Près de deux heures de discours à un mois et demi des élections européennes. Ce jeudi 25 avril, Emmanuel Macron a évoqué son bilan européen dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, mais a également dévoilé sa vision sur l’avenir de l’Union et les défis qu’elle aura à relever, dans un contexte international marqué par le retour de la guerre et des rivalités entre grandes puissances. « Notre Europe est mortelle, elle peut mourir », a averti le chef de l’Etat dans un discours aux accents tantôt optimistes, tantôt crépusculaires.
Devant une salle remplie d’étudiants, d’enseignants, de chercheurs mais également de parlementaires, d’ambassadeurs européens et d’une délégation de la Commission européenne, il a appelé à construire une « défense crédible du continent », insistant sur la nécessité de transformer « l’urgence du soutien à l’Ukraine en effort de longue durée ». Emmanuel Macron a également plaidé pour une montée en puissance budgétaire de l’UE, évoquant « le mur d’investissements » que représentent, entre autres, « la sécurité, l’intelligence artificielle et la décarbonation de nos économies ».
Le président de la République invite les Européens à « assumer des changements de paradigmes » pour construire une « Europe puissance » dans un monde où « les règles ont changé », une phrase répétée à de nombreuses reprises au fil de son allocution.
Un discours trop long ?
« Emmanuel Macron a voulu aller dans le détail de ses ambitions, avec un discours à la fois trop large et trop technique. Il a dramatisé les peurs sur la disparition de l’Europe et le retour de la guerre, ce qui lui permet de formuler de très nombreuses propositions, en accord avec son profil pro-européen. Mais en termes de com’ politique, le résultat est difficilement audible, avec un discours très difficile à suivre et globalement déconnecté du quotidien des électeurs », commente auprès de Public Sénat Emilie Zapalski, communicante et fondatrice d’Emilie Conseil. « Emmanuel Macron n’a toujours pas compris que la communication politique, c’est deux ou trois messages forts dans un discours porteur. Son souci d’exhaustivité ne lui permet pas de créer un véritable souffle »
Philippe Moreau-Chevrolet, président de MCBG Conseil, évoque également « un discours sans grande consistance, très large et qui n’a pas vraiment d’axe. » Mais pour ce communicant, l’objectif d’Emmanuel Macron était moins d’aller sur le fond que « de se mettre en scène pour pouvoir lancer le début de la compagne des européennes. »
Un président qui entre en campagne
Cette intervention du chef de l’Etat, qualifiée « d’institutionnelle » par l’Elysée, a suscité de vives critiques du côté des oppositions, qui reprochent à Emmanuel Macron d’utiliser sa fonction pour faire campagne. De fait, ce discours prend place à moins de 50 jours des élections européennes, dans un contexte difficile pour la tête de liste de la majorité, l’eurodéputée Valérie Hayer. Celle-ci reste distancée dans les sondages d’une dizaine de points par la liste du Rassemblement national, conduite par Jordan Bardella, tandis que Raphaël Glucksmann, le candidat PS-Place Publique, lui emboîte le pas, laissant craindre un croisement des courbes.
A minima, la prise de parole d’Emmanuel Macron est susceptible de remettre sur le devant de la scène les thématiques européennes, en marge d’une campagne qui intéresse peu les Français. Seuls 8 % d’entre eux connaissent la date exacte du scrutin, qui se tiendra le 9 juin, selon une enquête Eurobaromètre commandée par le Parlement européen et publiée le 15 avril.
La nostalgie de 2017
« Emmanuel Macron se pose en sauveur de sa propre majorité, mais aussi en sauveur de l’Europe. », explique Philippe Moreau-Chevrolet. « Le message est clair : c’est lui ou le chaos. C’est une position qui est difficile à accréditer dans la mesure où pratiquement plus aucun parti politique ne souhaite aujourd’hui quitter l’Union européenne. Le débat tourne davantage autour du degré d’adhésion. Ce faisant, le président cherche à réactiver le clivage avec l’extrême droite. D’ailleurs, ce discours jouait beaucoup sur la nostalgie de 2017, avec une mise en scène similaire à celle du premier discours qu’il avait prononcé à la Sorbonne sur l’Europe, cinq mois après son élection », pointe le communicant.
« C’est une stratégie plutôt efficace, dont l’objectif n’est pas d’aller chercher des nouveaux convertis mais de recréer une adhésion, notamment chez les macronistes qui seraient tentés par la gauche plutôt modérée de Raphaël Glucksmann. »
Prise de risque
Emilie Zapalski est plus réservée sur l’impact de ce « Sorbonne II ». « Pour moi c’est une erreur. On continue à chercher la disruption dont Emmanuel Macron avait fait sa marque de fabrique. Là, il donne l’impression que, par superstition, il a voulu recommencer quelque chose qui avait plutôt bien marché. Mais le contexte n’est plus du tout le même. Aujourd’hui, il a sept ans de pouvoir derrière lui. »
Elle s’interroge également sur l’effet que cela peut produire sur la campagne de Valérie Hayer. « On voit bien qu’elle peine à se faire connaître et à imprimer, mais je ne suis pas sûre que ce type d’intervention lui soit favorable. La nomination de Gabriel Attal à Matignon avait été présentée comme un contre-feu à l’ascension de Jordan Bardella, mais aujourd’hui le Premier ministre reste totalement absent du dossier européen. »
« Gabriel Attal se refuse à être leader dans cette campagne pour ne pas endosser le prix politique d’une défaite », analyse Philippe Moreau-Chevrolet. « La majorité part perdante et le président se dit qu’il n’a plus rien à perdre. Mais peut-être que cette entrée en campagne arrive un peu trop tard pour lui laisser une chance d’inverser des dynamiques déjà bien installées. Désormais, le risque c’est aussi qu’il transforme malgré lui le scrutin en référendum ‘pour’ ou ‘contre Macron’. Dans ce cas, une défaite signera l’échec personnel du chef de l’Etat. »