Delphine Ernotte : « On ne sait pas ce qui adviendra de l’audiovisuel public dans un an »

Delphine Ernotte : « On ne sait pas ce qui adviendra de l’audiovisuel public dans un an »

Auditionnés au Sénat sur la prolongation d’un an de leur contrat d’objectifs et de moyens, les responsables de France Télévisions, de Radio France et de France Médias Monde ont surtout en tête le prochain COM 2024-2028. Après de lourds efforts, Delphine Ernotte et Sibyle Veil se disent prêtes à davantage de coopérations. Mais pas à n’importe quel prix.
François Vignal

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Continuer à avancer mais dans le brouillard. C’est un peu ce que les responsables de l’audiovisuel public sont contraints de faire. Les trois patronnes de France Télévisions, de Radio France et de France Médias Monde, Delphine Ernotte, Sibyle Veil et Marie-Christine Saragosse, ainsi que le président de l’INA (Institut national de l’audiovisuel), Laurent Vallet, ont été auditionnés ce mercredi, en fin de journée, par la commission de la culture et de la communication du Sénat, sur la prolongation d’un an, pour 2023, du contrat d’objectifs et de moyens (COM), par un avenant.

Mais l’enjeu se trouve dans l’après. Suite à la décision de la suppression de la redevance audiovisuelle – une promesse d’Emmanuel Macron – adoptée l’été dernier, l’exécutif a décidé de remplacer ce financement « par une part de la TVA, au moins jusqu’en 2024 », a rappelé Laurent Lafon, le président centriste de la commission. Et après ? Pour l’heure, c’est le grand flou. La question du mode de financement et de son niveau va vite se poser dans la perspective du prochain COM, prévu pour la période 2024-2028, après celui couvrant les années 2019-2022.

Succès sur le numérique

Pour les quatre entités, il s’agit de prolonger les succès respectifs, notamment sur le numérique. Chiffres multiples à l’appui, chaque présidente et président a insisté sur les bons résultats en la matière. « France Info, la plateforme commune à nous tous, est le premier site d’actualité en France, avec la couverture de 37 % des Français qui s’y rendent chaque mois », souligne Delphine Ernotte.

« 22 millions de Français sont abonnés à nos plateformes », et « France Inter et France Culture sont les deux leaders du podcast en France », ajoute de son côté Sibyle Veil, dont le groupe dispose de « la première chaîne de radio en France, France Inter ». Laurent Vallet entend « contredire l’idée que nous serions des nains numériques. On ne l’est pas ». Autant de succès qui sont la preuve, selon le sénateur socialiste, David Assouline, que l’audiovisuel public n’est pas une « honte », comme avait dit en 2017 Emmanuel Macron.

En Espagne, « 25 % de coupe budgétaire a entraîné 50 % de baisse d’audience »

Pour la suite, les comparaisons européennes des modes de financement donnent une idée des pistes possibles. « Il y a plusieurs modèles en Europe. Il y a un modèle de redevance, de recettes affectées et aussi de budgétisation, mais qui sont prévisibles annuellement, et qui s’inscrit en dur dans des engagements pluriannuels importants. C’est arrivé en Espagne et ce n’était qu’un prélude à la coupe pure et simple des budgets », prévient Delphine Ernotte.

Lire aussi » Audiovisuel public : le Sénat valide le remplacement de la redevance par la TVA, mais demande une réforme pérenne

Sur les volumes de budget alloués, la présidente de France Télévisions voit trois scénarios possibles : soit un « rétrécissement », comme en Espagne donc, où s’est opéré « 25 % de coupe budgétaire, qui a entraîné 50 % de baisse d’audience ». Soit un « statut quo ». Ce serait « en gros, le modèle français, qui reste en l’état ». Mais « ce statut quo atteint ses limites », met en garde la présidente de France Télé, après « les efforts très importants », qui ont conduit à « près de 20 % d’efforts de productivité » et une réduction « assez drastique des effectifs, avec 15 % de baisse en 10 ans ». Un budget qui paraîtrait à l’équilibre serait donc problématique à ses yeux, entre « l’inflation » et la volonté de « proposer des séries » pour faire face à « la concurrence des plateformes américaines ». Delphine Ernotte ajoute :

Je pense qu’on a besoin de retrouver de nouvelles marges de manœuvre.

Troisième scénario, celui de « l’élargissement, comme en Allemagne ». Hypothèse qui a, sans surprise, « largement » la « préférence » de Delphine Ernotte. Mais ce scénario n’empêche pas d’opérer encore « des rapprochements stratégiques ».

Aller plus loin dans la coopération « sur le numérique, car il y a énormément de complémentarités »

« On va devoir négocier le futur contrat d’objectifs et de moyens. Nous en discutons beaucoup et nous essayons de voir comment, de façon constructive, continuer à pouvoir avancer ensemble », avance de son côté Sibyle Veil, qui remarque que « la coopération nous a permis de faire des choses que nous n’aurions pu faire chacun seul ».

Rappelant les matinales et les sites d’informations désormais communs entre France 3 et le réseau France Bleu, Laurent Lafon demande comment, en vue du prochain COM, ces rapprochements pourraient aller au-delà. « On pourrait aller plus loin, et on est en train d’en discuter », confirme Delphine Ernotte. « Le plus naturel, c’est sur le numérique, car il y a énormément de complémentarités », ajoute son homologue de Radio France. De quoi « couvrir encore mieux l’actualité locale. Et on a la conviction que c’est ce qu’attendent les Français », soutient la patronne de la Maison ronde.

« C’est un triple salto qui nous a été demandé ces dernières années : baisser les budgets, faire plus et faire ensemble »

Reste à ne pas réaliser ces rapprochements à n’importe quel prix. « Ces coopérations se sont faites entre des hommes et des femmes », rappelle la patronne de France Télé. « Aujourd’hui, à chaque fois qu’on dit synergie, on dit baisse des effectifs et du budget. Vous n’aurez pas l’adhésion des gens sur le terrain […] si vous leur dites qu’on va encore baisser les effectifs », prévient Delphine Ernotte. Lors du précédent COM, Radio France a de son côté réalisé « 60 millions d’euros d’économies, soit 10 % de notre budget. C’est un effort considérable, nécessitant un plan de départ de 340 personnes […] et 57 réorientations au sein de Radio France », a rappelé Sibyle Veil.

Lire aussi » Budget 2023 : les inquiétudes du Sénat sur l’avenir de l’audiovisuel public

Interrogée par le sénateur LR Jean-Raymond Hugonet – coauteur d’un rapport prônant la fusion de l’audiovisuel public – sur sa proposition faite lors de son renouvellement, en 2020, de « créer une plateforme commune à l’audiovisuel public, France Média plus », Delphine Ernotte semble aujourd’hui tempérer cette ambition, face aux efforts déjà réalisés. « Après des plans d’économies assez massifs, on ne sait pas ce qui advient de l’audiovisuel public dans un an », cadre la patronne de France Télévision (voir la vidéo). Elle continue : « C’est un triple salto qui nous a été demandé ces dernières années : baisser les budgets, faire plus et faire ensemble. Tout ça, on a pu le réaliser. […] Mais ça nous a demandé un énorme effort. Est-ce qu’on est prêt à aller au-delà ? Bien sûr. Mais je pense qu’il faut qu’on le fasse ensemble et dans le respect des uns des autres », soutient la responsable de France Télévisions.

France Médias Monde victime de « cyberattaques d’une rare violence dont nous ne parlons pas trop, car l’ANSSI nous le demande »

De son côté, la présidente de France Médias Monde (qui inclut France 24 et RFI), Marie-Christine Saragosse, se retrouve à la tête d’un groupe en proie aux « tensions internationales, avec la fermeture de RT en Europe, qui a entraîné en contrepartie la suspension des médias internationaux en Russie, mais aussi de nous au Mali ou au Burkina Faso. C’est la signature de Wagner, semble-t-il », selon la responsable de France Media Monde, qui évoque aussi les « cyberattaques d’une rare violence dont nous ne parlons pas trop, car l’ANSSI (l’Agence nationale de la sécurité des systèmes d’information) nous le demande ».

Dans ce contexte, la question financière est tout aussi cruciale. Marie-Christine Saragosse a alerté sur les conséquences très concrètes qu’aurait le choix d’une « budgétisation », soit un budget de l’audiovisuel public voté chaque année, lors du projet de loi de finances, dépendant donc du choix du gouvernement, qui pourrait décider de le revoir à la baisse d’une année sur l’autre.

« A Berlin, nos amis Allemands on fait savoir qu’une budgétisation, c’est un flirt beaucoup trop étroit avec l’Etat et ce n’est pas conforme à la législation allemande. Donc on ne sait pas si on ne va pas perdre notre fréquence FM (pour RFI) à Berlin, qu’on a depuis 24 ans, car nous serions budgétisés », a-t-elle mis en garde, avant d’ajouter : « Si on fait sauter un financement affecté, on est dans le même statut que RT ». Pour Marie-Christine Saragosse, la solution pourrait être de créer « une charte républicaine de l’indépendance ».

« En Allemagne, 7 milliards d’euros pour l’audiovisuel public »

Le niveau des moyens alloués est aussi évidemment central, quand on sait que l’équivalent allemand de la Deutsch Welle a un budget de 396 millions d’euros, BBC World Service 360 millions d’euros, contre seulement 255 millions d’euros pour France Média Monde. Delphine Ernotte a rappelé au passage que pour l’audiovisuel public, « en Grande-Bretagne, c’est 5 milliards d’euros et en Allemagne, 7 milliards d’euros… » Quand en France, l’ensemble du budget de l’audiovisuel public est prévu, en 2023, à 3,8 milliards d’euros.

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