President Emmanuel Macron speaking during a televised address to the nation

Dissolution de l’Assemblée : l’hégémonie du RN place le reste de la classe politique devant « un défi colossal »

L’annonce de législatives anticipées a pris de court la classe politique, alors que le Rassemblement national est arrivé largement en tête des élections européennes ce dimanche soir. Quelques heures après l’annonce du président de la République, l’hypothèse d’une coalition face à l’extrême droite est loin de faire l’unanimité chez les élus interrogés par Public Sénat.
Romain David

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Il arrive que les répliques d’un séisme soient plus brutales que la secousse initiale. Et la soirée électorale du 9 juin a montré que la vie politique n’échappe pas non plus à ce type de phénomène. Dans la foulée de la très large victoire du Rassemblement national aux élections européennes, devançant la majorité présidentielle de plus de 16 points, le second choc est venu d’Emmanuel Macron. Quelques minutes après 21 heures, le président de la République a pris la parole pour annoncer la dissolution de l’Assemblée nationale, la sixième depuis 1962.

« Après avoir procédé aux consultations prévues à l’article 12 de notre Constitution, j’ai décidé de vous redonner le choix de notre avenir parlementaire par le vote », a-t-il déclaré. « Je signerai dans quelques instants le décret de convocation des élections législatives qui se tiendront le 30 juin, pour le premier tour, et le 7 juillet, pour le second tour », a précisé le chef de l’Etat.

Une annonce qui a laissé pantois une large partie des oppositions, « même si la rumeur courait dans les cercles avertis depuis plusieurs semaines » en raison des mauvais sondages, confient, après coup, plusieurs responsables politiques contactés par Public Sénat. « C’est un jeu terrible avec les institutions. Quitte à jouer pour jouer, il aurait pu lui aussi poser sa démission. Mais à quelques semaines des Jeux olympiques, nous aurions été dans une autre forme de sport… », lâche Patrick Kanner, le président du groupe socialiste au Sénat, joint quelques minutes après l’allocution présidentielle. « Depuis sept ans, Emmanuel Macron a eu faux sur toute la ligne. Notre pays devait résister à l’extrême droite grâce à lui, et voilà le résultat… », soupire-t-il.

« C’est une décision précipitée, annoncée sans qu’aucune autre option soit mise sur la table. On peut s’inquiéter de cette perspective qui consisterait à laisser la main à l’extrême droite », alerte Cécile Cukierman, la présidente du groupe communiste au Sénat. « C’est à nous de prendre de la hauteur, de susciter de l’envie, de la crédibilité et montrer qu’un autre choix est possible que celui proposé par le RN. »

L’hypothèse d’un sursaut

Pour Roger Karoutchi, sénateur LR des Hauts-de-Seine, à l’issue de ces législatives anticipées, « aucun groupe à l’Assemblée ne pourra parvenir à avoir autant de poids que le Rassemblement national ». « Et je ne suis même pas sûr que la totalité des sièges macronistes additionnés à ceux des LR suffisent à construire une majorité », analyse cet ancien ministre de Nicolas Sarkozy, alors que la rumeur d’une coalition entre les composantes de la majorité présidentielle et la droite a été relancée pendant la campagne des européennes.

Dès lors, Roger Karoutchi imagine deux scénarios possibles pour le président de la République. « Dans l’hypothèse d’une cohabitation avec le RN, peut-être se voit-il comme un rempart pour la République, et ainsi cherche-t-il à se donner un nouveau rôle ». Seconde hypothèse : « Il veut faire peur après le résultat des européennes, et mise sur une réaction populaire en sa faveur. C’est un calcul incertain, car lui-même est très impopulaire, plus encore que sa politique », analyse le sénateur.

« Un choix manichéen »

« Cela fait des mois que cette dissolution m’apparaît comme inéluctable », commente le sénateur Renaissance François Patriat, chef de file des élus macronistes au Palais du Luxembourg. « Le gouvernement ne pouvait pas continuer à enchaîner les motions de censure et les majorités hasardeuses. Ce soir, le président a pris tout le monde de court, mais en faisant cela, il reprend aussi la main face à une situation difficile », salue ce macroniste de la première heure. Il estime toutefois que la large victoire du Rassemblement national aux européennes reste l’expression « d’un vote d’humeur, et de haine ». « Les électeurs vont-ils le confirmer ? Ou préférer revenir à une conduite raisonnable des affaires ? Aujourd’hui, le président les place devant un choix manichéen ».

« Quand vous avez un monde politique aussi éclaté, il faut clarifier », résume Hervé Marseille, le président de l’UDI, également chef de file des sénateurs centristes. « On ne parle que de la victoire du Rassemblement national et de la défaite de Valérie Hayer, mais je rappelle que sur 38 listes, il n’y en a que trois qui sont au-dessus des 10 %. Si les Français ont autant voté pour le RN, c’est qu’ils attendent autre chose, et pas seulement de la part de la majorité ! », avertit l’élu des Hauts-de-Seine.

Les premiers jalons d’une coalition

Le camp présidentiel « donnera l’investiture » aux députés sortants, y compris d’opposition, qui font « partie du champ républicain » et sont prêts à « s’investir dans un projet clair » autour de la majorité présidentielle, a déclaré à l’AFP Stéphane Séjourné, le secrétaire général du parti Renaissance. Dans une première déclaration, également relayé par l’AFP, le ministre des Affaires étrangères avait indiqué que la majorité « ne présenter [ait] pas de candidat » contre des députés sortants « faisant partie du champ républicain ».

« C’est une manière d’organiser une future coalition », décrypte François Patriat qui estime que le RN pourrait obtenir jusqu’à 220 sièges, ce qui, toutefois, ne suffit pas à décrocher la majorité absolue à l’Assemblée nationale.  « Dès demain, il faudra que ceux qui envisagent de se présenter se positionnent par rapport à un accord de gouvernement, et présentent des propositions claires », martèle Hervé Marseille. « Est-ce qu’Emmanuel Macron est capable de bâtir une coalition de cohabitation ? Je ne sonde pas le cœur et les reins d’un aventurier ! », balaye Patrick Kanner.

« Je refuse toute forme d’alliance »

À droite, en tout cas, la réponse des Républicains ne s’est pas fait attendre : « Pour moi, il est hors de question de rentrer dans une forme d’alliance, de coalition avec un pouvoir qui a mis la France dans cet état », a cinglé devant un parterre de journalistes Éric Ciotti, le président des LR, quelques minutes après l’intervention d’Emmanuel Macron. « Je le dis dès ce soir, pour moi je refuse toute forme d’alliance. Le pays a exprimé un vote d’opposition très clair et très ferme au président de la République », a souligné le député des Alpes-Maritimes. « Le défi lancé par le président de la République est colossal pour tout le monde, sauf le RN. Seule lueur d’espoir dans toute cette affaire : voire LFI reculer à l’Assemblée nationale », relève Roger Karoutchi. « Car à force d’excès, de violences et d’agressivité, eux aussi ont contribué à pousser les électeurs dans les bras du RN ».

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