La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
Collectivités : Emmanuel Macron « souhaite ouvrir un nouveau chapitre de la décentralisation »
Par François Vignal
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Jupiter, les pieds sur terre. En arrivant à l’Elysée, il y a cinq ans, Emmanuel Macron était vite décrié par une partie de l’opposition comme le « Président des villes ». Lors du congrès de l’AMF, en novembre 2017, les maires l’accueillaient par des huées. Depuis, les gilets jaunes et le Grand débat sont passés par là. Et la recherche de « proximité » est aujourd’hui en bonne place dans le vocabulaire de l’exécutif. Avec à la clef un retour de l’Etat, là où il avait en partie déserté.
Emmanuel Macron s’est déplacé ce lundi en Mayenne. Depuis Château-Gontier, le chef de l’Etat y a annoncé la réouverture de la sous-préfecture, qui avait été fermée pour jumeler son arrondissement avec celui de Laval. Vont également rouvrir, la sous-préfecture de Nantua dans l’Ain, celle de Rochechouart en Haute-Vienne, de Clamecy dans la Nièvre, de Montdidier dans la Somme et de Saint-Georges de l’Oyapock en Guyane (la seule où il n’y avait pas de jumelage). En complément, « 30 sous-préfets seront redéployés » dans des préfectures pour travailler sur « France 2030 », explique l’Elysée, « on ne peut pas recréer partout des sous-préfectures, donc on renforcera l’équipe préfectorale ». Cette déconcentration des moyens de l’Etat s’accompagne d’un renforcement des moyens de sécurité, avec 200 brigades de gendarmerie qui seront créées via le projet de loi Lopmi, examiné au Sénat cette semaine.
La nouvelle sous-préfète présente à ses côtés, Emmanuel Macron a défendu ce midi la nécessité « d’une présence au plus près du terrain », avec « un souci de l’efficacité et de la proximité ». Une prise de parole retardée pour cause d’entretien avec le Président ukrainien Volodymyr Zelensky. Pris par les enjeux internationaux, Emmanuel Macron n’entend pas pour autant couper avec les questions intérieures.
« On avait réduit les effectifs beaucoup sur le terrain, peu à Paris »
« C’est une des sorties du grand débat : une action beaucoup plus territorialisée », a rappelé le chef de l’Etat, qui a résumé son ambition : « Décentraliser ou déconcentrer ? Là aussi, je crois au en même temps ».
La recréation de ces six sous-préfectures est quelque peu paradoxale. Elles avaient été supprimées pour faire des économies. Emmanuel Macron ne le nie pas. Aujourd’hui, leur retour est nécessaire. « L’Etat avait recentré ses moyens. […] Par la révision générale des politiques publiques, nous avons fait des économies. Il fallait en faire, c’était légitime. Mais elles se sont faites surtout sur l’Etat local, les services centraux ont peu bougé. On avait réduit les effectifs beaucoup sur le terrain, peu à Paris », rappelle-t-il. Il en résulte « un sentiment – et pas qu’un sentiment – d’éloignement de la décision, […] et une forme de déresponsabilisation pour beaucoup d’agents de l’Etat ».
Pour répondre au manque de services publics, l’exécutif avait « relancé les maisons France service ». « L’engagement du grand débat était d’en avoir 2000. On en est à 2400 », s’enorgueillit Emmanuel Macron. Les 2600 devraient être atteints à la fin de l’année.
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Autre pilier de l’action du gouvernement pour les territoires, cette fois pour les villes petites et moyennes : « Action cœur de ville », ainsi que « petites villes de demain ». 5 milliards d’euros ont déjà été mis sur la table pour le premier dispositif. 234 villes sont concernées pour « plus de 6000 actions ». « Il n’y a plus de territoires où il n’y a plus d’espoir. Il y a des territoires qui ont des projets et d’autres qui n’ont pas de projet », lance Emmanuel Macron.
« La refondation partira d’en bas »
Ce déplacement est aussi l’occasion pour le chef de l’Etat de défendre les CNR (conseil national de la refondation) locaux, consacré ici à la santé, alors que la question des déserts médicaux traverse tout le pays. En mettant tout le monde « autour de la table », il s’agit de « redonner aux acteurs de terrain la liberté de décider ». Car « tout ce qui part d’en haut et est uniforme ne marche pas » en matière de santé. Pour Emmanuel Macron, « la refondation partira d’en bas ».
Le chef de l’Etat évoque aussi pêle-mêle « la réouverture des petites lignes » de train, « la couverture totale en Internet mobile ». On le voit, les sujets sont vastes, sans oublier la composante financière, cruciale pour les collectivités. « Je veux rassurer les maires, la mission que j’ai donnée au gouvernement est de vous donner de la visibilité dans cette période, […] alors que l’inflation est là », affirme le Président, alors que sa première ministre a annoncé vendredi une rallonge pour les dotations.
« Regarder là où la décision est prise de manière la plus efficace. La décentralisation, c’est ça »
Cette équation à plusieurs facteurs compte une composante institutionnelle. « Je souhaite qu’on puisse ouvrir dans la commission transpartisane pour la réforme de nos institutions, que j’installerai dans les prochains mois, un nouveau chapitre de la décentralisation. Mais cette fois-ci un chapitre de la vraie décentralisation. Car bien souvent, nous avons installé une fausse décentralisation dans notre pays », déclare Emmanuel Macron. Pour le chef de l’Etat, « on doit réexaminer, sans esprit de concession, ces politiques. Regarder là où la décision est prise de manière la plus efficace. La décentralisation, c’est ça. La compétence va avec la responsabilité, avec la capacité à financer, avec la capacité à prendre les décisions normatives et accepter qu’il y ait aussi une vraie différenciation au sein de nos territoires ». Il n’a pas évoqué en revanche durant son propos le conseiller territorial, idée qu’il avait relancé lors de sa campagne.
Une annonce « saluée » par le président LR de l’Association des maires de France, David Lisnard. Elle « marque un total changement par rapport au discours de novembre 2021 au congrès des maires », souligne l’élu. « Par cet engagement, Emmanuel Macron rejoint les positions récurrentes de l’AMF en faveur d’une nouvelle décentralisation par une grande loi de libertés locales. Il reste à l’exécutif à passer aux actes », a tweeté le maire de Cannes.
Cette déclaration du chef de l’Etat devrait plaire aussi à Françoise Gatel, présidente UDI de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, et co-rapporteure du nouveau groupe de travail du Sénat sur la décentralisation. « On va beaucoup insister sur la différentiation », affirmait vendredi dernier à publicsenat.fr la centriste. « Si un jour, la Bretagne était une assemblée unique, ça ne mettra pas en péril la République », avançait la sénatrice d’Ille-et-Vilaine.
« Il faut trouver un juste équilibre entre une France unitaire et l’auberge espagnol » selon Patrick Kanner
Sur ce sujet sensible, le président du groupe PS du Sénat, Patrick Kanner, est plus prudent. « Il faut trouver un juste équilibre entre une France unitaire et l’auberge espagnol. On peut imaginer des réponses territoriales différenciées. Mais si c’est pour aboutir à un patchwork complètement illisible, qui irait plus loin qu’une forme fédérative, je suis perplexe », prévient le sénateur PS du Nord.
L’ancien ministre de François Hollande raille la sortie d’Emmanuel Macron sur la décentralisation : « Ce n’est pas très sympathique pour Jacqueline Gourault et Sebastien Lecornu, car ils ont porté les deux textes en la matière », dont 3DS, qui portait justement sur la différenciation, la décentralisation, la déconcentration et la simplification. « Ce sont des textes mineurs, 40 ans après la première loi de décentralisation », pour Patrick Kanner. « Chat échaudé craint l’eau froide », lance le socialiste, qui ajoute :
Celui qui transfère la fiscalité en dotation n’est pas crédible quand il parle de décentralisation.
Le sénateur parle ici de la suppression de la taxe d’habitation et prochainement de la CVAE, qui permettaient de financer les collectivités. Quant à « rouvrir une sous-préfecture, c’est sympathique, mais on est dans l’anecdotique, pour ne pas dire le gadget » lance le sénateur PS. Au fond, Patrick Kanner retient « d’Emmanuel Macron qu’il n’a jamais été élu local, il ne connaît pas les collectivités. Il y a une incompréhension existentielle ».
Les élus « entre enthousiasme et frustration » face à « action cœur de ville », selon un rapport du Sénat
Le sénateur LR Serge Babary est lui moins dur. Le président de la délégation aux entreprises est co-auteur d’un rapport du Sénat sorti il y a dix jours sur l’un des axes de la politique territoriale d’Emmanuel Macron, « action cœur de ville ». Bilan, après 29 auditions, 4 déplacements de terrain et consultations des élus locaux : « Entre enthousiasme et frustration ».
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Au premier abord, l’idée a été bien reçue. « C’est une bonne initiative, ça a entraîné un certain engouement. Tout le monde s’est jeté là-dedans avec beaucoup de bonne volonté. Il y a des satisfactions », « ça crée une dynamique », note Serge Babary. Puis vient « la frustration avec un administratif assez lourd, qui n’est pas toujours à la portée des petites communes », et « la déception sur l’annualisation et la pérennité du financement », pointe le sénateur d’Indre-et-Loire. « Ce sont des financements qui ne suivent pas qui ne durent pas dans le temps. On peut avoir un financement une année, pour démarrer l’action, et on n’est pas certain de les avoir les années suivantes ». Serge Babary préconise plutôt « un engagement financier sur au moins un mandat municipal ».
Le président des maires ruraux très remonté contre l’exécutif
Il y en a un autre qui a l’exécutif dans le collimateur en ce moment. C’est Michel Fournier, le président des maires ruraux. Il a très peu apprécié qu’Elisabeth Borne se réjouisse vendredi du renforcement du « tandem entre le préfet et le président d’intercommunalité », estimant qu’il s’agissait d’un « couple moteur pour l’action publique ». « C’est intolérable. Le couple qui doit exister, c’est le couple préfet/maire », a réagi samedi Michel Fournier, qui prévient : « Notre réaction va être très dure, mais très dure ». Au moment où Emmanuel Macron veut renforcer la place de l’Etat dans les territoires, il faudra bien choisir son interlocuteur…
[Article mis à jour mardi 11 octobre avec la réaction du président de l’AMF, David Lisnard]