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Dans les Alpes-Maritimes, un afflux de migrants mineurs qui pèse sur le département
Par Jérôme Rabier
Publié le
C’est devenu une routine, un ballet qui se répète à chaque arrivée d’un train en gare de Menton-Garavan. La police, présente en nombre, pénètre dans les wagons voyageurs et contrôle l’identité des passagers. « 365 jours par an, l’ensemble des trains sont contrôlés, qu’ils soient de voyageurs ou de fret », annonce Vincent Kasprzyk, commandant divisionnaire de la police aux frontières de Menton. « 70 à 80% des entrées irrégulières dans le département des Alpes-Maritimes se font par ce point de passage ferroviaire situé à moins de 8km de Vintimille » précise-t-il, annonçant un total de 37 664 interpellations depuis le début de l’année dans ce seul département.
Une obligation de protection pour les mineurs
En cas d’interpellations en gare, une première procédure se met immédiatement en place. Les majeurs d’un côté, les mineurs de l’autre. Car le traitement ne sera pas le même en fonction de leur statut comme l’explique Vincent Kasprzyk : « Le majeur est non-admis sur le territoire. On lui notifie un refus d’entrer et on le renvoie en Italie. Le mineur, lui, est sous notre protection et après sous la protection du département. Mais le temps qu’il est dans nos locaux, on a un espace dédié aux mineurs, dans lequel on va attendre la prise en charge par le conseil départemental ». Et cette année, le nombre de personnes se présentant comme mineurs explose. 14% du total des interpellés, contre 9% l’an dernier. « Ils soulèvent un totem d’immunité, car ils savent qu’ils ne sont pas expulsable en se présentant ainsi » ajoute le commandant, qui cite le cas de personnes donnant des années de naissance factices et qui sont incapables d’y associer l’âge correspondant.
Une première appréciation de la minorité
Pour éviter ces abus, une expérimentation est menée au sein même des locaux de la Police aux frontières (PAF). Ceux qui se présentent comme mineurs doivent passer un premier entretien avec des personnels qui dépendent du département, « une appréciation de la minorité ». « Les personnes sont interrogées sur leurs conditions de vie au pays, sur leur parcours migratoire, leur autonomie, le but étant de réunir le faisceau d’indices nécessaire pour rendre un avis aux services de la Police aux frontières », explique Morgane Milliasseau-Flaunet, responsable de la section appréciation, mise à l’abri et évaluation des mineurs non accompagnés au Conseil départemental des Alpes-Maritimes. Cet avis est ensuite donné à la PAF, qui prend seule la décision de reconduire en Italie ceux qu’elle considère majeures. Un premier filtre qui a conduit à écarter dès cette étape environ 450 personnes depuis le début de l’année. Pour les plus de 6200 personnes qui ont franchi cet obstacle depuis le 1er janvier, la procédure continue.
Une mise à l’abri systématique
La PAF les confie alors aux services du département ou à des associations qui opèrent pour la collectivité. La première étape est la mise à l’abri de ces mineurs, dont l’échelon départemental a la charge, comme pour l’ensemble des actions de protection de l’enfance. C’est l’étape la plus lourde, puisqu’il faut en permanence disposer de centaines de places disponibles pour les héberger. « Nous avons environ 500 places ouvertes pour les héberger. Soit dans des structures pérennes du département, soit, au vu de l’afflux massif de cette année, dans des hôtels avec qui on négocie des places et qui peut aller jusqu’à la privatisation complète d’un établissement » explique Annie Seksik, directrice de l’Enfance au Conseil départemental. Cette année, des demandes de réquisition ont également été demandées au préfet pour faire face à des périodes d’arrivées massives. Lors de cet hébergement d’urgence, un premier examen médical doit aussi avoir lieu pour s’assurer de leur bonne condition de santé, ou déceler des prises en charge nécessaires.
Un tiers des personnes déboutées
Vient ensuite un nouveau filtre, environ 48 heures après leur arrivée. Avec une évaluation approfondie de leur minorité, bien plus détaillée que l’examen d’appréciation réalisée dans les locaux de la PAF. Des personnels mandatés par le département leur font passer un entretien d’une heure à une heure trente. « On a une grille d’évaluation qui reprend leur parcours, leur histoire familiale, les raisons de leur départ, et leur projet éventuel en France, avec l’appui d’un service de traduction pour ceux, nombreux, qui ne maitrisent pas le français », explique Annie Seksik. Qui évoque un chiffre « d’une personne sur trois qui est déclarée majeure à l’issue des cette évaluation, conforme à la moyenne nationale, et qui sont donc exclues de la prise en charge du Conseil départemental ».
Des fugues massives
Mais cela ne veut pas dire qu’ils seront tous pris en charge, car une grande majorité fuguent entre leur sortie des locaux de la PAF et l’entretien d’évaluation de la minorité, ou juste après. La plupart pour continuer leur parcours migratoire ailleurs en France, mais surtout à l’étranger, avec le Royaume-Uni comme principal rêve. Finalement, ils ne sont plus que quelques centaines à devoir être confiés par un juge à un conseil départemental. Sur ceux encore présents, la moitié sera confiée par le juge à un autre département au nom de la solidarité nationale. Les équipes du conseil départemental des Alpes-Maritimes doivent alors s’assurer du transport et de l’accueil à bon port du mineur non accompagné, même si certains départements rechignent à en récupérer la charge.
L’autre moitié est confiée au département des Alpes-Maritimes, qui a actuellement 460 mineurs non accompagnés confiés à ses services, et pour lesquels ils doivent gérer tous les aspects de leur vie. « On intervient sur la question du logement, de leur scolarité, de leur formation, des actes administratifs, de leur santé, et on les prépare à leur autonomie, jusqu’à au moins leurs 18 ans » détaille Annie Seksik.
Une explosion des dépenses
Pour gérer cette prise en charge des mineurs non accompagnés, depuis leur arrestation à la frontière jusqu’à leur éventuel suivi jusqu’à leurs 18 ans, le département des Alpes-Maritimes dépense beaucoup, et de plus en plus. « Le service dédié aux mineurs non accompagnés est passé de trois agents en 2018 à plus de quarante aujourd’hui » appuie Annie Seksik. Et les crédits alloués ont suivi une courbe tout aussi impressionnante « passant de 13 millions d’euros en 2022 à 28 millions d’euros en 2023 », détaille Auguste Verola, vice-président de la collectivité en charge notamment de l’Enfance. Mais pour lui comme pour l’ensemble des départements, la situation n’est plus tenable. « C’est un problème migratoire qui est un problème d’État, donc soit l’État prend en charge cet accueil, soit il nous donne davantage de moyens pour le faire », poursuit-il. La réalité de la demande des départements est plus nuancée. Ils espèrent une renationalisation par l’Etat de la première étape de mise à l’abri des personnes se déclarant mineures, et de l’évaluation de leur minorité. En revanche ils sont pour la plupart prêt à continuer leur mission de prise en charge une fois la minorité avérée, comme ils le font pour tous les mineurs, étrangers ou non, dont ils ont la charge au nom de la protection de l’Enfance.
Des sénateurs voulaient relayer ces demandes lors de l’examen du projet de loi Asile et immigration au Sénat. Mais engendrant de nouvelles dépenses, leurs amendements ont été rejetés avant le débat dans l’hémicycle, en commission. Seules des demandes de rapport sur une renationalisation partielle seront débattues. Et ces demandes viennent de tous bords politiques, preuve que les inquiétudes des départements sur la prise en charge des mineurs non accompagnés sont entendues au Palais du Luxembourg.
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