C’est une nouvelle personnalité politique qui va être entendue par la police dans le cadre d’une enquête pour « apologie du terrorisme ». Sur le réseau social X, la patronne des députés LFI, Mathilde Panot a annoncé sa convocation dans le cadre d’une enquête pour ce motif en raison du communiqué de son groupe parlementaire après les attaques du Hamas contre Israël le 7 octobre.
Ce communiqué avait à l’époque suscité la polémique car il mettait en parallèle l’attaque du Hamas, décrite comme « une offensive armée de forces palestiniennes », et « l’intensification de la politique d’occupation israélienne » dans les territoires palestiniens. Rima Hassan, 7e sur la liste LFI aux européennes, a également reçu sa convocation dans le cadre d’une enquête pour apologie du terrorisme il y a deux jours, là encore pour des propos tenus sur le conflit. En octobre dernier, c’est le nouveau parti anticapitalisme (NPA) qui était visé par une enquête pour apologie du terrorisme suite à son communiqué de réaction à l’attaque du Hamas sur Israël.
A gauche, les responsables politiques ont condamné la convocation de la députée LFI. Le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure a dénoncé « une atteinte grave à la démocratie ». La patronne des Écologistes, Marine Tondelier a fustigé « la loi Cazeneuve de 2014 qui a permis de limiter l’expression politique sous prétexte d’apologie du terrorisme ».
Une infraction spécifique
Jusqu’à récemment, l’apologie du terrorisme était un délit fixé par la loi de 1881 sur la liberté de la presse. La loi du 13 novembre 2014, dite Cazeneuve, a sorti du droit de la presse, les délits d’apologie du terrorisme et de provocation au terrorisme, pour les inscrire dans le droit commun. « Le fait de provoquer directement à des actes de terrorisme ou de faire publiquement l’apologie de ces actes est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende ». La peine passe à sept ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende si les propos litigieux sont tenus sur Internet. Comme le rappelle, Olivier Cahn, professeur de droit pénal à l’université de Cergy, membre du Centre de recherches sociologiques sur le droit et les institutions pénales (CESDIP), « avant la loi Cazeneuve, l’apologie du terrorisme répondait à un cadre procédural extrêmement contraignant afin d’inciter les autorités à n’avoir recours à la voie contentieuse que pour les cas les plus extrêmes. Les mis en cause étaient jugés devant la juridiction parisienne spécialisée. La loi de 2014 a changé la donne. N’importe quel parquet peut être saisi dans le cadre d’une enquête pour apologie du terrorisme. Même les procureurs de petites juridictions ont la possibilité d’être saisis d’une affaire extrêmement médiatisée. Et les auteurs des propos litigieux peuvent être jugés en comparution immédiate ».
Comment qualifier l’infraction ?
Le Code pénal ne définit pas ce qu’est « l’apologie du terrorisme ». Il faut aller chercher dans la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de Cassation. Il s’agit de propos qui « présentent un acte de terrorisme ou son auteur sous un jour favorable ». « C’est une définition qui a été validée par une décision de la Cour européenne des droits de l’Homme en 2008. Néanmoins, les juridictions du fond ont une interprétation très extensive de cette définition qui interdit le débat. Est-ce que je commets cette infraction lorsque je fais cours à mes étudiants en posant la question : est-ce que le terrorisme fonctionne ? Même si à la fin du cours je réponds par la négative, je cite le FLN qui a pu obtenir des satisfactions avec les accords d’Evian ou I’IRA avec les accords du Vendredi Saint. Cette définition correspond à l’orientation juridique de la France où certaines opinions ne peuvent être débattues car elles sont un délit », explique Olivier Cahn.
Plus de 600 enquêtes ouvertes depuis le 7 octobre
De surcroît, la loi de 2014 a considérablement renforcé la criminalisation de l’apologie du terrorisme. Un rapport d’une commission d’enquête de l’Assemblée nationale en 2016 faisait état de seulement quatorze condamnations entre 1994 et 2014. La nouvelle loi et le contexte terroriste de l’année 2015 ont conduit à 421 condamnations pour apologie du terrorisme au cours de l’année 2016 selon les données du ministère de la justice. Début 2015, une circulaire de la garde des Sceaux, Christiane Taubira avait demandé aux procureurs de la République « de faire preuve d’une extrême réactivité dans la conduite de l’action publique envers les auteurs de ce type d’infractions ».
Suite à l’attaque du Hamas, le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti a rédigé une circulaire dans le même sens le 10 octobre dernier enjoignant aux procureurs d’engager des poursuites sur cette base pour tout propos public « vantant les attaques » de l’organisation islamiste ou « les présentant comme une légitime résistance à Israël ». Contactée par publicsenat.fr, la Chancellerie indique avoir recensé auprès des parquets, entre le 7 octobre et le 30 janvier 2024, 348 enquêtes pour apologie du terrorisme ou actes antisémites. 278 enquêtes ont été ouvertes, sur cette même période, par le pôle national de lutte contre la haine en ligne du parquet de Paris.
La peine de prison jugée trop lourde par la CEDH
Sur X, l’Organisation Juive Européenne (OJE) se félicite d’être à l’origine de nombreuses plaintes, notamment celle visant Rima Hassan. Il y a quelques jours, Jean-Paul Delescaut, secrétaire général de la CGT du Nord a été condamné à Lille à un an de prison avec sursis pour des propos tenus dans un tract de soutien aux Palestiniens.
Une peine de prison ferme ou avec sursis pour apologue du terrorisme a, par le passé, été jugée trop lourde par la Cour européenne des droits de l’Homme. La CEDH avait condamné la France en 2022 pour avoir condamné trop durement, Jean-Marc Rouillan pour apologie du terrorisme. L’ancien membre d’Action Directe avait qualifié des terroristes du Bataclan de « très courageux » dans une émission de radio. La Cour avait jugé que « lorsque la liberté d’expression est en jeu, les autorités doivent faire preuve de retenue dans l’usage de la voie pénale, tout, spécialement s’agissant du prononcé d’une peine d’emprisonnement ». La condamnation de Jean-Marc Rouillan avait été annulée par la Cour de Révision. Mais fin 2023, il a été de nouveau condamné à 8 mois de prison avec sursis par la Cour d’appel de Toulouse pour les mêmes faits. Ses avocats avaient déploré une décision « contraire à la décision de la Cour européenne des droits de l’Homme ».