouent être écœurés par la situation, alors que c’est la dissolution décidée par Emmanuel Macron place toute la classe politique dans l’incertitude et ouvre les portes du pouvoir au RN. C’est le cas de Franck Dhersin. « C’est tellement complexe là, tout change à chaque minute en ce moment », « il y a un climat de guerre civile voulue par Jean-Luc Mélenchon, on risque d’avoir plus de 200 députés RN… Voilà, tout s’écroule », lance le sénateur Horizons du Nord.
Le sénateur pense d’ailleurs qu’on n’est pas au bout de nos surprises. « Le président de la République va démissionner après les législatives, j’en suis persuadé », lâche Franck Dhersin. Il évoque « des amis allemands qui me disent qu’Emmanuel Macron serait déjà en train de négocier la place d’Ursula von der Leyen, pour la présidence de la Commission européenne. Il y a des rumeurs. Quand on regarde le calendrier, ce sera en septembre. C’est pile poil », remarque le sénateur du Nord. Mais interrogé par Le Figaro Magazine ce mardi, Emmanuel Macron balaie la rumeur. « Ce n’est pas le RN qui écrit la Constitution, ni l’esprit de celle-ci. Les institutions sont claires, la place du président, quel que soit le résultat, l’est aussi. C’est un intangible pour moi », assure le chef de l’Etat.
Législatives : « On a nos convictions, nos couleurs et on va les voir… »
Pour l’heure, il y a un groupe de 32 députés à l’Assemblée à sauver. Depuis dimanche soir, les responsables des partis de la majorité, Renaissance, Modem, Horizons, auxquels s’ajoute aujourd’hui l’UDI, sont en pleine discussion et tractations en vue des investitures. Avec une première question stratégique à lever : faut-il partir sous une bannière commune, comme « Ensemble », en 2022 ? Ou chacun avec son dossard ? « Rien n’est calé. Ça bouge toutes les minutes. C’est la cuisine », explique un responsable d’Horizons, qui confie « voir beaucoup de candidats Horizons qui ne seraient pas prêts à ça… » C’est-à-dire, s’afficher sous une maison commune. Chez Horizons, on n’entend pas gommer sa spécificité. « On a fait le job durant les européennes. Mais on a nos convictions, nos couleurs et on va les voir… » lâche un cadre du parti d’Edouard Philippe.
« Tout ça est en négociation », confirme Franck Dhersin. Le sénateur Horizons, qui n’a pas sa langue dans sa poche – et se sent aujourd’hui libre de son expression face au Président, c’est dire – ajoute :