Passer de 88 députés à 289, synonyme de majorité absolue, c’est le défi qui attend le Rassemblement national dans la très courte période électorale qui s’annonce. Dimanche soir, c’est un score historique que la liste Rassemblement national conduite par Jordan Bardella a réalisé. Avec 31,5 % des voix le RN a fait plus du double que la candidate Renaissance, Valérie Hayer (14,6 %). Ce qui a conduit le chef de l’Etat à tenter un coup de poker en annonçant la dissolution de l’Assemblée nationale. « Le Président lance un défi aux Français qui est de mettre le RN au pouvoir. Ilna leur dit vous avez placé le RN en tête, vous avez voté pour l’extrême droite à 40 %, allez-y ! C’est le défi lancé par Emmanuel Macron aux Français. C’est une façon de reprendre la main, politiquement. Ça a cet avantage pour lui », analysait dimanche soir Philippe Moreau Chevrolet, spécialiste de communication politique.
« Il ne faut pas extrapoler les résultats des élections européennes »
Quoi qu’il en soit le RN croit en ses chances et compte bien franchir la porte de Matignon pour la première fois de son histoire, après le second tour des législatives le 7 juillet prochain. Quelques minutes après les résultats, Il avait d’ailleurs appelé, sans trop y croire, le Président « à revenir devant le peuple français » en organisant de nouvelles élections législatives ». Le RN est arrivé en tête dans plus de 90 % des communes et a donc des motifs d’espoir. « Le premier élément, c’est le différentiel très important entre les scores de Jordan Bardella et de Valérie Hayer. Le RN a aussi progressé dans des segments de la population où il était historiquement bas, chez les seniors, les jeunes, les cadres… En 2022, sans faire campagne, Marine Le Pen avait envoyé 89 candidats RN à l’Assemblée (88 depuis) en obtenant 18 % de suffrages au premier tour de législatives. Il y a deux ans, on a vu aussi que le barrage républicain n’avait pas fonctionné au second tour. De plus, en 2022, il y avait eu très peu de triangulaires. Or, le RN est avantagé dans les triangulaires car c’est plus facile de remporter l’élection que lors d’un duel qui nécessite de dépasser la barre des 50 % », analyse Stéphane Zumsteeg, directeur du département opinion et recherche sociale d’Ipsos, avant d’encourager à la prudence : « Mais il ne faut pas extrapoler les résultats des élections européennes. L’offre politique aux législatives ne sera pas la même. Nous ne savons pas encore si la gauche sera unie, si Renaissance placera des candidats face à des sortants qui pourraient accepter d’entrer dans une coalition. Faire élire 200 députés supplémentaires, ce n’est pas impossible mais la barre me semble quand même assez haute ».
Erwan Lestrohan, directeur conseil à l’Institut de sondages Odoxa rappelle lui aussi qu’en 2022, le RN était présent dans 208 seconds tours ». « Quand bien même il en aurait gagné la moitié, cela ne fait que 104 députés. Toutefois, vu les scores d’hier et compte tenu de la tectonique des plaques à l’œuvre depuis les européennes, on peut aisément imaginer qu’ils seront présents dans la quasi-totalité des circonscriptions. »
Rencontre entre Marine Le Pen, Jordan Bardella et Marion Maréchal
Du côté du RN, ce lundi l’heure était aux grandes manœuvres. Cet après-midi, Marine Le Pen et Jordan Bardella recevaient au siège du Rassemblement national une familière du parti, la nouvelle députée européenne, Marion Maréchal. La nièce de Marine Le Pen s’était dite « prête » dès dimanche soir « à rencontrer dans les jours qui viennent Marine Le Pen, Jordan Bardella, Éric Ciotti et Nicolas Dupont-Aignan pour travailler ensemble ». La campagne de la candidate Reconquête a été marquée par son désaccord à peine caché avec Éric Zemmour sur la stratégie à adopter vis-à-vis de Rassemblement national. Le polémiste n’avait lui cessé d’attaquer Jordan Bardella, qualifié de « vote doublement inutile » « parce que le RN est isolé, ostracisé » au Parlement européen, selon lui.
« Nous sommes prêts à prendre le pouvoir »
« Nous ne sommes pas dans la tambouille politique comme les partis de la Nupes. Nous proposerons 577 candidats. Les résultats des européennes ont montré que même les territoires qui ne nous étaient pas acquis comme la Bretagne, n’ont pas résisté à la vague », précisait lundi matin, le sénateur RN, Joshua Hochart. L’élu du Nord voit dans le score du RN « un vote d’adhésion ». « Je n’ai jamais vu autant de monde dans nos meetings, autant de nouveaux adhérents… Nous sommes prêts à prendre le pouvoir. Est-ce que d’autres formations politiques seront prêtes à travailler avec nous ? Nous avons déjà fait des propositions sur le pouvoir d’achat, les retraites, la baisse de la TVA sur les produits énergétiques… Nous ne pouvons plus résumer le RN à la lutte contre l’immigration », estime-t-il.
Erwan Lecoeur, politologue spécialiste de l’extrême droite reconnaît que « la dynamique européenne va aider le RN à progresser ». « Mais de là à atteindre presque 300 élus face à des candidats macronistes et des candidats de gauche, si l’union se met en place, ce serait imprudent d’imaginer ça possible. A mon sens, on s’orienterait plutôt vers une tripartition du champ politique à l’Assemblée nationale. Une sorte d’équilibre des forces qui rendra le pays difficilement à gouverner ou à réformer. Ce qui correspond bien à l’ambiance de chaos qui règne ces temps ci ».
« L’arrivée de 89 députés à l’Assemblée nationale a eu un effet boule de neige, c’est de l’argent et des moyens supplémentaires pour le parti, notamment en termes de conseillers et de capacité à identifier plus rapidement des profils intéressants », souligne Virginie Martin, docteure en science politique et professeure chercheuse à la Kedge Business School. Mais la politologue tempère elle aussi les chances du RN d’accéder au pouvoir en juillet. « On ne passe pas aussi facilement de 89 à 250-300 députés. Cela reviendrait à tripler leur score de 2022 en une vingtaine de jours. Malgré l’élan et la dynamique des européennes, c’est une marche difficile à franchir pour le RN ». Réponse le 7 juillet.