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Ces questions soulevées par le silence de Gérald Darmanin sur la police
Par Romain David
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Qui ne dit mot consent ? 72 heures après l’interview polémique de Frédéric Veaux, le directeur général de la police nationale (DGPN), Gérald Darmanin, le ministre de l’Intérieur, continue de garder le silence. Sommé par les oppositions de gauche de s’expliquer sur les déclarations de ce haut-fonctionnaire, le locataire de la place Beauvau, actuellement en déplacement en Nouvelle-Calédonie aux côtés du chef de l’Etat, n’a toujours pas réagi. Plusieurs membres de l’exécutif, pourtant, se sont déjà exprimés sur cette affaire. À commencer par Emmanuel Macron, interrogé sur le sujet lors de l’entretien qu’il a accordé en début de semaine à TF1 et France 2. Le président a dit « comprendre l’émotion chez les policiers », confrontés à des violences urbaines inédites au début du mois de’ juillet, mais a tenu à rappeler que « nul, en République, n’est au-dessus de la loi ».
Dans les colonnes du Parisien, Frédéric Veaux a affiché son soutien à un policier de la brigade anticriminalité de Marseille, suspecté de violences et placé en détention provisoire. Deux autres agents ont été mis en examen. « Je considère qu’avant un éventuel procès, un policier n’a pas sa place en prison, même s’il a pu commettre des fautes ou des erreurs graves dans le cadre de son travail », a déclaré le patron de la police. Ces propos s’inscrivent dans un contexte de grogne des forces de l’ordre des Bouches-du-Rhône. Si les policiers n’ont pas le droit de grève, les agents marseillais multiplient les arrêts maladie pour marquer leur solidarité avec leurs collègues incriminés. « La justice doit poursuivre son travail dans la sérénité et en toute indépendance. C’est une condition indispensable au respect de l’Etat de droit, qui est le fondement de notre démocratie », a rappelé le garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti, sur Twitter.
Une situation inédite
Le silence de Gérald Darmanin interroge d’autant plus que le ministre avait fait montre d’une fermeté inhabituelle vis-à-vis du policier à l’origine de la mort du jeune Nahel à Nanterre, dénonçant des images « extrêmement choquantes ». « Il y a une multiplication des refus d’obtempérer pour plusieurs raisons. Évidemment, c’est inacceptable, mais ce n’est pas parce que c’est inacceptable que nous devons avoir des contrôles qui tournent mal au point de tirer sur quelqu’un », avait-il martelé devant les journalistes. Presqu’un mois plus tard, on imagine mal que l’interview du directeur général de la police nationale, prenant la défense d’un fonctionnaire suspecté de « violences en réunion par personne dépositaire de l’autorité publique avec usage ou menace d’une arme », n’ait pas reçu l’aval de sa hiérarchie. Selon Politico, le ministre et son directeur de cabinet en aurait validé le contenu, mais sans en informer l’Elysée et Matignon.
« On n’a jamais vu, sous la Ve République, une autorité policière prendre la parole de cette manière sans être aussitôt sanctionnée par l’exécutif. Les choses vont bien plus loin que par le passé, puisque les propos du DGPN auraient reçu l’aval du ministère de l’Intérieur. En refusant de condamner explicitement ces déclarations, Emmanuel Macron s’est en réalité placé dans une situation très délicate », observe Philippe Moreau-Chevrolet, professeur de communication politique à Sciences-Po et président de MCBG Conseil. La tête de l’Etat a donc choisi de ménager la chèvre et le chou, et de tenir une position d’équilibriste en répondant à la fois à une opinion qui pourrait légitiment s’inquiéter des déclarations du DGPN, tout en veillant à conserver le soutien des forces de l’ordre dans un contexte de grogne sociale.
« Le DGPN et la police, de manière générale, entrent dans le débat politique à un moment particulièrement sensible. Ils réclament un système dérogatoire au droit commun, alors que la France est déjà pointée du doigt par plusieurs organismes européens pour sa gestion du maintien de l’ordre. L’Elysée se retrouve donc pris en tenaille entre ses engagements internationaux et la fronde de ses forces de l’ordre », poursuit Philippe Moreau-Chevrolet. « Gérald Darmanin reçoit le contre-coup de sa politique ultra généreuse envers les forces de l’ordre. Pour se démarquer de son prédécesseur, Christophe Castaner, il a mis en place une stratégie d’accommodements déraisonnables. Il a brossé les policiers dans le sens du poil, à coups de primes avec un décrochage à la hausse par rapport au reste de la fonction publique. À présent, les syndicats, mis sous pression par la base, réclament encore plus », résume Sebastian Roché, directeur de recherche au CNRS et auteur de La nation inachevée, la jeunesse face à l’école et la police, chez Grasset.
« Une stratégie de mise sous tension »
Une situation a priori inconfortable pour le ministre de l’Intérieur mais qui peut également devenir un aiguillon au service de ses ambitions. Si Emmanuel Macron a choisi de conserver Elisabeth Borne au poste de Première ministre, jouant la carte de la continuité, l’ancien LR, régulièrement présenté comme l’homme fort du gouvernement, a largement fait campagne pour tenter de décrocher le poste. « Gérald Darmanin fait tout pour être populaire. Afin de séduire l’opinion, il se montre hyperactif sur un plan politique », explique Amandine Ciappa, consultante en communication de crise. « Pour autant, un ministre de l’Intérieur ne peut pas faire l’économie du soutien des forces de l’ordre. Il a donc mis en place une stratégie d’alliés en faisant parler d’autres personnes à sa place ». En l’occurrence le DGPN, dont les propos seraient plus difficiles à assumer pour un ministre, tenu par la séparation des pouvoirs.
« Le silence de Gérald Darmanin peut s’expliquer de deux manières. Soit il estime avoir commis une erreur en validant cette interview et il n’intervient pas pour éviter d’aggraver les choses. Mais l’on peut aussi se demander pourquoi il ne se démarque pas des propos du DGPN », relève Philippe Moreau-Chevrolet. « Soit il assume et joue la carte de l’opinion de droite, dans une stratégie de mise sous tension du président, après un remaniement où il n’a pas obtenu satisfaction. »
Une ambition présidentielle ?
Gérald Darmanin a su se rendre indispensable à Emmanuel Macron dès sa nomination place Beauvau. L’ancien maire de Tourcoing affiche des positions sur les questions régaliennes plus fermes que ses deux prédécesseurs, Christophe Castaner et Gérard Collomb, issus des rangs socialistes, et qui seraient plus difficiles à tenir pour le chef de l’Etat. Mais il fait aussi parti de ces prises de droite, avec Bruno Le Maire, qui permettent à la Macronie, privée de majorité absolue à l’Assemblée nationale, d’entretenir avec les LR, sur certains sujets, un dialogue constructif. « Gérald Darmanin est l’un des seuls ministres à disposer d’un levier face au président de la République. Si Emmanuel Macron s’en sépare, il court le risque de s’éloigner de la droite, dans un contexte où il ne dispose pas d’une majorité absolue au Parlement. Et de mettre un successeur potentiel sur orbite, qui pourra librement faire campagne pour 2027 », poursuit Philippe Moreau-Chevrolet.
Si pour l’heure il semble conserver une place prédominante dans le gouvernement, Gérald Darmanin devrait affronter une rentrée politique complexe. Les tractations avec la droite autour du projet de loi immigration, plusieurs fois reportées, semblent relevées de la gageure. À plus court terme, c’est la grogne des policiers marseillais, aujourd’hui moyen de pression, qui pourrait se retourner contre lui si le mouvement venait à se propager. « Pour l’instant, il n’y a pas de grosses mobilisations », nuance Sébastian Roché. « Ce mouvement n’a rien à voir en taille avec les centaines de policiers qui avaient illégalement manifesté en 2016. On parle de groupes de quelques dizaines de policiers en arrêt maladie ou en service minimum dans plusieurs commissariats. » Essentiellement cantonné aux Bouches-du-Rhône, le phénomène serait néanmoins en train de s’étendre à d’autres régions, selon certains syndicats de police. Si la situation devenait intenable au point de faire pâlir l’étoile du ministre, elle offrirait alors un prétexte à Emmanuel Macron pour le sanctionner.
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