La porte-parole du gouvernement Maud Bregeon a assuré ce mercredi à la sortie du Conseil des ministres qu’Emmanuel Macron a acté qu’il n’y avait pour le moment pas « de socle plus large que celui qui est en place aujourd’hui » pour gouverner. Mais, après les consultations des responsables de partis mardi, « le président continue à écouter et à tendre la main ».
Débat entre Gabriel Attal et Jordan Bardella : le « meilleur atout » de la liste Hayer… ou son « désaveu » ?
Par François Vignal
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Un débat télévisé peut-il changer une campagne électorale ? Le duel organisé jeudi 23 mai, sur France 2, entre le premier ministre Gabriel Attal et la tête de liste du Rassemblement national (RN), Jordan Bardella, suscite autant d’attentes que de crispations. Alors que la campagne de la liste de la majorité présidentielle, menée par Valérie Hayer, peine depuis des semaines à décoller, la majorité appelle à la rescousse Gabriel Attal. Certains l’avaient déjà vu, dès sa nomination à Matignon, comme une arme anti-Bardella.
« Il faut qu’on parle de nous, il reste peu de temps »
A un peu plus de deux semaines de l’élection, c’est le moment ou jamais. « Il faut qu’on parle de nous, il reste peu de temps. En cette fin de campagne, il faut envoyer un message très positif sur l’Europe, montrer ce qu’elle apporte. Et montrer que lui, ne sert à rien », avance un responsable de la majorité présidentielle, qui ajoute qu’« il faut que notre électorat entende un message qui lui donne envie de voter ».
Face à un « Jordan Bardella qui essaie de créer une coagulation des votes anti-Macron pour faire de l’élection un référendum contre le Président », le sénateur Renaissance François Patriat, à la tête du groupe macroniste du Sénat, pense qu’il « faut faire preuve de pragmatisme ». Surtout, « il ne s’agit pas de relancer la campagne, mais de mobiliser l’électorat qui soutient la majorité présidentielle, qui doit absolument venir voter », avance le président du groupe RDPI.
Les deux hommes se connaissent pour s’être croisés sur les plateaux télés. « Ils ont déjà fait cinq ou six débats ensemble. Ils ont l’habitude de se rencontrer », relève un responsable de la campagne de Valérie Hayer, qui mise sur le jeune âge du candidat RN et sur une certaine fragilité de Jordan Bardella, que ses adversaires espèrent pousser à la faute :
« La confrontation Attal/Bardella permettra de faire entrer le pays dans la campagne »
Le même pense que le locataire de Matignon pourra donner un vrai coup de pouce à la campagne, et permettre de remonter la pente. « Le Premier ministre est l’un de nos meilleurs atouts dans la campagne, avec le Président. Beaucoup de Français le trouvent encore populaire. Et le troisième atout, ça reste Valérie Hayer, par sa sincérité, son engagement », avance cette tête pensante de la campagne. Pour les stratèges de la majorité, « la confrontation Attal/Bardella permettra de faire entrer le pays dans la campagne. D’où l’engagement du premier ministre. Le débat est important car ça va braquer les projecteurs sur la campagne ».
Cette confrontation permet aussi à la majorité présidentielle de rejouer sa carte favorite : nous ou le chaos. « La raison », face à l’extrême droite et « l’obscurantisme », comme avaient lancé les macronistes lors de leur rentrée parlementaire, en 2021, en vue de la présidentielle. Dès 2017, Emmanuel Macron expliquait au Point avoir conscience d’être « le dernier recours » face à l’extrême droite. L’idée fonctionne-t-elle toujours ? « Cela marche encore. On fait de la politique avec une histoire », relève un responsable de la majorité de l’Assemblée, pour qui « il ne faut pas trop s’affoler et rester fidèle à ses idées ». Pour François Patriat, « il ne s’agit pas de jouer sur les peurs. Mais qui est le mieux placé pour faire avancer les problèmes en Europe ? L’extrême droite ou la majorité qui veut que l’Europe avance ? » demande le sénateur de la Côte-d’Or.
« Nous sommes un formidable agent publicitaire de Bardella »
Pour certains, il ne faut pas trop attendre non plus de la confrontation de jeudi. « Le débat est un moment politique important, mais ça ne sera pas un game changer. Après, un épisode chasse un autre tout de suite », tempère un chapeau à plume macroniste. « Gabriel Attal a les moyens de mettre Jordan Bardella dans les cordes, en difficulté. Mais ça ne veut pas dire que ça change quoi que ce soit à la campagne », minimise carrément un député Renaissance.
Ce macroniste historique va plus loin. Pour lui, jouer le duel avec l’extrême droite se retourne même contre son propre camp. « Spontanément, je ne pense pas du bien du débat. Nous sommes un formidable agent publicitaire de Bardella. En jouant le camp de la responsabilité face à celui de l’irresponsabilité, on renforce celui de l’irresponsabilité », confie ce député de la majorité.
« C’est le signe que c’est panique à bord. La campagne Hayer ne prend pas », pointe Thierry Mariani
Au RN, on voit bien sûr son avantage à un tel débat. « Que le chef du gouvernement débatte avec le Président du premier parti d’opposition, dans le cadre des élections européennes, il n’y a rien d’anormal », pour Julien Odoul, porte-parole du RN. Surtout, pour le député de l’Yonne, « c’est un désaveu de la liste Hayer, que ce ne soit pas elle. Vu l’expérience du débat qu’elle avait fait avec Jordan Bardella, ils sont obligés et contraints d’envoyer le premier ministre ». « C’est le signe que c’est panique à bord. La campagne Hayer ne prend pas », ajoute l’eurodéputé sortant RN, Thierry Mariani. Pour celui qui est en neuvième place sur la liste, « on tente tout pour sauver le soldat Hayer et cette campagne du naufrage ».
« On estime que c’est important. C’est l’occasion de confronter notre projet au bilan d’Attal et de Macron », souligne pour sa part Gilles Pennelle, directeur général du RN, en quinzième position sur la liste. Le RN entend déjà faire du premier ministre un fusible, en cas de mauvais score :
« Je ne vois pas l’intérêt de Gabriel Attal de faire monter encore le RN » affirme Gilles Pennelle
« C’est plutôt Attal qui a tout à perdre. On est sur un mythe Attal qui devait être l’arme anti-Bardella. Mais c’est un pistolet à eau » tacle Thierry Mariani. Les macronistes ne font-ils pas aussi un cadeau au RN, en jouant le duel ? « Je ne vois pas l’intérêt de Gabriel Attal de faire monter encore le RN », lâche Gilles Pennelle, « c’est sauve-qui-peut, il n’y a plus que lui sur le bateau qui est en train de couler. Ils envoient leurs dernières forces. Mais ça montre un profond désarroi dans le camp macroniste, ce n’est pas un cadeau qu’on fait au RN ».
Si les opposants à Jordan Bardella veulent pointer ses faiblesses, « derrière le vernis », Julien Odoul assure n’avoir « aucune crainte, sachant qu’ils ont déjà débattu ensemble. L’objectif de ce débat, c’est de montrer combien les choix qui ont été mis en œuvre depuis 2017 se sont révélés calamiteux ». Le porte-parole du RN ajoute que « le seul fait d’armes de Gabriel Attal, qui explique pourquoi il bénéficie d’une relative bonne opinion, c’est la reprise des positions du RN sur l’interdiction de l’Abaya et l’uniforme à l’école ».
A deux jours du débat, la direction du RN vient aussi de prendre une décision qui enlève un angle d’attaque au camp macroniste : le parti rompt avec l’AfD, la formation d’extrême droite allemande, dont la tête de liste avait déclaré qu’un « SS n’était pas automatiquement un criminel ». « Marine Le Pen et Jordan Bardella ont annoncé une rupture avec l’AfD », explique Gille Pennelle, confirmant une information de Libération. « On ne peut plus supporter ce genre de propos, que nous condamnons avec la plus grande force. Et on en tire les conséquences. Ce ne sont pas nos partenaires pour l’avenir, c’est impossible. L’AfD ne fera pas partie du groupe ID, notre groupe au Parlement européen », affirme le directeur général du RN.
« Le service public, c’est le service du public. Ce n’est pas le service du gouvernement », dénonce Raphaël Glucksmann
S’il suscite quelques espoirs malgré tout pour la majorité, on ne verra donc, lors du débat, aucun autre candidat : ni François-Xavier Bellamy (LR), ni Manon Aubry (LFI), ni Marie Toussaint (Les Ecologistes), ni Raphaël Glucksmann. La tête de liste PS/Place Publique est celui qui dénonce avec le plus de verve ce mano à mano. Et pour cause : il est au coude à coude avec la liste Hayer dans de nombreux sondages, au point d’ouvrir la porte à un croisement des courbes qui changerait beaucoup de choses.
Invité de la matinale de Public Sénat vendredi dernier, Raphaël Glucksmann a dénoncé avec force ce choix, mettant directement en cause France Télévisions et sous entendant que la chaîne cherchait à favoriser la liste Renaissance. « Dans tous les sondages, on est à touche-touche avec la liste Hayer. Au nom de quoi on restaure ce duel-là ? […] Est-ce que c’est le rôle du service public d’organiser un tel débat, aussi proche de l’élection ? Le service public, c’est le service du public. Ce n’est pas le service du gouvernement. J’ai bien compris que les stratèges de l’Elysée veulent absolument nous faire gober que cette élection serait un match entre la droite et l’extrême droite », a dénoncé Raphaël Glucksmann. Regardez :
De son côté, le premier secrétaire du PS, Olivier Faure, s’est insurgé de l’organisation du débat dans un courrier envoyé à l’Arcom, le régulateur de l’audiovisuel, y voyant un « problème démocratique fondamental ».
« Je trouve très problématique, en termes d’égalité femme-homme, que la tête de liste soit en permanence invisibilisée, soit par Macron, soit par Attal », soutient Aurore Lalucq
Aurore Lalucq, porte-parole de la liste PS/Place Publique, voit aussi dans ce choix du sexisme. « Il y a une tête de liste qui s’appelle Valérie Hayer. Je comprends que pour les hommes, ce soit difficile à supporter, mais soit c’est un débat européen, et dans ce cas, c’est Valérie Hayer qui est légitime et devrait être là. Soit il s’agit d’autre chose et dans ce cas, c’est problématique. Je trouve très problématique, en termes d’égalité femme-homme, que la tête de liste soit en permanence invisibilisée, soit par Macron, soit par Attal. Je suis profondément choquée », dénonce ce mardi cette proche de Raphaël Glucksmann.
Evoquant l’annulation d’un débat en Italie entre la cheffe du gouvernement d’extrême droite, Giorgia Meloni, et la cheffe de l’opposition Elly Schlein, par le régulateur italien, celle qui occupe la quatrième place de la liste ajoute :
Aurore Lalucq s’étonne aussi que « tout le monde cherche à nationaliser voire à présidentialiser l’élection, alors que la seule question qui vaille, c’est quelle Europe voulons-nous ? » « Par ailleurs, il y a des débats de tête de liste, ça devrait se faire dans ce cadre. Pourquoi on cherche à nous réimposer ce duel qui est devenu un duo ? Renaissance a théorisé le fait qu’ils sont des remparts contre l’extrême droite et ils essaient de rejouer ce duel. Mais ce duo est en train d’étouffer la démocratie, comme s’il n’y avait pas d’alternative ». Au final, « rien ne va dans ce débat », conclut la porte-parole. Les audiences diront s’il suscite au moins de l’intérêt chez les électeurs.
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