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Crimes de guerre : « la France doit nous aider pour mener ces enquêtes », selon la directrice d’Amnesty International Ukraine
Par Louis Dubar
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En visite le 13 avril dernier, dans la ville martyre de Boutcha, le procureur général de la Cour Pénale Internationale (CPI), le Britannique Karim Khan avait estimé que toute « l’Ukraine est une scène de crime. » Depuis le déclenchement de « l’opération militaire spéciale » le 24 février par Vladimir Poutine, organisations non gouvernementales (ONG), autorités ukrainiennes et organisations internationales accusent les forces armées russes d’exécutions extrajudiciaires, de pillages, de massacres de civils non armés et d’actes de tortures. Depuis le début de l’invasion russe, « Amnesty a publié dix études décrivant les violations des lois de la guerre et des droits humains. Nous avons pu confirmer des faits comme l’utilisation d’armes à sous-munitions », précise Oksana Pokalchuk, directrice d’Amnesty Ukraine.
L’Ukraine, une « scène de crime »
Plus de quatre mois depuis le début de la guerre, le nombre précis de victimes civiles demeure inconnu. Le Haut-Commissariat aux droits de l’Homme des Nations Unies (HCDH) a recensé le 1er juin, 4 169 civils tués dont 268 enfants. « Derrière chacun de ces chiffres se cache une vie humaine, nous devons faire tout notre possible pour que justice soit faite », prévient Oksana Pokalchuk, directrice d’Amnesty International Ukraine. Selon la dirigeante de l’antenne locale d’Amnesty International, le système judiciaire ukrainien ne dispose pas des capacités pour répondre aux milliers d’enquêtes en cours sur les possibles crimes de guerre commis par la Fédération de Russie en Ukraine. Fin avril 2022, la procureure générale d’Ukraine, Iryna Venediktova, évoquait au Monde plus de 7 000 enquêtes lancées par les services de la magistrate. « On parle d’un nombre considérable de victimes, il y a un problème évident de capacités », précise Mazen Darwish, directeur du Centre syrien pour les médias et les droits humains, une ONG syrienne basée dans l’Hexagone. La directrice d’Amnesty International Ukraine attend également des autorités françaises une intensification de la coopération judiciaire entre Paris et Kyiv. « Certains pays pensent que la Russie ne mène pas une guerre d’agression. C’est pour cette raison que la France doit nous aider pour mener ces enquêtes. […] Sans l’aide de la France, il sera difficile de remporter cette guerre de l’information. » En avril 2022, plusieurs experts de l’Institut de Recherches criminelles de la Gendarmerie nationale (IRCGN) s’étaient rendus à Boutcha pour enquêter et apporter leur expertise. « Il est important que la France puisse mener des enquêtes », indique-t-elle.
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Face à cette tâche titanesque de rendre justice dans un pays touché par la guerre, plusieurs questions se posent. Comment enquêter efficacement sur autant d’affaires ? Comment lutter efficacement contre l’impunité ? « La CPI n’est pas une organisation magique », prévient Mazen Darwish qui a récemment participé à une mission d’enquête d’Amnesty Internationale. « Il est important de compter sur les autres », estime-t-il.
La France s’est créée au fil des années un « arsenal juridique, complexe, et illisible »
Pour Amnesty International, il est essentiel que les autres pays du globe, notamment la France, s’engagent dans la poursuite des criminels internationaux. « Nous appelons les dirigeants politiques Français à un sursaut pour donner à la justice française les moyens de poursuivre les criminels. La France ne doit pas devenir un havre de paix pour les bourreaux », prévient Jean-Claude Samouiller, nouveau président d’Amnesty International France. Cette « lutte contre l’impunité et l’immunité » des criminels internationaux peut s’effectuer au nom de la « compétence universelle » en matière de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité. Grâce à ce principe inscrit dans la convention de Rome, la France serait compétente « de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux » même lorsque ces derniers n’ont pas été commis sur son territoire.
Toutefois, selon Jeanne Sulzer, la France s’est créée au fil des années un « arsenal juridique, complexe, et illisible » qui empêche une application efficace du principe compétence universelle. Mis en examen dans le dossier « César » en février 2019 pour « complicité de crimes contre l’humanité », Abdulhamid Chaban, bourreau présumé dans les prisons du régime de Bachar Al Assad, ne sera finalement jamais jugé. Dans son arrêt du 24 novembre 2021, la Cour de Cassation estime incompétent les tribunaux français pour juger un ressortissant un syrien pour crimes contre l’humanité. La raison invoquée par la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire est que « cette incrimination ne figure pas dans le droit syrien », une lecture littérale de la loi de 2010, mettant en œuvre le statut de la CPI dans le droit français.
Amnesty International plaide également pour la suppression de plusieurs « verrous » cumulatifs empêchant une application de la compétence universelle : « Il ne suffit pas que l’auteur présumé des faits soit présent en France. Ce dernier doit disposer d’une résidence habituelle sur le territoire national » Autre facteur ralentissant la pratique de la compétence universelle du droit français est le principe de « double incrimination. » « Les autorités françaises jugent nécessaire l’existence dans le droit du pays d’origine, d’une incrimination comparable à celle du droit français. » Enfin Jeanne Sulzer demande également de mettre fin au « monopole des poursuites des crimes de guerre et contre l’humanité par un pôle du parquet consacré aux grands crimes internationaux », privant les victimes d’accès à un juge. « Il faut un changement de loi, une révision de la loi […] pour revenir à une compétence universelle qui soit compatible avec les obligations de la France », précise l’avocate.
A ce jour, sept enquêtes ont été ouvertes sur de possibles crimes de guerre en Ukraine par le parquet, des enquêtes « qui concernent à chaque fois des ressortissants français. » Cette focale des autorités françaises rend difficile « la lutte contre l’impunité. » Outre-Rhin, le parquet avait ouvert « une enquête structurelle » sur de possibles crimes de guerre, une entreprise beaucoup plus importante devant rassembler les preuves et les témoignages.
Début juin 2022, une proposition de loi a été déposée au bureau de l’Assemblée nationale par le député (LREM), Guillaume Gouffrier-Cha de la 6ème circonscription du Val de Marne afin de supprimer ces obstacles.