Corse : « L’autonomie » évoquée par Gérald Darmanin est-elle la meilleure méthode face aux violences ?

Corse : « L’autonomie » évoquée par Gérald Darmanin est-elle la meilleure méthode face aux violences ?

Alors que Gérald Darmanin se rend ce mercredi et ce jeudi en Corse pour évoquer « l’autonomie » avec les élus locaux, la question se pose de mettre sur la table des évolutions institutionnelles en pleine période électorale, sur fond de résurgence de la violence politique corse.
Louis Mollier-Sabet

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Deux semaines ont suffi aux manifestants Corses pour faire franchir le Rubicon à Gérald Darmanin. Depuis l’agression d’Yvan Colonna à la maison centrale d’Arles, des manifestations de soutien à l’assassin du préfet Erignac émaillées de violences – elles ont même été qualifiées « d’émeutes » par le procureur de Bastia – ont éclaté sur l’île et le gouvernement a accordé en quelques jours aux manifestants ce qu’il n’avait pas lâché depuis trois ans aux élus nationalistes qui avaient pris le pouvoir sur l’île. Jean Castex a d’abord levé le fameux statut de « détenu particulièrement surveillé » (DPS) des deux membres du commando Erignac encore incarcérés sur le continent, et Gérald Darmanin a ensuite mis « l’autonomie » sur la table hier dans Corse matin. Le ministre de l’Intérieur a atterri à Ajaccio en début d’après-midi et devrait tenir une conférence de presse vers 18h30 après avoir rencontré des élus locaux.

Sur les bancs du Sénat, défenseur des collectivités locales, la position du ministre de l’Intérieur ne fait pas plus bondir que ça sur le fond. Sur la forme et la méthode par contre, « le gouvernement est obligé de jouer les sapeurs-pompiers en héritant d’un dossier auquel il n’a pas touché pendant 5 ans » regrette Philippe Dominati (apparenté LR). À gauche aussi, le sénateur (PS) des Landes Éric Kerrouche, « n’a pas de problème avec des évolutions de statut sur le fond », mais en a avec le « manque de considération pour les territoires » affiché d’après lui par le gouvernement. Surtout, comme le disaient les sénateurs corses Jean-Jacques Panunzi et Paulu Santu Parigi lundi, le gouvernement a ignoré les alertes et les demandes des élus locaux depuis 2018, et se retrouve maintenant obligé de donner des gages aux nationalistes, après l’incendie d’un bâtiment du trésor public à Bastia et d’un tribunal à Ajaccio.

>> Pour en savoir plus : Corse : que signifie « l’autonomie » évoquée par Gérald Darmanin ?

« Le gouvernement a été long à la détente »

Or la violence politique en Corse, ce n’est pas un concept sans histoire. Xavier Crettiez, politiste spécialiste des violences politiques en Corse le disait déjà le 4 mars, deux jours après l’agression d’Yvan Colonna : le « retour des cagoules » n’était pas loin. La métonymie évoque le Front de Libération national corse (FLNC), qui a justement envoyé ce mercredi un communiqué à Corse Matin, dans lequel le mouvement clandestin menace d’un retour aux armes : « Le mépris engendre la colère et la colère entraîne la révolte. Et chez nous, la révolte provoque l’insurrection. […] Nous apportons notre soutien à la jeunesse corse en lutte. […] Rapidement, les combats de la rue d’aujourd’hui seront ceux du maquis de la nuit de demain. » Guillaume Gontard, président du groupe écologiste au Sénat, rappelle comment les élus nationalistes avaient réussi « à s’emparer d’un mal-être en termes d’identité et de reconnaissance » à travers les dernières élections. « Ils avaient réussi à réorienter la violence vers le politique en disant que la solution passait par les élections, et ils gagnaient avec une forte mobilisation ! » poursuit-il.

C’était en effet le compromis proposé par le nationalisme corse à l’Etat français : l’abandon de la violence politique contre le rapprochement des prisonniers politiques et des évolutions institutionnelles. « Il y a une attente qui s’est créée et pour la jeunesse corse ça ne va pas assez vite. L’agression d’Yvan Colonna est ce qui a mis le feu aux poudres, mais la solution doit rester politique et le gouvernement ne veut pas l’entendre » ajoute Guillaume Gontard. « Bien sûr que le problème est politique, mais les questions politiques n’ont jamais été abordées pendant le quinquennat », le rejoint Philippe Dominati, qui reste dubitatif : « Tout se fait maintenant, en période préélectorale, mais personne n’est dupe. Ce qui compte c’est de savoir quelles seront réellement les évolutions sur le plan institutionnel. » Même son de cloche du côté d’Éric Kerrouche : « Le gouvernement a été long à la détente, il a fallu 10 jours pour que le ministre de l’Intérieur se rende en Corse, alors qu’on a assisté à des scènes qui, si elles n’avaient pas été reléguées au 2nd plan par l’actualité internationale, auraient capté l’attention de tous. »

« Macron termine son quinquennat en cédant à la violence d’une infime minorité de Corse »

En ouvrant maintenant les discussions sur « l’autonomie », Gérald Darmanin pourrait donner l’impression de céder aux revendications nationalistes : « C’est un signal qu’avec ce gouvernement, on n’obtient des choses qu’en passant par la violence. Je ne suis pas sûr que ce soit la meilleure des méthodes » euphémise Guillaume Gontard, rejoint par son collègue sur les bancs de la gauche au Sénat, Éric Kerrouche : « Si on veut conforter les citoyens dans l’idée que seule la violence aboutit à des avancées de quelque nature, continuons ! C’est exactement ce qu’il ne faut pas faire. » Mais à droite aussi, Bruno Retailleau, président du groupe LR au Sénat, dénonce la « lâcheté » d’Emmanuel Macron, qui « termine [son quinquennat] en cédant à [la violence] d’une infime minorité de Corse. » Si le chef de file des Républicains au Sénat fait la comparaison avec Notre-Dame-des-Landes, Philippe Dominati ose, lui, un autre parallèle avec un événement beaucoup plus marquant du quinquennat d’Emmanuel Macron : « C’est la méthode « gilets jaunes », qui a bien montré qu’on obtenait des choses dans la violence, ce n’est pas quelque chose de nouveau. »

Face à un contexte corse aussi explosif, autant du fait des manifestations actuelles que du rapport historique de la famille nationaliste corse à la violence politique, « il y a une réelle problématique corse dans le lien avec l’Etat » pour Guillaume Gontard. D’après lui, il existe « une marge de manœuvre » sur l’autonomie, « sans parler d’indépendance » : « Le rapprochement avec les Outre-mer peut être une évolution intéressante, même s’il faut faire attention et prendre en compte la spécificité culturelle. » Concrètement, le président du groupe écologiste regrette que l’initiative parlementaire de 2018 sur les langues régionales ait été censurée par le Conseil constitutionnel, parce que le gouvernement avait décidé de demander une décision sur le texte. Éric Kerrouche rappelle en tant que membre de la délégation aux collectivités territoriales qu’en Corse, « la possibilité d’application localisée de la loi et d’adaptation plus forte que dans l’hexagone est déjà ouverte. » Pour lui, un changement de degré d’autonomie de la Corse impliquerait presque un changement de nature du statut, avec un « partage de souveraineté » et un rapprochement avec « un cas à part dans notre République », la Nouvelle-Calédonie.

>> Pour en savoir plus : Autonomie de la Corse : quels sont les différents types de collectivités territoriales ?

Les débats sur le sujet sont – et seront – techniques, mais dans l’idée, les sénateurs des groupes écologistes, socialistes et LR rappellent tous que les îles de la Méditerranée des autres pays ont toutes « un statut particulier », dans des pays, il est vrai, plus parfois pas aussi centralisés que la France. « C’est assez banal dans les territoires insulaires ailleurs en Europe, ce n’est pas non plus une innovation folle » précise Éric Kerrouche. Que la Corse ait un rapport particulier « au continent » n’en est pas une non plus. Mais que l’ombre de la résurgence de la violence politique corse plane sur une élection présidentielle, c’est tout de même révélateur.

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