L’Élysée voulait réunir un maximum d’interlocuteurs pour un échange « ouvert », « direct » et « sans filtre ». Convier autour d’une même table un panel très large, d’organisations professionnelles, de représentants de la grande distribution et l’industrie agroalimentaire, encore d’associations environnementales, pour confronter les points de vue autour du revenu des agriculteurs, et des transformations qui impactent leur activité. L’organisation d’un grand débat au Salon de l’agriculture autour du président de la République a vite tourné au fiasco.
Tout est parti de la volonté d’inviter les Soulèvements de la terre, un mouvement écologiste connu pour ses actions de désobéissance civile ou de sabotage, que le ministère de l’Intérieur a dissous l’an dernier, avant d’être désavoué par le Conseil d’Etat. L’évocation du collectif environnemental a eu pour conséquence de braquer la FNSEA, le syndicat majoritaire agricole. « Non je n’irai pas à ce grand débat […] Je ne serai pas l’acteur de quelque chose que je considère comme particulièrement cynique et qui ne permet pas le dialogue dans de bonnes conditions », a assuré encore ce matin son président, Arnaud Rousseau, sur BFMTV, après avoir dénoncé une « provocation inacceptable » la veille.
Ce vendredi, à la mi-journée, l’Élysée est sorti du silence en plaidant une « erreur faite lors de l’entretien avec la presse en amont de l’événement », précisant que les Soulèvements de la Terre n’ont été « ni conviés ni contactés », même si plusieurs médias assurent que l’organisation figurait dans la liste transmise aux organisateurs du Salon. La situation est d’autant plus incompréhensible que la veille, le palais présidentiel avait rétropédalé en faisant savoir que finalement le collectif décrié n’était plus convié, afin de « garantir la sérénité des débats ».
« Un pied de nez au message des agriculteurs », selon le sénateur Laurent Duplomb
Dans cette confusion générale, avant un salon décisif pour une sortie de crise avec les agriculteurs, plusieurs politiques se sont engouffrés dans la brèche. En particulier dans la droite sénatoriale. « En une phrase, le Président de la République vient de ruiner ce grand moment d’unité. Le en même temps est un poison qui corrompt tout, les plus belles causes comme les plus grands élans », a par exemple tweeté le président du groupe LR au Sénat, Bruno Retailleau.
« Oser inviter les associations adeptes de l’écologie punitive et dogmatique, au débat au Salon de l’agriculture est un pied de nez au message des agriculteurs, qui protestent contre les harcèlements, les assignations qui leur sont faites par ces mêmes associations », s’étrangle également le sénateur (LR) Laurent Duplomb, auprès de Public Sénat. Ce proche de Laurent Wauquiez relève en parallèle un pied de nez fait par l’Élysée à son ministre de l’Intérieur, qui œuvrait pour la dissolution du mouvement. « Ce en même temps machiavélique en dit long sur la personne d’Emmanuel Macron ».
« On ne peut pas faire une table ronde avec tout et son contraire »
Franck Menonville, l’un des sénateurs de l’Union centriste également très investi dans ces dossiers, peine à contenir également son incompréhension. « On ne peut pas faire une table ronde avec tout et son contraire, comme des activistes, pour parler l’agriculture. Il fallait faire quelque chose avec les organisations professionnelles dans leur pluralisme, mais pas sous ce format-là, c’est du n’importe quoi », s’exclame le sénateur de la Meuse.
Signe du trouble provoqué par une venue potentielle des Soulèvements de la Terre – que les intéressés auraient eux-mêmes refusée – le ministère de l’Agriculture a pris de grandes distances avec l’opération de l’Elysée. « Je comprends parfaitement l’incompréhension et la colère qui s’est exprimée à l’idée que l’on invite les Soulèvements de la Terre. Moi je considère que leur mode d’expression est le casque, le masque et le cocktail molotov », a réagi Marc Fesneau sur TF1. Ce cadre du MoDem a par ailleurs jugé que l’invitation était « inopportune ».
« Ce n’est pas en refusant de dialoguer que l’on va avancer sur les problématiques », fait saloir le sénateur Bernard Buis
Membre du groupe RDPI (Rassemblement des démocrates, progressistes et indépendants), qui rassemble des sénateurs favorables à l’action présidentielle, Bernard Buis peine à comprendre cette rupture du dialogue, alors que le plan du gouvernement présenté ce mois répondait « plutôt aux attentes », selon lui. Il trouve « regrettable » que la FNSEA ait finalement décidé de ne pas répondre présente. « D’une manière générale, il faut discuter avec tout le monde. Ce n’est pas en refusant de dialoguer que l’on va avancer sur les problématiques », déplore ce parlementaire qui a succédé dans le département à Didier Guillaume, l’ancien ministre de l’agriculture.
Un autre ancien du Parti socialiste, Henri Cabanel se dit aussi « déçu » par la politique de la chaise vide décidée par la FNSEA. « Ce n’est pas le moment de nous diviser car on a besoin de tous tirer dans le même, nous avons besoin de tous être solidaires pour sauver notre agriculture », avertit ce viticulteur, qui siège dans le groupe RDSE (à majorité radicale). « Là, il y a une opportunité de débattre avec le président, quelles que soient nos convictions. Il faut y aller et ne pas faire de la politique politicienne », demande-t-il.
Jean-Claude Tissot, sénateur socialiste de Loire, observe aussi la situation avec beaucoup de colère. « Inadmissible. Le Premier ministre n’est même pas capable de s’imposer devant Arnaud Rousseau. Le gouvernement cède devant tous les caprices du président de la FNSEA », s’exclame-t-il.