Présomption de blanchiment : « Sans sa création, beaucoup de dossiers se seraient terminés par des non-lieux et des relaxes »
Face à Raphaël Daubet et Nathalie Goulet, président et rapporteure de la commission d’enquête, les quatre magistrats ont d’abord salué le mécanisme de présomption de blanchiment. Ce dispositif juridique a été créé en 2013 à la suite de l’affaire Cahuzac. Il est prévu à l’article 324-1-1 du Code pénal et permet de présumer que les biens ou les revenus utilisés ou détenus de façon illégale proviennent d’une infraction. Ainsi, les individus détenteurs de ces biens ou capitaux doivent révéler leur origine, et ainsi prouver leur caractère licite. Carole Etienne se réjouit « d’un dispositif à la fois plus rapide et moins exigeant en termes probatoires », tandis que Vincent Raffray constate que cet outil est très utile dans les procédures judiciaires : « C’est quelque chose qui nous aide grandement, sans sa création, beaucoup de dossiers se seraient terminés par des non-lieux et des relaxes ».
Mais l’audition a principalement tourné autour des faiblesses de la lutte contre le blanchiment d’argent et plus largement de la lutte contre la criminalité économique et financière. L’absence de moyens humains et numériques alloués à leurs services, les empêchant notamment d’entreprendre et de conduire des investigations a été mise en exergue : « Il y a un manque abyssal de moyens humains, pas tellement au niveau des juridictions interrégionales spécialisées (JIRS), qu’au niveau des services d’enquêtes », signale Bertrand Rouède. Un défaut d’effectifs que la réforme de la police judiciaire, entrée en vigueur le 1er janvier 2024, n’a pas amélioré. Vincent Raffray explique qu’ « à Bordeaux, avant la réforme, la brigade de la criminalité financière comptait 23 agents, aujourd’hui, ils sont 15 ».
« Nous n’avons pas les moyens de recourir à une analyse de données de masse »
Face à une « globalisation des phénomènes », les magistrats témoignent de la nécessité de se doter d’outils numériques et d’intelligence artificielle : « En matière judiciaire, nous n’avons pas recours à l’intelligence artificielle, nous n’avons pas les moyens de recourir à une analyse de données de masse, il ne suffit plus de faire des enquêtes financières, il faut faire des enquêtes numériques », soutient Virginie Girard. La procureure adjointe près le tribunal judiciaire de Lille évoque l’affaire Encrochat, le démantèlement de cette messagerie cryptée néerlandaise qui a permis l’arrestation de 800 personnes issues de plusieurs organisations criminelles. L’ambition des magistrats serait de rejoindre les « capacités de traitement et d’analyse d’Europol », l’agence européenne de police criminelle impliquée dans la dissolution d’Encrochat.
La coopération internationale semble également être nécessaire pour assurer un meilleur suivi et davantage de répression. Pour cause, « il est très difficile de lutter contre la rapidité des transactions financières internationales, on ne peut pas suivre », regrette Vincent Raffray. Les procureurs préconisent également une meilleure collaboration entre l’administration fiscale et les autorités judiciaires, ce qui entraînerait « une réponse opérationnelle plus adaptée ». Pour Vincent Raffray, « certaines administrations pourraient remonter plus d’informations via les signalements ».
« Le blanchiment n’est traité que comme un complément »
Outre les moyens nécessaires, c’est le traitement judiciaire du blanchiment d’argent qui est remis en cause par les procureurs : « Le blanchiment n’est traité que comme un complément et ne rentre pas toujours dans la stratégie initiale des enquêteurs, car, à l’origine, pas assez d’enquêteurs financiers participent à la stratégie d’enquête dans les cas de criminalité organisée », estime Bertrand Rouède. Vincent Raffray témoigne n’avoir jamais « vu un service de police ou de gendarmerie venir voir un procureur pour lui dire qu’il y a des soupçons sur un réseau qui fait uniquement du blanchiment », ce qui, selon lui, est l’un des défauts majeurs dans la lutte contre le blanchiment ».