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Débat Macron-Le Pen sur les européennes : « S’il avait lieu, ça commencerait à poser un sérieux problème démocratique », analyse Bruno Cautrès 

A deux semaines du scrutin des européennes, Emmanuel Macron a déclaré être « prêt à débattre maintenant » avec Marine Le Pen. Alors que la liste de la majorité présidentielle, menée par Valérie Hayer, se fait largement distancer par celle de Jordan Bardella, le principe de la confrontation arrange-t-il les deux camps ? Quels sont les enjeux d’un tel débat ? Décryptage.
Tâm Tran Huy

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C’est une perspective évoquée depuis déjà plusieurs jours dans la presse. Mais Emmanuel Macron, ce week-end, dans les colonnes du Parisien, lui a donné un peu plus de crédit. Il accepte le principe du débat avec Marine Le Pen, il est même « prêt à débattre maintenant » avec la présidente du groupe RN à l’Assemblée nationale, circonscrivant ainsi la campagne à un duel entre le RN et la Macronie. Pourquoi une telle stratégie ? Peut-elle être efficace pour marquer des points à deux semaines du scrutin européen ?

Le débat Emmanuel Macron-Marine Le Pen peut-il avoir lieu ?

Emmanuel Macron et Marine Le Pen sont prêts à débattre. L’un et l’autre l’ont déclaré mais leur accord s’arrête là, au principe du débat. Pour les conditions, il faudra repasser car Emmanuel Macron ne veut débattre qu’avant les européennes du 9 juin et Marine Le Pen n’y est prête qu’au mois de « septembre ». La dirigeante d’extrême-droite, sur X, a aussi posé ses conditions irréalistes : si le chef de l’Etat « descend dans l’arène électorale », il doit « s’engager à en tirer les conséquences. » L’ex-candidate à la présidentielle ne réclame rien de moins que « la démission ou la dissolution de l’Assemblée nationale en cas d’échec de la liste Renaissance aux Européennes. »

De quoi donner plus d’enjeux à cette élection ? Surtout de quoi rendre ce débat quasiment impossible. Pour Stéphane, Zumsteeg, directeur du département Opinion d’Ipsos, « l’un et l’autre savent que ce débat n’aura pas lieu, car l’un et l’autre fixent des conditions inacceptables ». Mais tous deux sont réunis par « une conjonction d’intérêts » : le président de la République comme la dirigeante RN ont tout avantage à résumer l’élection européenne à un duel entre leurs deux partis. « Ça serait un copié-collé de la dernière élection européenne, qui a opposé, il y a 5 ans, optimistes progressistes et nationalistes négatifs. » La stratégie avait alors plutôt réussi au camp présidentiel et permis à Nathalie Loiseau d’atteindre 22,42 % des suffrages, moins d’un point derrière celle du RN.

L’entrée en campagne d’Emmanuel Macron peut-elle inverser la donne ?

Dans son avion retour de Nouvelle-Calédonie, le président de la République s’est donc positionné en première ligne des Européennes. Le lendemain, en plein voyage d’Etat en Allemagne, il indique vouloir s’engager dans les élections européennes « pour démasquer les idées du Rassemblement national », faisant de l’extrême-droite son unique adversaire et se plaçant au centre du jeu. Cette stratégie peut-elle aboutir ? Jusqu’ici, elle a fait chou blanc : le Président de la République devait susciter l’enthousiasme avec son discours de la Sorbonne 2, le 25 avril dernier, mais Stéphane Zumsteeg constate que cette séquence dont la Macronie attendait « monts et merveilles » n’a tout simplement pas imprimé.

Alors une nouvelle descente dans l’arène de la campagne peut-elle mieux réussir ? Elle est vouée à l’échec pour le politologue Bruno Cautrès qui souligne l’impopularité actuelle du chef de l’Etat : « il mesure mal dans l’opinion la lassitude des Français à l’égard du style de communication des Macronistes. » Selon lui, même si le débat avait lieu et qu’Emmanuel Macron l’emportait sur le fond, il ne serait pas certain d’engranger des bénéfices électoraux, tant le rejet est fort. « La volonté de vote sanction à l’égard de Macron est plus forte qu’il y a 5 ans » souligne aussi Stéphane Zumsteeg qui rappelle le contexte des Européennes de 2019. Emmanuel Macron était alors parvenu à sortir du mouvement des Gilets jaunes et à se remettre en selle grâce au Grand débat. Aujourd’hui, le contexte est très différent : « La parole présidentielle est démonétisée » résume le sondeur.

Malgré tout, Emmanuel Macron cherche à reconquérir son électorat perdu. L’écart entre l’élection présidentielle de 2022, où il avait remporté 28 % des voix au premier tour, et les intentions de vote aux Européennes est gigantesque. La liste de Valérie Hayer avoisine aujourd’hui les 16 %. Où sont passés les électeurs de la présidentielle ? Stéphane Zumsteeg rappelle tout d’abord une règle : tous les partis perdent des électeurs, car la participation aux élections européennes est traditionnellement plus basse qu’à la présidentielle. Mais il distingue la situation particulièrement compliquée de la Macronie : « Tout le monde perd des électeurs, mais Renaissance en perd beaucoup plus. Les fuites vont un peu à droite, même un peu au Rassemblement national (la digue a sauté pour l’électorat sénior) mais surtout chez Raphaël Glucksmann. »

Un duel pour invisibiliser les autres partis

« Sauver la place de numéro 2 le 9 juin », c’est le principal objectif de la séquence pour Bruno Cautrès. Compte tenu des écarts avec Jordan Bardella, la victoire paraît hors de portée pour Valérie Hayer, mais l’objectif n’est pas là selon le politologue : « S’ils finissent troisième, c’est une gigantesque catastrophe politique pour l’exécutif. Le sentiment serait alors donné que l’exécutif ne serait pas suivi par le pays sur les questions européennes. »

Alors le duel a-t-il surtout pour objectif de faire oublier les autres têtes de listes ? Après le débat entre Jordan Bardella et Gabriel Attal, François-Xavier Bellamy a poussé un coup de gueule très remarqué pour protester contre ce face-à-face installé par la Macronie, le RN et les médias.

Cinq millions de vues sur X plus tard, la sortie du candidat LR a été saluée par les nombreux exclus du débat, quel que soit leur camp. Raphaël Glucksmann, au coude-à-coude avec Valérie Hayer, n’aurait pas dit mieux. Ce dimanche, sur LCI, la tête de liste PS-Place Publique s’est insurgée face à la proposition du président de la République : « Il cherche à kidnapper cette élection, à faire de cette élection européenne un duel entre lui et l’extrême-droite. » « Si ce débat avait lieu, ça commencerait à poser un sérieux problème démocratique » estime aussi le politologue Bruno Cautrès. 

Le RN qui gagne en légitimité d’élection en élection

En attendant, le RN est plus que jamais au centre du jeu et semble presque dicter leur agenda aux candidats. Et la stratégie du camp présidentiel n’y est pas pour rien : « Le paradoxe, c’est qu’en voulant le défier, l’exécutif le met sur un piédestal. En voulant le délégitimer, on le crédibilise » analyse Bruno Cautrès. Le politologue trouve aussi que la réponse apportée par Marine Le Pen à la proposition de débat présidentiel a permis à la dirigeante du RN de marquer des points : « L’objection de Marine Le Pen n’est pas absurde, pas dénuée de fondement. La Constitution donne au chef de l’Etat un rôle d’arbitre au-dessus des partis. S’il endosse les habits de la campagne électorale, il sort de son rôle, reprend celui de 2022 où il mettait son mandat en jeu. » 

D’élection en élection, le Rassemblement national grimpe dans les sondages, les intentions de vote ne font que le confirmer. « Si le RN passe bien la barre des 30%, ça sera un coup de tonnerre » estime Stéphane Zumsteeg qui démonte, au passage certaines idées reçues sur cette élection européenne, trop souvent présentée comme un scrutin qui n’intéresse personne. « C’est erroné de dire cela. Ce qu’on a aujourd’hui sur les indices de mobilisation, c’est 45% de participation. En 2019, on était arrivé à 50%, ce qui est plus élevé qu’aux dernières législatives. Et le sujet européen est revenu sur le devant de la scène à travers de nombreux sujets : inflation, COVID, Ukraine… » 

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