Des projets de loi déposés en premier au Sénat : ce qu’implique la promesse d’Élisabeth Borne
Devant le Sénat, la Première ministre s’est engagée à déposer des projets de loi en premier lieu au Sénat. Cette pratique, qui n’est en rien une nouveauté, pourrait nourrir la stratégie de l’exécutif dans la recherche de majorités d’idées. Gérard Larcher est allé plus loin en réclamant une association plus en amont.

Des projets de loi déposés en premier au Sénat : ce qu’implique la promesse d’Élisabeth Borne

Devant le Sénat, la Première ministre s’est engagée à déposer des projets de loi en premier lieu au Sénat. Cette pratique, qui n’est en rien une nouveauté, pourrait nourrir la stratégie de l’exécutif dans la recherche de majorités d’idées. Gérard Larcher est allé plus loin en réclamant une association plus en amont.
Guillaume Jacquot

Temps de lecture :

7 min

Publié le

Mis à jour le

À nouvelle situation politique, nouvelle méthode. Et chacun imagine les règles qui prévaudront demain. Après un discours de politique générale parfois chahuté à l’Assemblée nationale, Élisabeth Borne est arrivée au Sénat avec un cadeau inattendu ce 6 juillet. La cheffe du gouvernement a livré un hommage appuyé et flatteur à la façon de légiférer des sénateurs, sous les exclamations surprises voire amusées de l’hémicycle. Dans une période où le gouvernement est à la recherche d’alliés pour faire adopter ses textes, la Première ministre a brossé la chambre haute dans le sens du poil, avec la promesse d’une meilleure considération. Le changement de pied est notable, après un quinquennat fait de relations tendues entre le gouvernement et le Sénat, ce dernier s’étant souvent senti déconsidéré.

Dans la chambre des collectivités locales, où la droite et le centre sont majoritaires, Élisabeth Borne a déclaré que son gouvernement partageait avec les sénateurs « bon nombre de priorités et même, sans aucun doute, de solutions ». Elle réservera d’ailleurs la primeur de certains projets de loi au Sénat. « Dans certains domaines, au-delà de ce que la Constitution prévoit, le travail parlementaire pourra commencer dans cet hémicycle : le Sénat pourra ainsi pleinement agir comme force de co-construction. »

Une proposition de la Première ministre qui ne marque pas une révolution

La Constitution dispose que seuls les projets de loi « ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales » sont soumis en premier au Sénat. Les deux exemples les plus récents sont le texte de décentralisation et de déconcentration (3DS) et la loi engagement et proximité. Et pour le reste, l’appréciation est aux mains du gouvernement. Les sénateurs ne bouderont certainement pas leur plaisir d’être la première chambre saisie sur un texte. « On revient à ce qu’il se passait avant dans la Ve République […] C’est une bonne façon de faire », accueille le sénateur LR Jérôme Bascher.

L’annonce d’Élisabeth Borne ne risque pas de bouleverser les pratiques. Dans le quinquennat écoulé, le Sénat a déjà été saisi en premier de plusieurs textes. Sur 376 projets de loi, 166 sont d’abord arrivés au palais du Luxembourg, soit 44 %. Parmi eux, beaucoup de projets de loi techniques. Mais aussi, dans le lot, quelques réformes emblématiques. La loi pour la confiance dans la vie politique, la loi de programmation pour la justice, la loi d’orientation des mobilités, la loi sur l’économie circulaire, ou encore le premier texte d’urgence sanitaire en mars 2020 : tous ces textes ont en commun d’avoir été examinés en premier au Sénat.

« Ce sont des choses qui se sont déjà faites, ça n’a rien d’extraordinaire », admet également le sénateur centriste Hervé Maurey. « Élisabeth Borne a voulu faire une opération séduction. Et dans toute la palette d’outils de séduction, elle a sorti cet argument. Il faudra voir ce qu’il en est dans les faits. »

« Il y a sans doute, derrière, des arrière-pensées tactiques »

Cette volonté de servir en premier le Sénat n’est sans doute pas étrangère à un calcul politique du gouvernement. Un projet de loi amendé par la droite sénatoriale ne devrait pas être, logiquement, contesté par le groupe charnière LR à l’Assemblée nationale. « Il y a sans doute, derrière, des arrière-pensées tactiques », imagine le sénateur socialiste Jérôme Durain.

En apparence anodine, le choix de la première chambre comme lieu de départ a pourtant des conséquences sur le cheminement de la loi. Généralement, pour un gouvernement qui s’appuie sur une majorité absolue, l’ordre naturel commande de commencer le parcours législatif par les députés. « Avec un débat qui commence à l’Assemblée nationale, c’est plus à votre avantage. Surtout avec la généralisation de la procédure accélérée, le texte va directement en commission mixte paritaire après le Sénat », explique Benjamin Morel, maître de conférences en droit public à Paris Panthéon-Assas, et docteur en science politique à l’ENS Paris-Saclay. « Les apports du Sénat se négocient en commission mixte paritaire, sans retour à l’Assemblée. La majorité n’a donc pas l’occasion de se diviser sur les apports du Sénat », poursuit ce spécialiste du Parlement. Dans le cas de la droite sous Nicolas Sarkozy, majoritaire dans les deux chambres, les textes étaient présentés de manière indifférence dans une chambre ou l’autre. « C’était un enjeu d’optimisation du travail législatif », résume Benjamin Morel.

Dans le cas d’une majorité relative, le gouvernement va devoir faire naître des compromis, au coup par coup, en gardant à l’esprit l’importance de la droite dans les commissions mixtes paritaires, où se négocie le texte final après un examen dans chaque chambre. « Si vous déposez votre texte à l’Assemblée nationale, qu’il est modifié et qu’il représente un savant équilibre entre tous les groupes, et que tout d’un coup le Sénat sabre tout, cela devrait compliqué de tout renégocier », observe Benjamin Morel. « En partant comme base de négociation du texte sénatorial, cela permet malgré d’avoir une base beaucoup plus claire, pour ensuite savoir où l’on va », poursuit-il.

Gérard Larcher demande des discussions avant même la présentation des textes en Conseil des ministres

Ancien président de la commission de l’aménagement du territoire, Hervé Maurey liste dans le passé des casus belli bien plus graves que l’ordre d’examen législatif. Le sénateur garde en mémoire des propositions de lois rejetées par le gouvernement, « car d’origine sénatoriale », avant de retrouver une seconde vie dans les rangs de la majorité à l’Assemblée ou dans les ministères. Le pacte ferroviaire en est un exemple. « Ce n’est pas évident de croire d’entrée de jeu aux bonnes intentions avec ce passif lourd. »

Comme Élisabeth Borne, Gérard Larcher plaide également pour que des projets de loi soient examinés en premier lieu au Sénat, « pour aller plus au fond, être moins dans le coup politique ». Le président du Sénat, qui s’exprimait dans les colonnes du Midi Libre, est même allé plus loin dans les propositions, qu’il a soumises à Matignon par courrier. « Pour chaque texte important, je demande que nous en discutions ensemble avant qu’il ne soit ficelé, qu’il aille au Conseil d’État et qu’il soit présenté en conseil des ministres. » Reste à voir ce qu’Élisabeth Borne répondra à cette main tendue.

Le sénateur LR Jérôme Bascher défend la même approche que son président. « Nous, on veut des actes, pas des mots […] C’est avant les transmissions des textes au Conseil d’Etat qu’il faudra travailler, pour essayer de trouver des compromis », appelle sénateur de l’Oise. « C’est incontestablement souhaitable », renchérit Hervé Maurey. « C’est insupportable quand on est parlementaire d’apprendre plus de choses quand on ouvre le journal que dans les assemblées. »

Pour le docteur Benjamin Morel, le gouvernement n’aurait en revanche « pas intérêt » à ouvrir en amont ce genre de discussion. « Si le gouvernement fait déjà des concessions avant le dépôt du projet de loi, ce sont des marges de négociation qu’il ne se donne pas pour la suite. » La partie de poker législatif ne fait que commencer.

Partager cet article

Dans la même thématique

Capture 2
3min

Politique

Cancers : l’Union européenne n’a pas « d’excuse pour ne rien faire »

Un sommet européen sur le Cancer doit se tenir à Bruxelles du 19 au 20 novembre. Il s’agit de la deuxième cause de mortalité sur le Vieux Continent. Chaque année, 2,6 millions de nouveaux cas sont diagnostiqués. Tabac, alcool, pesticides, polluants divers, nos modes de vie et conditions de travail sont en cause. Alors, comment endiguer le fléau du cancer dans l’Union européenne ? Pourquoi sommes-nous aussi touchés ? Ici l’Europe ouvre le débat avec les eurodéputés Laurent Castillo (PPE, France) et Tilly Metz (Verts, Luxembourg). L'UE n'a pas "d'excuse pour ne rien faire", estime cette dernière.

Le

Paris : session of questions to the government at the Senate
9min

Politique

Face à un « budget cryptosocialiste », la majorité sénatoriale veut « éradiquer tous les impôts » votés par les députés

Ils vont « nettoyer » le texte, le « décaper ». Les sénateurs de droite et du centre attendent de pied ferme le budget 2026 et le budget de la Sécu. Après avoir eu le sentiment d’être mis à l’écart des discussions, ils entendent prendre leur revanche, ou du moins défendre leur version du budget : plus d’économies et faire table rase des impôts votés par les députés.

Le

Marseille: Amine Kessaci candidate
4min

Politique

Assassinat du frère d’Amine Kessaci : le militant écologiste engagé contre le narcotrafic était « sous protection policière et exfiltré de Marseille depuis un mois »

Le petit frère d’Amine Kessaci, jeune militant écologiste marseillais, connu pour son combat contre le narcotrafic, a été tué par balles jeudi soir à Marseille. L’hypothèse d’un assassinat d’avertissement est privilégiée et pourrait faire basculer la France un peu plus vers ce qui définit les narco Etats. C’est ce que craignaient les sénateurs de la commission d’enquête sur le narcotrafic. Le sénateur écologiste de Marseille Guy Benarroche, proche d’Amine Kessaci a pu s’entretenir avec lui, ce matin.

Le