Il n’y a pas si longtemps Bruno Retailleau était de l’autre côté de la table des commissions du Sénat. Pour la première fois, le ministre de l’Intérieur a prêté serment devant une commission d’enquête du Sénat. Celle-ci porte sur la délinquance financière. Elle est présidée par le sénateur du Lot (groupe RDSE), Raphaël Daubet, et sa rapporteure, la sénatrice centriste, Nathalie Goulet.
Après le propos liminaire du ministre, la sénatrice a rappelé que les travaux de la commission ne portaient pas uniquement sur le narcotrafic, soulignant la « pluridisciplinarité de la criminalité organisée, tel que « le trafic de migrants, de pierres précieuses ou d’art, etc.)
Présomption anti-blanchiment
Bruno Retailleau est lui resté dans son couloir ramenant insensiblement son propos à la lutte contre le narcotrafic dont le chiffre d’affaires en France évalué entre 3 et 6 milliards d’euros dans le rapport du Sénat. « On est sûrement bien au-delà », a estimé le ministre. La proposition de loi, issue de ce rapport, votée il y a quelques semaines, comporte, en effet, un volet antiblanchiment. « On a des outils qui sont trop peu utilisés », a-t-il regretté citant la présomption de blanchiment. Une procédure qui inverse la charge de la preuve et oblige les suspects à prouver l’origine de leurs fonds ou de leurs biens.
A noter qu’une disposition de lutte contre le blanchiment a été supprimée du texte lors de son passage en commission mixte paritaire. Il s’agit de la procédure d’injonction pour richesse inexpliquée. Elle avait pour but d’obliger les personnes suspectées de trafic de stupéfiants ou de complicité, à s’expliquer sur tout écart manifeste entre leurs revenus et leur train de vie. En cas d’absence de réponse ou de réponse insuffisante, les biens pouvaient être saisis et faisaient l’objet d’une présomption de blanchiment. « Les députés ont trouvé que la procédure n’était pas assez bordée juridiquement », avait expliqué à publicsenat.fr Jérôme Durain, le rapporteur PS.
Reste d’autres mesures comme la fermeture temporaire par les préfets des commerces suspectés de blanchiment, l’interdiction du paiement en liquide des locations de voiture et bien sûr la présomption de blanchiment étendue aux « mixeurs » de cryptoactifs. « Je ne sais pas pourquoi, on l’utilise (cette procédure) très peu. Mais c’est un outil qui est fondamental », a regretté Bruno Retailleau.
Sur ce point, le ministre rappelle une piste consistant à mettre en place d’un fichier nominatif de détenteurs de cryptomonnaies ». « On doit pouvoir pousser ce point-là », a-t-il demandé reconnaissant que la question des fichiers « était délicate. », comparant cette idée à l’obligation faite aux plateformes de messageries cryptées, comme WhatsApp ou Signal, de communiquer les correspondances des narcotrafiquants. une mesure votée au Sénat dans le cadre de la loi narcotrafic avant d’être supprimée lors de la commission mixte paritaire.
Un plan national anticorruption
Le ministre de l’Intérieur a rappelé « qu’un plan intergouvernemental contre la criminalité organisée » avait été formalisé le 30 avril. « Il faut mobiliser les bailleurs sociaux, les services de sécurité sociale et les services fiscaux. C’est capital », a-t-il estimé. Un plan national anticorruption impliquant Beauvau et Bercy est « en cours de finalisation » comportera une trentaine de mesures actuellement « en cours d’arbitrage ».
En 2024, « 1,129 milliard a été saisi par la police et la gendarmerie nationale dont plus de 122 millions qui ont été saisis en lien avec des infractions à la législation sur les stupéfiants. Donc ce n’est pas majoritaire », a-t-il relevé espérant « mieux faire » à l’avenir. Il précise que la valorisation de la drogue saisie n’est pas prise en compte dans ce calcul.
La commission d’enquête rendra ses conclusions le 18 juin. La rapporteure a dit espérer qu’elles provoqueront « le même sursaut » au sein du gouvernement que celui provoqué par la commission d’enquête narcotrafic.