« Ce qui compte, c’est ce que nous faisons pour répondre aux abus qui ont eu lieu sur le recours aux cabinets de conseil extérieur ». Ce week-end, sur le plateau de l’émission « Dimanche en politique » sur France 3, Bruno Le Maire, le ministre de l’Economie, a fait son mea culpa quant à l’emploi massif de prestataires par l’exécutif ces dernières années. « On a eu trop recours à des cabinets de conseil depuis des années, ce gouvernement, les gouvernements précédents, les majorités précédentes qui avaient pris l’habitude de considérer que l’administration n’était pas capable de faire tel travail et qu’il fallait externaliser et demander à des cabinets de conseils. Je pense qu’il y a eu effectivement une dérive », a admis le locataire de Bercy. Plus nuancé que son collègue, Olivier Véran, le ministre des Relations avec le Parlement, a indiqué ce lundi matin sur France Inter qu’il ne « savait pas ce que c'est qu'une dérive ou un abus. » « Ce n'est pas que je dis que je ne suis pas d'accord ou non » avec les propos de Bruno Le Maire, mais « on n'avait vraiment, vraiment pas le choix » pendant la crise sanitaire, a justifié celui qui a été ministre de la santé de février 2020 à mai 2022.
Ces déclarations interviennent alors que le Parquet national financier a annoncé jeudi 24 novembre l’ouverture de deux informations judiciaires sur le recours à des cabinets de conseil dans les campagnes électorales d’Emmanuel Macron en 2017 et 2022. Elles portent sur des soupçons de « tenue non conforme de comptes de campagne et minoration d’éléments comptables dans un compte de campagne », mais aussi « des chefs de favoritisme et recel de favoritisme ». Les juges tentent de déterminer si les prestataires auraient pu bénéficier par la suite de complaisances dans l’attribution de contrats publics. Invité vendredi à régir, la chef de l’Etat a estimé qu’il n’était pas au « cœur de l’enquête ». « C’est normal que la justice fasse son travail, elle le fait librement », a-t-il commenté en marge d’un déplacement à Dijon.
Un signalement pour faux témoignage
Pour trouver l’élément déclencheur de ces investigations, il faut remonter au 18 janvier 2022, du côté du Sénat. Ce jour-là, les élus auditionnent les représentants de McKinsey France, dont Karim Tadjeddine, directeur associé et responsable du secteur public de la succursale française de ce cabinet de conseil américain. Depuis plusieurs semaines, la Chambre haute enquête, à l’initiative du groupe communiste, sur l’emploi de tels cabinets par le gouvernement français pour l’aider à gérer la crise sanitaire déclenchée par le covid-19. McKinsey a notamment participé à la mise en place de la stratégie vaccinale.
Alors qu’il est interrogé sur les statuts de la filiale qu’il pilote, Karim Tadjeddine assure que McKinsey France s’acquitte de l’impôt sur les sociétés. Des déclarations contredites par les perquisitions que les sénateurs effectuent quelque temps plus tard auprès du ministère de l’Economie, et qui indiquent que les résultats fiscaux de l’entreprise sont négatifs depuis une dizaine d’années. Cette situation laisse supposer la mise en place d’un mécanisme d’optimisation fiscale. Le 25 mars, le Sénat annonce avoir saisi la justice pour une suspicion de faux témoignage. Une semaine plus tard, une enquête pour « blanchiment aggravé de fraude fiscale » est ouverte par le Parquet national financier. Dans un communiqué publié la semaine dernière, le PNF indique que ce sont « plusieurs signalements et plaintes d’élus et de particuliers » qui l’ont poussé à élargir les investigations aux « conditions d’intervention de cabinets de conseils dans les campagnes électorales de 2017 et 2022. »
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Un encadrement strict des pratiques
Le rapport de la commission d’enquête sénatoriale, publié quelques semaines avant l’élection présidentielle, révèle que plus d’un milliard d’euros ont été dépensés en 2021 en missions de conseil par le gouvernement et des opérateurs publics. Il décrit un phénomène « tentaculaire et opaque » qui ne date pas de l’ère Macron mais qui se serait considérablement amplifié sous le premier quinquennat. Les sénateurs dénoncent notamment des prestations coûteuses dont certaines restées « sans suite tangible », l’intégration des consultants aux équipes ministérielles, ou encore leurs influences sur la prise de décisions publiques. Ces travaux ont débouché cet automne sur une proposition de loi, adoptée à la quasi-unanimité – fait rare au Parlement – par les sénateurs de tous bords, hormis de nombreuses abstentions du côté du groupe Les Indépendants, qui réunit plusieurs élus Horizons, le parti d’Edouard Philippe.
Ce texte propose de soumettre les consultants à une obligation de déclaration d’intérêts auprès de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP), avec des amendes administratives en cas de manquement. Il impose, toujours au nom de la transparence, la publication annuelle de l’ensemble des prestations fournies par des prestataires à l’Etat. Afin d’éviter tout mélange des genres, les prestations « pro-bono » sont interdites dans l'administration, il est également défendu aux consultants d’utiliser sur les documents qu’ils produisent les logos des ministères concernés. Enfin, en réaction à l’audition de « Karim Tadjeddine », la proposition de loi prévoit une exclusion des marchés publics comme sanction à toute déclaration faussée devant une juridiction ou une commission d’enquête.
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Les engagements du gouvernement
« Une solution pour en finir avec cette situation : que le gouvernement présente au débat et au vote de l’Assemblée Nationale la proposition de loi de notre commission d’enquête déjà adoptée au Sénat à l’unanimité », a réagi sur Twitter la sénatrice communiste Éliane Assassi, rapporteure de la commission d’enquête et co-auteure de ce texte, après les déclarations de Bruno Le Maire. Notons qu’en l’état actuel, cette proposition de loi ne prévoit aucune disposition relative aux campagnes électorales et ne s’intéresse qu’aux prestations de conseil réalisées pour le compte de l’administration. Stanislas Guerini, le ministre de la Transformation et de la Fonction publique, s’était engagé à ce que ce texte aille au bout du processus législatif. Arrivé sur le bureau de l’Assemblée nationale le 19 octobre dernier, il n’a pas encore été inscrit à l’agenda, très chargé en cette fin d’année, du Palais Bourbon. Au milieu de l’été, le gouvernement s’était toutefois déjà engagé à réguler ses pratiques, notamment en plafonnant à 2 millions le budget fixé à chaque mission de conseil. Dans une circulaire, la Première ministre Elisabeth Borne a également demandé aux ministères de baisser de 15 % l’emploi de ces prestataires. « Quand on regarde le premier semestre 2021 et le premier semestre 2022 à Bercy, nous avons réduit de 34 % le recours aux cabinets de conseil », s’est notamment félicité Bruno Le Maire.