Discours d’Emmanuel Macron sur l’Europe : on vous résume les principales annonces
Par Alexis Graillot
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Retour sur les bancs de la prestigieuse université parisienne pour Emmanuel Macron, et même si l’Elysée s’en défend, voilà qui ressemblait sans nul doute à un discours de campagne du chef de l’Etat. Dans un discours très politique de près de deux heures, le président de la République a présenté sa vision de l’Europe pour les années à venir, ainsi que le bilan de l’Union depuis son entrée en fonction.
Défense, économie, écologie, immigration, commerce, numérique, Emmanuel Macron a balayé un large éventail de sujets, mêlant à la fois « optimisme » et « gravité ». « Notre Europe est mortelle, elle peut mourir », avertit-il. Résumé des principales annonces.
Bilan des 7 dernières années
« Nous n’avons pas tout réussi », concède d’emblée le président de la République, qui juge que « nous ne sommes pas assez loin », en ce qui concerne les « avancées démocratiques », et ce en dépit de « quelques innovations ».
Malgré ces quelques regrets, le chef de l’Etat se félicite d’une Europe qui a résisté face à la « conjonction de crises » qu’elle a connu ces dernières années, faisant notamment référence à la crise Covid, ainsi que la guerre en Ukraine et ses conséquences : « Depuis 7 ans, l’Europe a commencé à sortir de cette naïveté technologique et industrielle », soutient Emmanuel Macron, et salue le retour d’une « unité financière », via le mécanisme d’endettement commun pendant la crise sanitaire, et « stratégique », de par l’achat groupé de vaccins ou encore la réponse énergétique face à l’agression russe en Ukraine.
Europe de la défense
Après avoir égrené ces avancées en termes de souveraineté européenne, le chef de l’Etat estime cependant que « la bataille n’est pas encore gagnée ». Pointant du doigt la guerre en Ukraine comme principale menace, Emmanuel Macron juge que « la question de la paix et de la guerre sur notre continent et de notre capacité à assurer notre sécurité, ou pas, se joue aujourd’hui », raison pour laquelle il appelle de ses vœux à « faire émerger une défense crédible du continent européen ».
« La condition sine qua non de notre sécurité, c’est que la Russie ne gagne pas la guerre d’agression qu’elle mène contre l’Ukraine », défend en préambule le chef de l’Etat, ne reniant en aucun cas ses propos, qui lui avaient valu de larges critiques début mars dernier, lorsqu’il avait déclaré « ne pas exclure » l’envoi de troupes françaises en Ukraine.
Pour cela, le président de la République soutient « un changement très profond en termes de sécurité », en faisant « émerger une défense crédible du continent européen ». « Nous faut-il un bouclier anti-missile ? Peut-être. Est-ce en augmentant nos capacités de défense ? Sans doute. Cela sera-t-il suffisant face aux missiles russes ? Nous devons travailler sur ce point », égrène-t-il, soulignant son souhait de « mettre en place une force de réaction rapide de 5000 militaires (…), pour aider nos ressortissants ».
Selon lui, c’est « grâce à cette défense crédible que nous pourrons bâtir les garanties de sécurité qu’attendent nos partenaires partout en Europe (…), qui nous permettra le jour d’après de construire les relations de voisinage avec la Russie ». Se félicitant au passage du « véritable succès » de l’initiative européenne d’intervention, qui a réuni 13 Etats membres de l’UE, le chef de l’Etat milite pour la création d’une « académie militaire européenne », qui sera chargée de « former les futurs cadres militaires civils et européens aux futurs enjeux de sécurité et de défense ».
Préférence(s) européenne(s)
Toujours dans le secteur de la défense, le président de la République plaide pour une « préférence européenne dans l’achat de matériel militaire », tout en affirmant vouloir « produire plus vite, davantage, et en Européens. « Il n’y pas de défense sans industrie de défense », rappelle-t-il, soutenant que le vieux continent contracte un « emprunt européen » sur le sujet.
Une « préférence européenne » qu’il encourage également en matière de politique industrielle : « Nous devons assumer des règles différentes pour la politique industrielle et la concurrence », martèle-t-il, fustigeant par ailleurs la lenteur des politiques d’investissement européennes, au regard de celles mises en place par les Etats-Unis et la Chine. Le président de la République se fixe ainsi comme cap, l’année 2030, pour faire de l’Europe « un leader mondial dans cinq secteurs stratégiques », énumérant « intelligence artificielle », « informatique quantique », « espace », « biotechnologies » et « nouvelles énergies ». Pour cela, le chef de l’Etat appelle à « revoir notre modèle de croissance » : « On ne peut pas durablement avoir les normes environnementales et sociales les plus exigeantes, moins investir que nos compétiteurs, avoir une politique commerciale plus naïve qu’eux et penser que l’on continuera à créer des emplois. Cela ne tient plus. Le risque, c’est que l’Europe connaisse le décrochage », décrit Emmanuel Macron.
Maîtrise des flux migratoires
En pleine campagne européenne, Emmanuel Macron n’a également pas pu se faire l’économie de l’enjeu migratoire, alors que le Rassemblement National est donné par l’ensemble des sondeurs, large vainqueur des intentions de vote, loin devant la liste de la majorité présidentielle, menée par Valérie Hayer. Saluant la récente adoption du Pacte asile et migration, qui renforce les contrôles aux frontières de l’UE et crée un mécanisme de solidarité entre pays européens dans la prise en charge des demandes d’asile, le chef de l’Etat souhaite désormais aller plus loin : « Nous devons agir avec plus de fermeté en matière de retour et de réadmission pour toutes les femmes et les hommes qui arrivent sur notre sol et qui n’ont pas vocation à rester », introduisant sur le sujet une volonté de prioriser les intérêts européens.
Le président propose ainsi plusieurs mesures, à l’image « conditionner nos visas et nos préférences commerciales avec les pays d’origine et de transit », « nouer de nouveaux partenariats opérationnels pour lutter contre le trafic de migrants », « aller plus loin dans la montée en charge de Frontex » et enfin transformer le conseil de Schengen en « conseil de sécurité intérieur de l’Union ». L’occasion pour le chef de l’Etat, de dresser un constat sévère à l’encontre du Premier ministre, Rishi Sunak, qui vient de voter un accord au Parlement afin d’expulser les migrants illégaux de son territoire vers le Rwanda : « C’est une géopolitique du cynisme, qui trahit nos valeurs, qui construira de nouvelles dépendances et s’avèrera totalement inefficace.
« Bâtir une Europe de prospérité »
Sujet cher au chef de l’Etat et second grand axe de son discours, Emmanuel Macron réaffirme sa volonté de « changer de paradigme », en matière de politique économique et commerciale, se faisant le chantre de la croissance : « Il n’y a pas de puissance sans assise économique solide, il n’y a pas non plus de transition écologique sans modèle économique solide, pas de modèle social non plus ». Un modèle qui passe par « produire plus et plus vert », en faisant notamment de l’Europe, « le premier continent Zéro plastique ».
Dans le sillage de la crise agricole et de la défiance qu’a suscité les instances européennes, face au « trop de normes, le président de la République défend vouloir « mettre fin à l’Europe compliquée », tout en restant fidèle à sa logique de « et en même temps » : « Il faut plusieurs vagues de simplification de nos réglementations, sans rien enlever à nos ambitions », résume-t-il ainsi. Emmanuel Macron en profite ainsi pour se lancer dans un long réquisitoire contre les « dépendances alimentaires », appelant à une politique agricole commune (PAC) « forte, simplifiée, qui diminue la complexité et la charge administrative ».
Un succès qui ne pourra passer sans « réajuster très profondément notre politique commerciale », sans toutefois « tomber dans le rejet de tout accord ». Par conséquent, le chef de l’Etat s’est montré très sévère à l’encontre du vote sénatorial, rejetant le CETA, accord bilatéral avec le Canada, qu’il défend comme étant un « bon accord », grâce aux « clauses miroir », qui instituent une forme de réciprocité des normes, contrairement à celui avec le Mercosur.
Politique commerciale d’un côté, politique économique de l’autre, le président de la République appelant de ses vœux, la Banque Centrale Européenne (BCE) à faire évoluer ses règles, afin d’intégrer dans ces objectifs, « au moins un objectif de croissance, voire de décarbonation pour nos économies ». « On ne peut pas avoir une politique monétaire dont le seul objectif est un objectif d’inflation, qui plus est dans un environnement économique où la décarbonation est un facteur d’augmentation des prix », s’agace Emmanuel Macron, qui sollicite le doublement du budget de l’UE. Pour autant, pas question d’aller chercher de nouvelles ressources propres, « sans jamais peser sur les citoyens européens », évoquant la taxe carbone aux frontières, la taxation des transactions financières, ou encore l’imposition des bénéfices des multinationales ». Souhaitant remettre l’investissement au cœur des politiques publiques européennes, il rappelle le coût important que ceux-ci vont représenter dans les années à venir : « Il y a un consensus : tout le monde dit, c’est entre 650 et 1000 milliards d’euros de plus par an. C’est beaucoup. On ne peut pas différer ces investissements, on ne peut pas remettre à demain notre sécurité », développe-t-il.
Garder le cap sur les droits de l’Homme
Dernier axe de son discours, et non des moindres, le président de la République s’est porté comme fervent partisan de « l’humanisme » : « Être européen, ce n’est pas seulement habiter une terre, […] c’est défendre une certaine idée de l’homme », lance-t-il, attaquant sans jamais le nommer, le Premier ministre hongrois, Viktor Orban, dont le pays est régulièrement condamné par la Cour européenne des droits de l’Homme : « La démocratie libérale n’est pas un acquis », martèle Emmanuel Macron, raison pour laquelle il explique la nécessité de « continuer de défendre ce qui est constitutif de l’Etat de droit : la séparation des pouvoirs, la justice indépendante, une presse libre, l’université autonome et la liberté académique ». « Elle est reniée dans trop de pays d’Europe », déplore-t-il encore.
Des droits de l’Homme dont fait évidemment partie, le droit au respect à la vie privée, et ce qu’il implique dans de nombreux domaines, et particulièrement le numérique. A ce titre, le président de la République insiste à plusieurs reprises sur la nécessite de « contrôler l’espace numérique », qu’il présente comme « un combat civilisationnel et démocratique ». Entre le modèle anglo-saxon, « qui choisit de déléguer cet espace de vie à des sociétés privées », et « celui du contrôle » strict, comme « en Chine », il prône une troisième voie : « Je veux défendre une Europe de la majorité numérique à 15 ans. Avant 15 ans, il doit y avoir un contrôle parental de l’accès à cet espace numérique ».
Sans surprise, le chef de l’Etat n’est pas passé à côté du sujet IVG, alors que la France a été le premier pays à constitutionnaliser ce droit, le lundi 4 mars dernier, seulement quelques jours avant la Journée Internationale des droits de la femme. A cet égard, Emmanuel Macron réaffirme sa volonté de l’inscrire dans la charte des droits fondamentaux de l’UE. Une manière pour le président de la République de se poser en leader et avant-gardiste sur les enjeux européens. Cela suffira-t-il à remobiliser les Français, qui ne montrent pour l’instant que peu d’entrain pour le scrutin ? Si nul ne peut nier les convictions européennes profondes du locataire de l’Elysée, il semble difficile d’imaginer qu’il marque un tournant dans la campagne. Mais était-ce vraiment l’objectif ?
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