Ses propos, la semaine dernière, ont été pour le moins remarqués. J.D. Vance, le vice-président américain, aux côtés de Donald Trump, a torpillé en quelques mots notre armée. Au moment où la France et le Royaume-Uni recherchaient un plan de paix convenable pour l’Ukraine, avec déploiement de forces au sol, après un cessez-le-feu, J.D Vance a estimé sur Fox News que la seule assurance pour la paix en Ukraine, était d’offrir « un avantage économique aux Etats-Unis », via un accord sur les terres rares. « Ce serait une meilleure garantie de sécurité que 20.000 soldats envoyés par un pays quelconque (random country, sic), qui ne s’est pas battu depuis trente ou quarante ans », a lâché le bras droit de Donald Trump.
Face au tollé dans les deux pays visés, il tente ensuite de se rattraper, rappelant que la France et les Royaume-Uni ont « combattu courageusement aux côtés des Etats-Unis au cours des vingt dernières années et au-delà », tout en en remettant une couche… « Mais soyons francs : de nombreux pays apportent leur soutien (en privé ou en public) alors qu’ils n’ont ni l’expérience du champ de bataille, ni l’équipement militaire pour faire quoi que ce soit de significatif », soutient J.D Vance.
Si ses déclarations ont suscité quelques réactions courroucées en France, qu’en est-il vraiment ? Quel est l’Etat des forces armées françaises ? Quelles sont nos forces et nos faiblesses ? Au fond, J.D Vance n’a-t-il pas mis le doigt, de manière violente et caricaturale, sur un point sensible ?
« Ce n’est pas pour rien que le budget de la défense a quasiment doublé depuis 2017 »
La France part, il est vrai, de loin. Mais depuis 2017 et l’élection d’Emmanuel Macron, et deux lois de programmation militaire (LPM) successives, le pays a commencé à rattraper ce qui pouvait apparaitre comme un retard en matière d’armement. La LPM 2019-2025 prévoyait 295 milliards d’euros. Celle de 2024-2030, en augmentation de 40 %, met sur la table 413 milliards d’euros.
« La question de l’armée échantillonaire n’est pas nouvelle. Ce n’est pas pour rien que le budget de la défense a quasiment doublé depuis 2017, même s’il y a des reports de charges (des commandes reportées, ndlr). Mais il y a un effort de fait important, les troupes commencent à percevoir du matériel neuf », salue le sénateur LR Cédric Perrin, président de la commission des finances affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat.
« La situation de nos armées s’est nettement améliorée après deux lois de programmation militaire »
Son prédécesseur, le sénateur LR Christian Cambon, avait tiré la sonnette d’alarme à de nombreuses reprises. En 2017, lors d’un débat au Sénat, il dressait alors un sombre tableau : « Nos forces armées ont perdu entre 2008 et 2015 50.000 effectifs », « le pistolet automatique de l’armées de terre a 60 ans », « le format de la marine nationale a fondu », « les ravitailleurs de l’armée de l’air qui servent à la dissuasion nucléaire ont 55 ans, comme si nous acceptions de voyager en Caravelle » et « les hélicoptères alouettes volaient déjà à l’époque de Fantomas »…
Aujourd’hui, il ne serait pas si dur. « La situation de nos armées s’est nettement améliorée. Entre temps, il y a eu deux LPM. C’est au crédit qu’il convient de mettre au Président, car les promesses et engagements de la LPM ont été respectés. On a quand même aujourd’hui 60 milliards de budget annuel pour la défense, contre 39 milliards il n’y a pas si longtemps », souligne Christian Cambon. « On le voit par les sorties de Mirage, systématiquement remplacés par des Rafale. Il y a une nouvelle génération de sous-marin de classe Suffren, dont trois sont à la mer. On a eu les canons Caesar, les programmes Scorpion et Jaguar pour l’armée de Terre, le programme de modernisation de la dissuasion nucléaire », ajoute le sénateur LR. Reste que « les problèmes demeurent : on a l’éventail des armées nécessaires, mais on n’a pas l’épaisseur et la profondeur », pointe Christian Cambon, qui le reconnaît : « Bien sûr, qu’on est trop faibles ».
Le gouvernement ne communique plus les chiffres détaillés pour le matériel
Difficile d’avoir des chiffres précis sur l’état actuel des forces armées. Car l’Etat ne les donne plus. Une confidentialité assumée, pour ne pas donner d’informations précieuses à nos ennemis potentiels. « Depuis que Sébastien Lecornu est le ministre des Armées, il ne communique plus ces éléments au Parlement, mais uniquement aux présidents des commissions des affaires étrangères et de défense des deux assemblées. Et on n’a pas le droit de les donner. C’est un combat qu’on mène », regrette Cédric Perrin.
On connaît cependant une partie des données. La France compte environ 200.000 soldats et 44.000 réservistes. Le site de l’armée de Terre donne même des chiffres : 225 chars de combat (le char Leclerc), 79 canons Caesar mais seulement 9 LRU (lance-roquettes unitaires), 80 hélicoptères Gazelle, 69 Tigre, ou encore 215 systèmes sol-air dont 206 postes de tir Mistral.
La marine dispose de 4 sous-marins nucléaires lanceurs d’engin, 5 sous-marins nucléaires d’attaque, un porte-avions, 15 frégates et 45 avions de combat Rafale Marine. Selon 20 minutes, l’armée de l’air disposerait quant à elle d’un total de 197 avions de chasse, dont 108 Rafale. Mais derrière ces chiffres, il faut voir le nombre d’engins opérationnels à un moment donné. Quant à la dissuasion nucléaire, le nombre de têtes nucléaires serait de 290, selon Héloïse Fayet, chercheuse à l’IFRI (l’Institut français des relations internationales).
« Avec une armée échantillonaire, on n’a pas suffisamment de matériel pour faire face au retrait des Etats-Unis »
Si les chiffres sont loin d’être ridicules, l’armée française reste bien en dessous des plus grandes, en termes de quantité. « On a une armée constituée après la chute du mur, qui aujourd’hui, nécessite de monter en puissance et en volume », avance Cédric Perrin, qui confirme qu’« il y a évidemment beaucoup d’effort à faire ».
Le sénateur LR du Territoire de Belfort ajoute : « Notre problème, c’est qu’avec une armée échantillonaire, on n’a pas suffisamment de matériel pour faire ce qu’un retrait des Etats-Unis nous amènerait à faire, si on était seuls. Mais jusqu’à présent, on a toujours considéré qu’on interviendrait en coalition. Mais il est bien évident qu’il faut arriver à muscler les choses et trouver des crédits.
Munitions : « Entre 2026 et 2030, les industries françaises pourront absorber 7 milliards d’euros de commandes », selon le ministre
Il y a aussi la question cruciale des munitions. Christian Cambon, alertait encore, en mars 2022, lors du début de l’invasion russe de l’Ukraine. En cas de guerre, la France pourrait manquer de moyens « au bout de 15 jours », prévenait le sénateur LR du Val-de-Marne.
« C’était pour marquer les esprits », explique aujourd’hui Christian Cambon, mais « c’est vrai que nous manquions furieusement de munitions, qu’elles soient simples ou les missiles, ou la poudre, dont une industrie va se réinstaller en Dordogne. Maintenant, il faut remonter la pente. On la remonte », soutient l’ancien président de la commission.
Répondant la semaine dernière à une question d’actualité de la sénatrice PS Hélène Conway-Mouret, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, affirmait que « l’aide à l’Ukraine nous a permis de reprendre du muscle, notamment sur les obus de 155 mm. Le vrai segment critique sera les munitions complexes. Les missiles de défense sol-air, les missiles de frappes dans la profondeur. […] On va continuer cette remontée en puissance », assurait le ministre, qui ajoutait qu’« entre 2026 et 2030, les industries françaises pourront absorber 7 milliards d’euros de commandes ».
« Comme disent les militaires, c’est bien d’avoir des fusils, mais sans munitions pour s’entraîner, ça ne sert à rien »
« Comme disent les militaires, c’est bien d’avoir des fusils, mais sans munitions pour s’entraîner, ça ne sert à rien », résume Hélène Conway-Mouret. La sénatrice PS représentant les Français établis hors de France relève que « les industriels français ont favorisé la construction de matériels ultra-performants, de haute technologie, mais qui coûtent très cher. Quand on produit un missile Aster à 1,3 million l’unité, forcément, cette dépense a une influence sur les crédits. Pour le même prix, je ne sais pas combien on a de balles de fusil. Nous avons moins de munitions, car elles sont très performantes », avance la socialiste, qui suit les questions de défense.
Hélène Conway-Mouret explique que « ces munitions sont très bien en temps de paix », mais « en temps de guerre, on a besoin de ces munitions pour frapper en profondeur, taper loin. Mais on a besoin aussi de grande quantité. C’est la leçon principale de la guerre en Ukraine ».
Si on se projette, « en se plaçant dans 10 ans, que la Russie attaque un des pays européens et que la France réagit », alors « on aura besoin de résister, donc il faudra des stocks ». Elle insiste :