Christine Lagarde et sa juge, un duel entre deux femmes puissantes
Deux femmes puissantes qui vivent, chacune, le procès de leur vie : directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine...
Par Aurélia END
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Deux femmes puissantes qui vivent, chacune, le procès de leur vie : directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde, et la présidente de la Cour de justice de la République (CJR), Martine Ract Madoux, se livrent depuis lundi un duel judiciaire de haute tenue.
Dans ce face-à-face se joue en grande partie le procès de l'ancienne ministre de l'Economie, accusée d'avoir, par "négligence", permis en 2008 un colossal détournement d'argent public au profit de Bernard Tapie, via un arbitrage qui s'est par la suite révélé frauduleux.
Martine Ract Madoux mène des interrogatoires précis, denses, sans concession - "elle est costaud", souffle avec admiration un avocat venu assister, en spectateur, aux audiences.
Christine Lagarde ne lui cède pas un pouce de terrain. La présidente propose une courte pause, lui suggère de s'asseoir pendant un exposé technique : non et non.
Quand les témoins défilent, l'ex-ministre, qui s'est préparée aux audiences avec des communicants, prend des notes.
Christine Lagarde est plus affable, Martine Ract Madoux plus raide. Mais elles se ressemblent avec leurs chevelures argentées, leurs traits secs.
La directrice générale du FMI Christine Lagarde au Palais de justice de Paris le 12 décembre 2016
AFP
Elles ont le même aplomb de pionnières : la première femme ministre de l'Economie en France, puis première directrice générale du FMI, face à la première femme présidente de la CJR.
Cette juridiction hybride - trois magistrats professionnels, douze parlementaires - juge depuis 1993 des membres du gouvernement soupçonnés de délits ou crimes dans l'exercice de leurs fonctions.
La magistrate issue de la prestigieuse Cour de cassation a 69 ans, Christine Lagarde en a 60. Pour chacune, c'est un rendez-vous capital.
- Terrain émotionnel -
Mme Lagarde n'a pas lié une éventuelle condamnation à une démission du FMI, mais elle risque sa réputation et jusqu'à un an de prison. Martine Ract Madoux préside la CJR pour une année encore : elle mène, sauf surprise, les derniers débats d'une riche carrière.
Mère de quatre enfants, mariée à un haut fonctionnaire, elle a entre autres présidé la cour d'appel qui a condamné Alain Juppé en 2004 dans l'affaire des emplois fictifs du RPR - réduisant son inéligibilité à un an contre dix en première instance.
Face à Christine Lagarde, elle porte l'accusation. Les deux représentants du ministère public, qui ne voulaient pas de procès, sont relégués aux seconds rôles.
Les députés et sénateurs interviennent, mais qu'ils ne s'avisent pas de confondre la Cour avec une arène parlementaire : il faut poser des questions, pas faire des "affirmations", tance Martine Ract Madoux après une courte diatribe d'un juge contre l'ex-président Nicolas Sarkozy.
Lundi, Christine Lagarde tient bon sur la corde raide de sa défense - mettre en avant ses anciens collaborateurs à Bercy et dire qu'elle a peut-être été "abusée", mais sans passer pour faible donc "négligente". Mardi, la présidente la bouscule davantage.
Il est question des quelque 400 millions d'euros attribués à Bernard Tapie, dont un pharaonique "préjudice moral" de 45 millions d'euros. Et surtout de la décision de la ministre de l'Economie de ne tenter aucun recours contre cet arbitrage.
"C'est quand même un coup de poing dans l'estomac, ça doit vous faire réagir !", lance Martine Ract Madoux. Elle appuie : "Le préjudice moral pour la mort d'un enfant, c'est évalué à 30.000 à 50.000 euros".
La présidente de la Cour de justice de la République (CJR) Martine Ract Madoux à Paris le 29 août 2014
AFP/Archives
Christine Lagarde a présidé le prestigieux cabinet d'avocats américain Baker & McKenzie. Elle répond en "technicienne" qui a "fait la balance" entre les avantages et les inconvénients d'une nouvelle bataille judiciaire.
Mais Martine Ract Madoux l'emmène sur un terrain plus émotionnel, en lisant le brouillon d'une lettre, jamais envoyée, à Nicolas Sarkozy. Début 2008, Christine Lagarde lui dit son "immense admiration", le réclame comme "guide", écrit : "Utilise-moi".
La patronne du FMI assure qu'aujourd'hui elle n'écrirait plus tout cela. Elle se dit "très lucide" sur le "casting" ministériel à l'époque, pour un gouvernement qui se voulait paritaire. Elle avoue avoir subi les propos "colériques" du chef de l'Etat, au point de proposer sa démission.
Celle qui figure chaque année depuis 2011 au classement Forbes des dix femmes les plus puissantes du monde semble vaciller, pour la première fois.
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