Paris: Deputies (PS) pose for a family phot zt the national assembly

Chez une partie des socialistes, la nécessité d’un élargissement de la majorité au-delà de la gauche fait son chemin

Les parlementaires socialistes sont de plus en plus nombreux à évoquer, pour pouvoir gouverner, une extension du Nouveau Front populaire vers le bloc central. Ce qui impliquerait d’amender le programme porté par la gauche, au risque de fracturer une alliance fragile et de décevoir leurs électeurs.
Romain David

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« Et maintenant, les emmerdes commencent », nous confiait dimanche soir, mi-amusé, mi-inquiet, l’un des stratèges du Nouveau Front populaire. Sorti gagnant du second tour des législatives, mais sans majorité claire, le bloc de gauche doit désormais résoudre une équation inédite sous la Cinquième république : gouverner avec une assemblée tripartite, qui pourrait renverser du jour au lendemain n’importe quel gouvernement. Depuis le début de la semaine, les réunions s’enchaînent, entre les principaux responsables du NFP, mais aussi au sein des formations politiques pour tenter de résoudre ce casse-tête. De son côté, Emmanuel Macron a fait savoir qu’il attendrait « la structuration de la nouvelle Assemblée nationale pour prendre les décisions nécessaires », et a demandé au Premier ministre, Gabriel Attal, de rester en poste pour garantir le traitement des affaires courantes.

Ce mardi matin, le constitutionnaliste Jean-Philippe Derosier était convié à la réunion de groupe par visioconfèrence des sénateurs socialistes pour un temps d’échanges sur les possibles de la Constitution. « Nous avons interagi sur tous les scénarios probables et le fonctionnement des textes organiques. Il y a aussi eu un point juridique sur les pleins-pouvoirs, la dissolution et la nomination du chef de gouvernement », résume le sénateur de la Somme Rémi Cardon. « L’idée, c’était de discuter avec un professionnel de la Constitution pour bien comprendre les hypothèses qui s’offrent à nous ».

Un nouveau centre de gravité à gauche ?

À ce stade, pourtant, il est toujours difficile d’y voir clair, du moins pas tant que la nouvelle assemblée ne se soit complétement installée et les groupes politiques formés. Dimanche soir, le Nouveau front populaire a décroché la majorité d’une très courte tête, avec 182 sièges. À gauche, le point d’équilibre pourrait éventuellement se déplacer vers les socialistes. Selon les projections d’Ipsos/Talan, La France insoumise devrait conserver l’hégémonie, avec 73 à 80 sièges, désormais talonné par le Parti socialiste qui double son contingent avec 60 à 64 sièges. Mais le jeu des rattachements peut encore bousculer ce tableau. « On est bien parti pour être devant ! », veut croire Rémi Cardon. « Avec une lecture claire des groupes, il sera plus facile de dégager un consensus sur la méthode de travail à proposer », explique l’élu.

« Le Nouveau Front populaire appliquera son programme. Rien que son programme, mais tout son programme », a averti Jean-Luc Mélenchon quelques minutes après les résultats. Un avertissement contre ceux qui seraient tentés par un élargissement, en direction de la macronie notamment, ce qui impliquerait d’amender un programme sur lequel le camp présidentiel a tiré à boulets rouges durant la campagne. Lundi, sur TF1, Olivier Faure, le Premier secrétaire du PS, a évacué la possibilité d’une coalition avec la majorité sortante. « Le pouvoir sortant a été battu, et les Français ont exprimé leur volonté de rejeter la politique menée depuis sept ans. Comment voulez-vous que les Français comprennent que d’un coup nous nous retrouvions ensemble pour gouverner, à l’exclusion d’une partie de ceux qui ont fait campagne avec nous ? », a expliqué le député de Seine-et-Marne.

« Il faudra faire des compromis pour construire une feuille de route »

Mais le patron des socialistes n’est pas sans ignorer que d’aucuns dans son parti estiment nécessaire d’élargir au-delà des rangs de la gauche, ne serait-ce que pour contrebalancer l’influence des insoumis. « De plus en plus de députés parlent d’ouverture », relève un parlementaire. « Quand Mélenchon parle du programme et rien que du programme, il sait très bien qu’il pose une impossibilité pour la gauche de gouverner », tempête Rémi Féraud, sénateur PS de Paris. Sur Franceinter, Boris Vallaud, le président sortant du groupe PS, a évoqué un gouvernement uniquement formé de personnalités issues des rangs de la gauche, mais qui serait en mesure de disposer « d’une assise plus large à l’Assemblée ».

Un autre élu va jusqu’à esquisser le scénario d’une grande « coalition à l’allemande ». « Cette majorité est loin d’être stable, il faut l’élargir à d’autres, sur des propositions concrètes, l’école, la sécurité, l’hôpital… », énumère le sénateur Rachid Témal. « Le programme du NFP doit être une boussole, un point de départ, mais il faudra faire des compromis pour construire une feuille de route qui rassemble d’autres personnalités », explique-t-il.

« Le barrage républicain a permis à la gauche de l’emporter au second tour, mais c’est le Nouveau front populaire et son programme qui ont permis à de nombreux élus de passer l’étape du premier tour. L’un n’existe pas sans l’autre », avertit Rémi Cardon. « Vu l’instabilité du moment, il faut faire gaffe à ce qu’il se trame. Attention à ne pas sacrifier notre programme. Il faut le maintenir le plus possible. S’il doit y avoir des aménagements, ils doivent se faire avec un partenaire qui en vaille la peine ».

Le retour des Hollandais

Ce mardi soir, le sénateur Rachid Témal assistera à une réunion organisée au Palais du Luxembourg autour d’Hélène Geoffroy, la maire de Vaulx-en-Velin, dont le courant, minoritaire au sein du PS, constitue l’un des principaux mouvements d’opposition à la ligne politique défendu par Olivier Faure, celle qui a conduit au rapprochement avec les radicaux de gauche en 2022. Officiellement, il s’agit d’accueillir les députés socialistes qui soutiennent le courant de l’édile, parmi lesquels un certain… François Hollande. L’occasion aussi de discuter stratégie : « Vous savez, nous avons un fonctionnement très démocratique au sein du PS, les membres des différents courants se retrouvent régulièrement pour discuter, il ne faut pas y voir quelque chose de particulier… », minimise le sénateur du Val-d’Oise.

Dans les cercles militants, on observe avec une certaine défiance sur le retour de l’ancien chef de l’Etat et de ses soutiens, accusés par certains de manœuvrer pour reprendre la main sur la ligne directrice au PS. « Ça pour les entendre… On a vraiment le sentiment qu’ils veulent exister », soupire un parlementaire échaudé par le quinquennat du Corrézien.

« C’est facile de revenir quand tout se débloque pour la gauche », raille Rémi Cardon. Dans une tribune publiée par Marianne fin juin, le sénateur avait qualifié le bilan de François Hollande de « fardeau pour la social-démocratie ». « Je n’appartiens pas à ce courant-là, mais il est clair qu’aujourd’hui, au-delà de François Hollande que l’on entend beaucoup, la ligne d’émancipation vis-à-vis des insoumis est redevenue majoritaire », assure Rémi Féraud.

S’élargir, mais avec qui ?

À ce stade, seule l’aile gauche de la macronie semble offrir un vivier de personnalités susceptibles de se rapprocher de la gauche, ou du moins des sociaux-démocrates. Selon des informations de Libération et de franceinfo, Sacha Houllié, le président sortant de la commission des lois, réélu dans la Vienne dimanche, a annoncé aux députés Renaissance son intention de créer un nouveau groupe « social-démocrate qui réponde à nos valeurs », une forme de rupture avec la politique, marquée à droite, du chef de l’Etat depuis 2022.

« Je ne dis pas qu’il faille s’allier aux marconistes. La question, c’est de rassembler des hommes et des femmes sur des projets concrets », balaye Rachid Témal. Une méthode déjà éprouvée par Emmanuel Macron qui a tenté après sa réélection de former des majorités de circonstance sur certains projets de loi, ce qui a placé à plusieurs reprises le camp présidentiel sous la coupe des LR, devenu groupe pivot à l’Assemblée nationale.

« Certes, nous avons une majorité relative, encore plus faible que la sienne, mais à la différence d’Emmanuel Macron, nous aurons l’engouement populaire avec les mesures sociales que nous portons. L’énergie de la société civile viendra appuyer le travail d’une majorité relative, ce qu’Emmanuel Macron n’a jamais su faire », veut croire Rémi Cardon.

Tous s’accordent sur un point : ce n’est qu’une fois la méthodologie arrêtée que le candidat à Matignon pourra enfin être désigné. Ce mardi, Olivier Faure s’est même dit « prêt à assumer cette fonction ». « Les noms possibles sortent, mais à ce stade aucun d’entre eux n’est associé à une solution… », constate Rémi Féraud.

 

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