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Conseil national de la refondation : « L’opération est mort-née en réalité », selon Philippe Moreau Chevrolet
Par François Vignal
Publié le
Lancé ce jeudi par Emmanuel Macron, le Conseil national de la refondation se fait sans les oppositions, qui refusent en bloc d’y participer. « Dans la mesure où le rapport de force se joue à l’Assemblée », où l’exécutif n’a qu’une majorité relative, « pourquoi faire ce cadeau au chef de l’Etat alors que c’est destiné à le mettre au centre du jeu, lui redonner la main ? » demande Philippe Moreau Chevrolet, spécialiste de communication politique. « C’est un beau concept, une belle idée. Mais il est trop tard pour ce type d’initiative dans la mesure où le Président ne contrôle plus vraiment le jeu politique », ajoute le dirigeant de MCBG Conseil. Selon Philippe Moreau Chevrolet, « Emmanuel Macron n’a plus le poids politique suffisant pour réussir ce type d’opération ». Entretien.
Emmanuel Macron a lancé le Conseil national de la refondation, boycotté par les oppositions. L’opération est-elle ratée ou peut-elle encore être bénéfique au chef de l’Etat ?
L’opération est mort-née en réalité. Dès qu’il l’avait annoncé, ça avait déjà perdu de son impact. Car cela n’a pas réussi à décoller, à s’imposer. C’est une bonne idée, un bon concept, mais qui n’a pas eu de prise sur la réalité, qui n’a jamais existé. Ça a été un moment de communication pour le chef de l’Etat où il a pu annoncer une série de mesures qu’il envisage de prendre. Mais il n’y a pas de CNR, ça n’existe pas. A partir du moment où ni les corps constitués, ni l’opposition n’y participent, ce n’est plus qu’une coquille vide. Ça s’appelle le Conseil national de la refondation, mais ça ne va rien refonder a priori.
C’est un beau concept, une belle idée. Mais il est trop tard pour ce type d’initiative dans la mesure où le Président ne contrôle plus vraiment le jeu politique pour deux raisons : il a perdu la majorité absolue à l’Assemblée et tout est centré sur la prochaine élection présidentielle et son remplaçant en 2027. Tout le jeu politique change de gravité. Il n’a plus vraiment de monnaie d’échange aujourd’hui. Il aurait été possible de le faire en 2017.
Par ailleurs, on a quand même le sentiment que ce type de démarche a été un peu usée. On a eu quand même beaucoup de comités, qui ont tous cherché à concurrencer le Parlement, avec une logique différente de l’élection : cooptation, tirage au sort. Aucune de ces façons de faire n’a fonctionné pour l’instant. Au fond, ce sont plus des opérations de communication, de marketing, qu’autre chose.
Les oppositions, qui demandent depuis longtemps plus de dialogue, n’ont-elles pas à y perdre aussi, en pratiquant la politique de la chaise vide ?
Les oppositions n’ont rien à gagner à coopérer avec le chef de l’Etat, dans la mesure où le rapport de force se joue à l’Assemblée et pas dans le nouvel organisme que serait le CNR. Elles ont tout intérêt à rester au Parlement où elles seront fortes que d’aller dans un nouveau véhicule. Pourquoi faire ce cadeau au chef de l’Etat alors que c’est destiné à le mettre au centre du jeu, lui redonner la main ? Ça paraîtra toujours comme un calcul politique, une manière de contourner le Parlement, la majorité relative, et non pas comme une démarche sincère de refondation de la démocratie française, alors qu’on a retrouvé une vraie conversation démocratique au Parlement.
Emmanuel Macron ne recherche-t-il pas aussi à retrouver l’esprit du grand débat, qui lui a plutôt réussi ?
Si. Emmanuel Macron, depuis le début de sa carrière politique, cherche à installer une logique différente de la logique démocratique traditionnelle. Il cherche à passer dans un dialogue direct avec les Français, les élus. Il cherche des nouveaux cadres de discussion, sans intermédiaire, sans filtre, mais où lui garde la totalité de la décision. C’est une logique très particulière, appliquée avec plus au moins de succès. Ça a marché très bien en termes de com' et de marketing pendant le premier quinquennat. Aujourd’hui, il n’a plus la capacité de le faire. Ça devient juste un gadget politique.
Il a eu cette tentation de dialogue direct avec les Français car il sent au fond que c’est plus efficace. Il pense à la nécessité d’en finir avec les cadres traditionnels de la démocratie pour avoir des circuits courts de la décision. Il se voit comme le héros du peuple, en contact direct, qui prendra la décision qui s’impose sans ces ralentisseurs démocratiques que sont le Parlement, le Conseil d’Etat, le Conseil constitutionnel. Mais ce ne sont pas des ralentisseurs. Ils visent à protéger la vie démocratique. Mais lui voit ça comme des obstacles.
Le fait de dire aux Parlementaires « soyez fiers d’être des amateurs », ça veut dire ça au fond. C’est ne plus avoir d’interlocuteurs professionnels, pour agir à sa guise. Pas par autoritarisme mais car il pense que c’est plus efficace.
Au fond, Emmanuel Macron, comme tout Président qui serait à sa place, n’est-il pas face à un dilemme et une difficulté : soit on lui reproche de décider seul, d’être l’hyperprésident. Soit de faire un coup de com’, s’il cherche à innover avec plus d’horizontalité et de démocratie représentative…
A partir du moment où le Parlement existe, quel est le besoin de trouver un autre cadre, qui ne serait plus démocratique, car il n’y a plus d’élection ? Autant, ça serait passé comme une volonté de refondation démocratique en 2017, autant avec un Parlement dominé par l’opposition aujourd’hui, ça passe comme une tentative de marginalisation du Parlement, un contournement.
Après, on a des cadres pour la démocratie représentative. On peut faire de la consultation en ligne. On a tous les outils pour le faire, pour associer les citoyens à la décision publique, on peut le faire. Quand Axelle Lemaire (ex-secrétaire d’Etat au Numérique de François Hollande, ndlr) a passé sa loi sur le numérique, en 2016, son projet de loi avait avant été mis en ligne. Il y a eu beaucoup d’amendements et il y a eu 80 modifications, toutes suggérées par les internautes. Mais ce n’était pas un grand barnum avec tout un tas d’effets d’annonce.
La réalité c’est qu’Emmanuel Macron n’a plus le poids politique suffisant pour réussir ce type d’opération, qui aurait été très difficile. Et encore une fois, on a déjà eu des initiatives de ce genre comme la Convention citoyenne pour le climat, qui n’a abouti à rien. Les gens ne sont pas idiots. Avec les cahiers de doléances du grand débat, ils ont eu le sentiment qu’on prenait les décisions sans les consulter. Les Français ne veulent pas seulement être entendus, mais participer concrètement à la décision politique.