La Commission européenne devrait pouvoir entrer en fonction dès le 1er décembre après l’accord entre les trois principaux partis européens sur le collège des commissaires. Un accord qui illustre la place centrale de la droite européenne, prête à s’allier avec l’extrême droite.
CETA : récit d’une folle journée qui a vu le Sénat rejeter l’accord de libre-échange entre la France et le Canada
Par François Vignal
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Tout avait pourtant bien commencé. Les débats sur la ratification du traité de libre-échange entre la France et le Canada, le CETA, se sont ouverts ce jeudi matin, sans esclandre. Les sénateurs communistes avaient décidé d’inscrire dans leur niche parlementaire l’examen de cet accord, déjà adopté, non sans mal, par les députés en 2019. Les débats se déroulent dans la matinée comme attendu. Les opposants au CETA, communistes donc, socialistes et écologistes à gauche, et plus surprenant, une grande majorité des LR, se succèdent, face aux défenseurs. On les trouve du côté des groupes RDPI (Renaissance), Indépendant (Horizons), pour la majorité présidentielle, et le groupe Union centriste (voir notre live pour tous les moments forts des débats).
Mais à la reprise de la séance, à 14h30, le ton et l’ambiance changent. Sérieux coup de chaud. Ce n’est pas le soleil, ni l’ambiance printanière dehors, mais l’horloge qui tourne, qui donne quelques sueurs froides. Pour son espace réservé, c’est-à-dire la niche parlementaire, le groupe CRCE-K (communiste), dispose de 4 heures. Et pas une minute de plus. Nous en sommes à l’article 1, le cœur du texte car il s’agit de l’accord du CETA lui-même. Les prises de paroles se multiplient, de nouveaux orateurs s’inscrivent. D’abord une majorité d’opposants au traité, mais aussi des défenseurs. Le ton monte, quand Emmanuel Capus, sénateur Horizons du Maine-et-Loire, s’emporte en vantant « un bon accord pour notre économie ». Regardez :
Chacun joue la montre
Seulement quatre amendements sont déposés sur l’article, mais là encore, les prises de paroles ne seront pas limitées en nombre. Même chose sur les explications de vote sur l’article. Devant la multiplication des prises de parole, Bruno Retailleau voit le coup venir. Il dénonce « une volonté d’obstruction manifeste » et recourt à l’article 38 du règlement – qui s’est fait connaître lors des retraites, au grand dam alors de la gauche – pour limiter les prises de parole et écourter les débats.
Le centriste Olivier Cadic, fervent défenseur du CETA, demande une suspension de séance, suite au recours à cette arme du règlement, dont le principe est adopté par les LR, avec les voix de la gauche. « Ça pose un problème car la majorité du Sénat se fait jusqu’à présent avec deux groupes, donc nous avons besoin de nous réunir avec notre président de groupe, car là on est sur un vrai sujet… » lâche le sénateur. Pour plusieurs sénateurs centristes ou LR, la journée du 21 mars laissera des traces (lire notre article sur le sujet).
Dans les couloirs du Sénat, un conciliabule s’improvise
Dans les couloirs du Sénat, un conciliabule s’improvise. Hervé Marseille et Claude Malhuret, présidents des groupes centriste et des Indépendants, échangent sur les options. La question de l’obstruction, pour empêcher d’aller au bout de l’examen du texte, est mise sur la table. Mais elle est écartée. « On a obtenu l’effet » escompté et montré que « c’est une mascarade », souligne le centriste, rapporte-t-on.
A la reprise, Hervé Marseille annonce la couleur : ce sera sans les centristes. « Tout était organisé pour qu’il y ait un vote contre », lâche le sénateur UDI des Hauts-de-Seine, qui voit « que le Parti communiste ne perd pas ses habitudes, qui sont transmises à d’autres… » (voir la vidéo ci-dessous) Et d’ajouter :
« Messieurs les censeurs, bonsoir »
Excédés par la tournure des débats, les sénateurs centristes quittent l’hémicycle. Un fait rarissime au Sénat. Dans cette bataille où chacun joue la montre, les communistes et les LR retirent leur amendement, histoire d’accélérer. L’article 1 sur le CETA est finalement largement supprimé, par 211 voix contre 44. Suit un nouveau recours à l’article 38 sur l’article 2.
Au moment des explication de vote sur l’ensemble du texte, Claude Malhuret suit à son tour l’exemple des centristes. « Messieurs les censeurs, bonsoir », lâche-t-il, un brin théâtral, avant de quitter son siège, suivi des sénateurs de son groupe. Salle des conférences, qui jouxte l’hémicycle, certains se posent la question jusqu’au bout. Faut-il faire durer ? « Il reste 5 minutes », glisse un sénateur du groupe Les Indépendants à Hervé Marseille et Claude Malhuret. On comprend la tentation, mais ils en restent là. Le Sénat se prononce enfin sur l’ensemble du texte, et ça passe… ric-rac. Non pas en voix – le Sénat adopte le texte vidé de sa substance par 269 voix contre 26 – mais au niveau du timing. Le vote est fait 2 petites minutes avant le gong.
« Nous avons fait bloc collectivement », se réjouit la communiste Cécile Cukierman
Salle des conférences, Bruno Retailleau sort et ne peut cacher son sourire, tout comme la présidente du groupe communiste, Cécile Cukierman, qui passe sur la moquette rouge, juste à côté. « Nous avons fait bloc collectivement », se réjouit la sénatrice PCF, « c’est ainsi que nous ferons reculer l’extrême droite dans notre pays ». Un peu plus tôt, en séance, son collège communiste Pierre Ouzoulias se référait aux grandes heures du Conseil national de la résistance, où gaullistes et communistes se retrouvaient pour défendre une cause commune.
Le patron des sénateurs LR, qui a dû avaler deux semaines plus tôt, sur un tout autre sujet, une défaite sur la constitutionnalisation de l’IVG, semble savourer. « Il ne faut pas mépriser le Sénat », lance le sénateur LR de Vendée, qui justifie son recours au petit livre vert, soit le règlement de la Haute assemblée : « Cela s’est terminé pile poil à l’heure. Cela signifie qu’il y avait obstruction. Sans utilisation de l’article 38, on ne pouvait même pas voter ». CQFD.
Claude Malhuret raille « une sorte de macédoine sénatoriale », François Patriat ironise sur « l’alliance Reagan-Eltsine »
Dans l’autre camp, on peste sur la situation ou on raille les vainqueurs du jour. « L’alliance Reagan-Eltsine a bien fonctionné. L’examen de ce texte avait pour seul but de piéger le gouvernement avant les européennes. On parle quand même d’un accord avec le Canada qui avait été élaboré sous Sarkozy et validé sous Hollande », dénonce François Patriat, à la tête des sénateurs macronistes (propos recueillis par Simon Barbarit).
« C’était juste un traquenard. Leur volonté était juste de faire un coup contre le gouvernement », rage Emmanuel Capus, toujours aussi remonté. Sur un ton plus policé, mais pas moins dur sur le fond, le philippiste Claude Malhuret dénonce « une sorte de macédoine sénatoriale ». Hervé Marseille y va de sa formule, dans son style plus rieur : « On nous a collé deux rapporteurs, (les sénateur LR Pascal Allizard et Laurent Duplomb, ndlr), mais ce n’était pas deux rapporteurs, c’était des procureurs… » Celui qui est aussi président de l’UDI dénonce le recours à l’article 38. « Ce n’est pas le Sénat, qui a une image d’équilibre, de dialogue. Là, c’est un débat partisan. Au Sénat, on n’est pas habitué à ça ». Surtout, Hervé Marseille, dont le parti fait alliance avec Renaissance pour les européennes, dénonce « une instrumentalisation à des fins électorales », en vue du scrutin du 9 juin. Après la crise des agriculteurs, les LR entendent bien en effet parler à cet électorat, dont une partie pourrait se tourner vers le RN. Une accusation que récuse Bruno Retailleau, quelques minutes après : « Vous voulez rire ? ça fait 5 ans qu’on demande de pouvoir examiner le CETA ».
Pour le président du groupe LR, le vote du jour « est l’occasion d’envoyer un message symbolique ». « Nous venons d’adresser un signal à la Commission européenne, au moment où elle négocie le Mercosur », se réjouit Bruno Retailleau, qui assume un vote qui paraît à contre-emploi pour sa famille politique, habituellement ouverte au libre-échange. Il ajoute : « On a au moins posé un acte politique très fort, très puissant ».
Match retour à l’Assemblée nationale
La suite devrait se passer à l’Assemblée nationale, pour un match retour. « L’Assemblée nationale se prononcera le moment venu », a simplement affirmé après le vote le ministre Franck Riester, chargé du Commerce extérieur, appelant d’ici là à « plus d’explications » pour faire comprendre l’intérêt du traité.
On connaît ce moment. Car les communistes, encore eux, ont déjà annoncé, en fin de journée, leur volonté d’inscrire le texte dans leur niche parlementaire. Il sera ainsi à l’ordre du jour de l’Assemblée le 30 mai. « La confirmation par l’Assemblée nationale du rejet du CETA permettra de mettre fin à son application », affirme les députés PCF dans un communiqué. Pas tout à fait en réalité.
Politiquement, la séquence n’est pas simple pour l’exécutif
Le rejet par les sénateurs de l’accord du CETA ne signe pas l’arrêt de mort du traité. Car celui-ci – cela a été largement rappelé durant le débat – est appliqué de manière provisoire depuis 7 ans. Et si jamais le Parlement le rejette, après un vote similaire des députés, qui n’est pas impossible, le gouvernement aura toujours une solution : ne pas notifier le rejet à la Commission européenne, comme l’a fait Chypre, dans le même cas. Les opposants pourront crier au déni de démocratie, mais le CETA sera, lui, toujours en vigueur…
Reste que politiquement, la séquence n’est pas simple pour l’exécutif. Défendre le traité n’est pas forcément évident, surtout dans la foulée de la crise agricole, qui n’est pas tout à fait terminée. Quant aux communistes, ils ont su jouer le coup, bien aidés par les LR. Et les hasards du calendrier font bien les choses. Un nouveau débat, le 30 mai, à 10 jours des élections européennes, tombe à point pour les opposants au CETA, surtout si une majorité de contre se dessine. Moins pour Emmanuel Macron.
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