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« DEA à la française », statut du repenti, nouveau parquet national : que contient le texte sur le narcotrafic examiné ce mardi au Sénat ?

A partir de mardi 28 janvier, le Sénat examine la proposition de loi visant à sortir la France du piège du narcotrafic. Le texte est issu des recommandations de la commission d’enquête de la Haute Assemblée sur le sujet qui avait dévoilé une menace préoccupante, et laissant craindre un basculement de la France vers un « narco-Etat ».
Simon Barbarit

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Moins d’un an après les conclusions de la commission d’enquête lancée à l’initiative du groupe Les Républicains, le Sénat s’apprête à examiner la proposition de loi qui en est sortie. En juillet dernier, alors que le gouvernement démissionnaire était cantonné à la gestion des affaires courantes, le rapporteur, Etienne Blanc (LR), et le président Jérôme Durain (PS) de la commission d’enquête déposaient leur proposition de loi transpartisane reprenant une large partie des 35 recommandations qu’ils avaient formulées. « On n’est pas dans un narco-Etat, mais on s’approche d’un affaiblissement de la puissance publique et ça, c’est le signe d’un narco-Etat », avait mis en garde Etienne Blanc en présentant les conclusions de son rapport.

Cet automne, le nouveau ministre de l’Intérieur du gouvernement Barnier, par ailleurs ancien chef de file de la droite sénatoriale, Bruno Retailleau érigeait la lutte contre le narcotrafic, en « cause nationale ». Pour « faire front commun » et à agir « vite », la proposition de loi du Sénat en sera le véhicule législatif.

A partir de mardi 28 janvier et pendant trois jours, les élus de la chambre haute vont examiner ce texte d’une vingtaine d’articles, comportant de nouveaux outils pour pallier « l’asymétrie entre les trafiquants et les services répressifs nationaux ».

« DEA à la française »

Parmi les points forts de la proposition de loi, on retrouve à l’article 1, le renforcement de l’Office antistupéfiants (Ofast) structuré en une véritable « DEA à la française » (l’agence américaine de lutte contre la drogue, ndlr). L’office serait placé « sous la double tutelle des ministères de l’intérieur et de l’économie et des finances » avec « une compétence exclusive sur les crimes liés au narcotrafic, ainsi qu’un pouvoir d’évocation sur l’ensemble des enquêtes ».

L’Ofast serait aussi placé en surplomb d’un futur parquet national (article 2) que la commission d’enquête estimait indispensable. Il serait l’équivalent judiciaire de l’Ofast rénové. Le nouveau parquet aurait pour compétence la lutte contre le narcotrafic du « haut du spectre ». Pour ce faire, il disposerait d’un monopole sur la gestion des « repentis » et des futurs informateurs « civils ». A noter qu’un amendement des rapporteurs du texte, Jérôme Durain (PS) et Muriel Jourda (LR) remplace le parquent national antistupéfiants (Pnast), en parquet national anticriminalité (Pnaco). Une appellation plus large qui correspond mieux à la porosité entre le trafic de stupéfiants, le trafic d’êtres humains, le trafic d’armes. La création du Pnaco fait l’objet d’une proposition de loi organique que les sénateurs examineront dans la foulée.

Frapper les narcotrafiquants au portefeuille

Les articles 3 à 5 visent à renforcer la lutte contre le blanchiment. L’article 4 prévoit, à ce titre, de systématiser les enquêtes patrimoniales dans le cadre des investigations relatives au narcotrafic et, d’autre part, de créer une nouvelle procédure d’injonction pour richesse inexpliquée. Frapper les narcotrafiquants au portefeuille était une ligne directrice forte des conclusions de la commission d’enquête. « La seule fois où j’ai vu pleurer un trafiquant, ce n’est pas quand on lui a annoncé la décision de justice mais quand on a annoncé qu’on saisissait sa maison », avait confié un policier auditionné par les élus.

Suivent des articles plus « techniques » sur l’amélioration de l’arsenal pénal face au phénomène d’« ubérisation » du trafic. Une disposition étend, par exemple, les prérogatives dont dispose la cellule Pharos pour demander le retrait et le déréférencement de contenus relatifs à l’offre ou à la cession de stupéfiants, dans les mêmes conditions que pour les contenus à caractère terroriste ou pédopornographique.

Réforme du statut de repenti

Autre point fort du texte : la réforme de la procédure pénale. S’inspirant de la législation italienne « anti-mafia », les sénateurs souhaitent réformer le statut des repentis (article 14) qu’ils jugent insuffisamment exploité en France. Les élus ont pris conscience, lors de leurs travaux, qu’un « informateur n’est pas celui qui est innocent de toute infraction ». C’est pourquoi, ils proposent d’étendre le statut de repenti à ceux qui ont commis des crimes de sang, avec une meilleure garantie de la réduction de peine.

Un amendement des rapporteurs ouvre la possibilité de recourir aux dispositifs des « repentis » en matière de trafic d’armes. Il crée également un système d’immunité de poursuites, décidé à titre exceptionnel et par les seuls magistrats spécialisés.

De même, le Sénat souhaite révolutionner le statut des informateurs transformé sous leur plume, en infiltrés civils (à distinguer des policiers ou gendarmes infiltrés) en contrepartie d’une complète immunité pénale, sous réserve de respecter des conditions strictes (article 19).

Le rapporteur de la commission d’enquête et co-auteur de la proposition de loi, Etienne Blanc (LR) s’inquiétait du risque pour les policiers infiltrés « d’être accusés de laisser perdurer l’infraction, d’être complices, coauteurs voire d’inciter à la commission de l’infraction ». Un amendement des deux rapporteurs à l’article 17 écarte le risque de poursuite lorsque l’infraction est déjà préparée ou a débuté « au moment où le magistrat compétent a autorisé le lancement de l’infiltration »

Nullités des procédures « provoquées » par certains avocats

L’article 20 vise à limiter le poids des nullités « provoquées » par certains avocats de narcotrafiquants. « Vous avez des détenus qui envoient des dossiers de plus de 150 pages au magistrat instructeur. A l’intérieur, il y a une phrase où il demande sa remise en liberté. Si on ne la voit pas et donc on n’y répond pas dans les délais, le détenu sort », avait expliqué en novembre dernier à publicsenat.fr, Aurélien Martini, secrétaire général adjoint de l’Union Syndicale des Magistrats (USM). C’est pourquoi le texte propose d’écarter par principe le prononcé d’une nullité lorsque celle-ci résulte d’une négligence ou d’une manœuvre de la partie qui l’invoque.

L’article 16 instaure ce qu’on appelle « un dossier coffre » dénoncé par le Conseil national des Barreaux comme « une atteinte au principe du contradictoire et aux « droits de la défense ». Ce dossier coffre ou « procès-verbal distinct », sous le contrôle d’une collégialité de magistrats, a, en effet, pour but de soustraire au contradictoire certains éléments de procédure pour les techniques spéciales d’enquête les plus sensibles, comme le recours à des technologies de pointe, d’écoutes ou de balisages.

Les dernières dispositions prévoient une série de mesures visant à renforcer les moyens juridiques de la politique de lutte contre la corruption dans les administrations sensibles. On trouve aussi une série de mesures visant à sécuriser les établissements pénitentiaires en autorisant, par exemple, les drones aux fins de prévenir l’introduction d’objets prohibés. Enfin, l’article 24 ouvre la possibilité de prononcer des interdictions administratives de paraître sur les points de deal. Un amendement des rapporteurs adopté en commission ouvre, de plus, la possibilité au préfet d’expulser de son logement, une personne impliquée dans un trafic de stupéfiants, si son logement est situé dans la zone d’interdiction de paraître.

 

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