Paris : Handover Ceremony for new Prime Minister Attal and Barnier

Composition du gouvernement : la tension avec les macronistes peut-elle conduire à « l’échec » de Michel Barnier ?

La composition du gouvernement de Michel Barnier se fait attendre et la question d’une éventuelle hausse d’impôt, comme le casting, cristallisent les tensions. Le premier ministre a annulé au dernier moment une rencontre avec Gabriel Attal. Au sein de Renaissance, on met en garde Michel Barnier sur la tentation d’une politique trop éloignée du bloc central.
François Vignal

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A peine commencé, ça se complique. Michel Barnier doit déjà affronter ses premières difficultés, alors qu’on attend toujours la nomination de son gouvernement, près de deux semaines après sa nomination. En cause : le casting et la feuille de route, avec un budget 2025 de tous les dangers. La question épineuse de la fiscalité et d’une éventuelle hausse d’impôt concentre les débats.

Le sujet électrise les relations entre l’ex-majorité présidentielle et le premier ministre issu des LR. Ce dernier aurait évoqué l’idée d’une hausse d’impôt, lors de ses rencontres. « Michel Barnier m’a dit pendant notre entretien qu’il augmentera les impôts », a affirmé Gérald Darmanin, ministre de l’Intérieur démissionnaire, mardi, lors de la réunion du groupe Ensemble pour la République (Renaissance), selon Le Parisien. Dans un message adressé aux députés de son groupe, Gabriel Attal, à la tête du groupe EPR, a déploré lui ne pas encore disposer « d’une visibilité claire sur la ligne politique […] et sur les grands équilibres gouvernementaux », citant d’« éventuelles hausses d’impôts », menaçant de prendre ses distances : « C’est à la lumière de ces échanges que nous reviendrons vers vous pour décider de notre participation au gouvernement ».

Mercredi matin, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, apportait sa pierre et a suggéré sur BFM TV « un effort » fiscal « exceptionnel et raisonnable sur certaines grandes entreprises et gros contribuables ». Il évoque un effort « de l’ordre de 5 milliards d’euros par » an, sur un total de 20 milliards à trouver. De son côté, Gérald Darmanin prévenait sur France 2 : « Hors de question » d’« entrer » dans un gouvernement qui augmente les impôts ou même de le « soutenir »…

« Sur les modalités de la rencontre Barnier-Attal, ils nous ont mis un peu devant le fait accompli »

Pour mettre les choses aux claires, une rencontre devait avoir lieu, ce mercredi matin, à 10h30, entre Gabriel Attal, accompagné de ses cinq vice-présidents de groupe, d’Elisabeth Borne et de Gérald Darmanin, selon Politico. Une rencontre finalement reportée par Matignon au dernier moment. Explications : « On a cru comprendre que Gabriel Attal voulait venir avec une délégation de huit personnes. La règle, c’est la règle. Il y a trois personnes à chaque consultation depuis le début. […] Il y a un moment, il n’y a pas de favoritisme », confie ce matin à publicsenat.fr l’entourage de Michel Barnier. Même l’horaire a fait débat. « C’est eux qui ont sorti l’heure de 10h30, nous, on n’a jamais confirmé. Sur les modalités, ils nous ont mis un peu devant le fait accompli », ajoute l’entourage du « PM ». Ce qui ressemble beaucoup à un acte d’autorité, histoire de rappeler que c’est bien Michel Barnier qui est aujourd’hui aux manettes, et plus Gabriel Attal, n’a certainement pas apaisé l’ambiance.

Quelques minutes après, Michel Barnier envoie une déclaration à la presse. Il juge la situation budgétaire « très grave » et demande « les éléments pour en apprécier l’exacte réalité »… Manière de dramatiser davantage les choses pour faire passer, auprès de chacun, les décisions à venir ? « Cette situation mérite mieux que des petites phrases. Elle exige de la responsabilité », lâche le premier ministre à qui veut l’entendre, tout en envoyant un message pouvant rassurer autant les macronistes que les LR : « Nous sommes déjà le pays où la charge des impôts est la plus forte ».

Dans l’après-midi, une nouvelle rencontre avec le trio LR Wauquiez-Retailleau-Larcher fuitait… De quoi rajouter de l’eau dans le gaz, avant que la rencontre ne soit à son tour « reportée », selon Matignon.

« Carabistouilles »

En bons élèves, du côté LR, on se montre aux côtés du premier ministre. « C’est tout à l’honneur de Michel Barnier d’ouvrir une réflexion sur plus de justice fiscale dans notre pays », a affirmé Vincent Jeanbrun, porte-parole des députés LR, estimant que « si cela veut dire soulager ceux qui travaillent et créent de la richesse pour rapprocher le salaire net du salaire brut, c’est une très bonne nouvelle ». Mais on comprend qu’il ne s’agit pas de hausse d’impôt, pas vraiment dans le logiciel LR. A titre personnel, le rapporteur du budget au Sénat, Jean-François Husson (qui a pris ses distances avec LR à cause d’Eric Ciotti), estime cependant auprès de l’AFP qu’il faudra « peut-être accepter quelques efforts supplémentaires inédits et temporaires ».

Un membre des LR met lui en garde contre les propos du ministre de l’Intérieur, qui évoque une hausse d’impôts qui serait voulue par le premier ministre. « Darmanin peut monter toutes les carabistouilles qu’il veut, Barnier n’a jamais dit ça », avance-t-on, y voyant une façon de « mettre la pression avant les nominations ». On renvoie au passage sur la réponse de Matignon, mardi soir. « Les rumeurs sur la fiscalité sont de pures spéculations. Le premier ministre analyse la situation budgétaire et aucune option n’est aujourd’hui arrêtée », avançait l’entourage de Michel Barnier.

« Nous demander de revenir sur des allègements de fiscalité, on n’y sera pas favorable »

Au sein de Renaissance, le sujet commence à mettre tout le monde en ébullition. « Honnêtement, nous demander de revenir sur des allègements de fiscalité qu’on a mis en place depuis 7 ans, notamment pour soutenir les entreprises, leur compétitivité et le pouvoir d’achat, on n’y sera pas favorable. Nous ne sommes pas favorables, ni à une augmentation des impôts, ni sur les Français, ni sur les entreprises », prévient le sénateur Xavier Iacovelli, vice-président du groupe RDPI (Renaissance). Il n’écarte cependant pas de « revoir certaines niches fiscales ».

« La feuille de route donnée par le Président, c’est de rassembler au-delà de sa seule famille politique. Sa famille politique, c’est 47 députés. Forcément, ça ne permet pas d’avoir de majorité. Donc pour rassembler, il faut faire en sorte que dans la composition de son équipe, que toutes les sensibilités du bloc central soient représentées à leur juste valeur », prévient le sénateur Renaissance des Hauts-de-Seine. « Si on veut que Barnier puise durer à Matignon, il faut que la composition de son équipe soit à l’image des équilibres », ajoute le sénateur Renaissance. Xavier Iacovelli insiste :

 On ne veut pas que le premier ministre soit sous la tutelle de 47 députés LR. 

Xavier Iacovelli, sénateur Renaissance des Hauts-de-Seine.

Mais les parlementaires macronistes, à commencer par les députés du groupe EPR, ne sont en réalité pas unanimes sur la question des impôts. « Je n’ai pas de vache sacrée. J’ai plutôt envie d’entendre aussi les avis d’experts indépendants, comme le président de la Cour des comptes, le gouverneur de la Banque de France, qui sont quand même sur un retour sur la trajectoire des finances publiques par un mixte de hausse d’impôt et de baisse des dépenses. Il faut quand même regarder ça de près. Il ne faut jamais rien exclure par principe », avance sous couvert d’anonymat un député Renaissance, qui assure que sa position n’est pas isolée au sein du groupe.

Sans terrain d’entente, « on va droit à l’échec de ce gouvernement », met en garde la députée Stella Dupont

Du côté de l’aile gauche de l’ex-majorité, la députée Stella Dupont, défend aussi l’idée ouvertement. « Je pense qu’on est raccord sur l’idée de ne pas augmenter l’impôt des Français », commence la députée d’En commun, apparentée au groupe EPR, « mais l’enjeu de justice fiscale est attendu par les Français. D’où des propositions sur la taxation des superprofits. On a aussi travaillé sur les rachats d’action. Il y a également la fiscalité des très très riches, qui est régressive. On a besoin de recettes nouvelles pour financer la transition écologique ».

Et les impôts ne sont pas le seul point dur. La députée de l’aile gauche pointe aussi « la question de l’immigration, ou une ligne très droitière ne serait pas soutenue globalement par le bloc central. On n’est pas prêt à aller sur une ligne qui s’approche de celle de l’extrême droite en définitive »…

Au final, Stella Dupont s’interroge sérieusement sur les premiers pas de Michel Barnier à Matignon. « La méthode mise en œuvre pour construire une coalition n’est pas au rendez-vous. Faire un casting, ce n’est pas mon sujet, ni celui des Français. Il faut savoir ce qu’on fait et comment », avance la députée du Maine-et-Loire. Et de citer un exemple : « Ce matin, en commission des finances et en commission de la culture, l’ouverture des LR n’était pas manifeste à l’endroit du bloc central. Ou bien il y a une volonté de trouver des terrains d’entente, ou bien elle n’est pas présente derrière Michel Barnier et auquel cas, on va droit à l’échec de ce gouvernement, malheureusement », met en garde Stella Dupont.

« Ma crainte, c’est que Barnier jette l’éponge »

Dans l’après-midi, sur une chaîne info, passe un bandeau « Barnier-Attal : le bras de fer commence ». « C’est plutôt le bras de fer Barnier-Macron », lâche une source côté LR au bout du fil, avant d’ajouter au sujet d’Emmanuel Macron : « Il ne peut pas s’empêcher de se mêler de tout. C’est ce que je sens. Le changement de gouvernance, c’est fini », craint-on à droite. Michel Barnier qui a les mains libres, c’était peut-être un peu trop gros… La rumeur d’une rencontre à l’Elysée entre Emmanuel Macron et Michel Barnier monte alors à l’heure du goûter, avant que Le Figaro ne la confirme.

On le voit, ça tangue. La situation commence à inquiéter un parlementaire Renaissance. « Le problème, c’est qu’il ne faut que personne ne pense à 2027, avant 2024. Ça vaut dans tous les camps… », tacle cet élu. Le même ajoute : « Ma crainte, c’est que Barnier nous dise dans quelques jours “je suis en incapacité de réunir les différentes familles politiques” et jette l’éponge. Et on retrouve le chaos institutionnel, retour à la case départ ». Il resterait alors encore un joueur : Emmanuel Macron. Mais dans un champ de ruines.

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