Rien n’est joué pour Richard Ferrand à cette heure, dans un sens comme dans l’autre. Le candidat proposé par Emmanuel Macron pour présider le Conseil constitutionnel devra faire preuve d’habileté et de persuasion devant les deux commissions des lois du Parlement, qui l’auditionneront ce mercredi matin (un évènement à suivre en direct sur les chaînes parlementaires). La moindre chausse-trappe pourrait lui être fatale, car l’ancien président de l’Assemblée nationale, qui voit les critiques s’accumuler contre son profil, ne dispose d’aucune marge de sécurité.
La règle est simple : pour pouvoir être nommé par le président de la République, le candidat ne doit pas recueillir 3/5e de votes dans ces deux commissions contre son nom, les voix des députés et des sénateurs étant additionnées dans le décompte. Ce seuil se calcule sur la base des votes exprimés, c’est-à-dire hors abstention. Dans l’hypothèse où les 122 membres des deux commissions se prononceraient, il faudrait donc au minimum 74 votes contre, pour que le candidat présidentiel soit repoussé par le Parlement.
La gauche fait bloc contre le candidat du président de la République
Les membres des deux commissions qui siègent dans les groupes du Nouveau Front populaire à l’Assemblée nationale, ou dans les trois groupes de gauche au Sénat (socialiste, écologiste et communiste) ont déjà annoncé qu’ils voteraient contre. Il y a déjà donc théoriquement 38 parlementaires qui refuseront que ce fidèle du président de la République s’assoie à la table des Sages.
Réunis ce matin, les six députés LR ont également révélé qu’ils s’inscriraient dans le même mouvement : un « vote contre à l’unanimité », nous indiquait l’un d’eux en fin de matinée. Le compteur passe donc à 44 parlementaires contre Richard Ferrand. « Nous pensons que pour ce poste fondamental dans nos institutions, il faut une personnalité avec plus d’indépendance et d’impartialité », a fait valoir le président du groupe Droite républicaine, Laurent Wauquiez, salle des Quatre colonnes ce mardi, juste avant les Questions au gouvernement. En pleine campagne pour la présidence de LR, le député de Haute-Loire semble ici faire la démonstration d’une opposition nette.
Chez les sénateurs LR, « des appels tout le week-end »
Chez leurs collègues sénateurs, le sujet faisait partie des sujets de conversation ce matin. « 3/5e de votes négatifs, ce serait vraiment la honte », soufflait un sénateur LR, en saluant ses collègues.
Aucune consigne de vote n’a été actée ce matin, au cours de la réunion hebdomadaire. Une seule certitude : Richard Ferrand peine à susciter des compliments, comme nous l’indiquions la semaine dernière. Au sein de la commission des lois, la droite sénatoriale compte 19 membres. « 19 ne sont pas pour », nous confiait ce matin un sénateur qui a réalisé un « pointage » interne la semaine dernière. Ne pas voter pour signifie aussi bien voter contre que s’abstenir. Les deux n’ont pas la même implication sur le résultat final, qui ne prend en compte que les suffrages exprimés.
L’hostilité non dissimulée de la droite sénatoriale lui a valu d’être approchée au cours des dernières heures. « Tout le monde a reçu des appels, tout le week-end, de personnes improbables, de députés », relate le sénateur-pointeur. À noter que Philippe Bas, candidat désigné par Gérard Larcher pour remplacer un autre membre du Conseil constitutionnel dont le mandat arrive à échéance, pourrait ne pas prendre au vote.
À cette heure, beaucoup réservent leur choix pour la fin de l’audition, quand bien même ils partiraient avec un avis très négatif. « Je prendrai ma décision en mon âme et conscience après son audition. Ce ne serait pas mon devoir d’élu de le faire sans l’avoir entendu », indique Henri Leroy. Comme beaucoup au sein du groupe, le sénateur LR des Alpes-Maritimes porte un regard dur sur le choix du président de la République. « C’est quelque part une continuité dans la République des copains. On présente quelqu’un qui n’a aucune formation ou racine juridique, mais qui est un très proche du Président. C’est inadmissible. »
Plusieurs sénateurs contestent les rumeurs d’implication de Gérard Larcher dans ce dossier. « Il n’a pris contact avec personne », assure un autre sénateur de la commission des lois. Ce sénateur, qui n’en ait pas à son premier scrutin pour un membre du Conseil constitutionnel, rappelle au passage qu’il reste difficile de savoir ce que ses collègues feront vraiment mercredi, au terme de l’audition. « C’est un vote à bulletins secrets. Vous ne pouvez pas être derrière l’épaule de celui qui va voter. »
Des incertitudes dans trois autres groupes du Sénat
Chaque voix comptera pour Richard Ferrand. Il devrait convaincre une majorité de commissaires des lois de l’Union centriste, groupe pivot au Sénat et plus proche idéologiquement de Renaissance que ne l’est LR. Ces derniers sont 9 au total, dont le président de groupe Hervé Marseille. Mais des déperditions ne peuvent être exclues.
Toute la question se pose aussi au RDSE (Rassemblement démocratique et social européen), groupe hétéroclite à majorité radicale, qui compte deux membres dans la commission des lois. « Notre groupe est divisé et attendra les auditions pour se prononcer », nous indiquait l’un d’entre eux à la mi-journée. Idem chez les trois sénateurs du groupe Les Indépendants-République et territoires de Claude Malhuret, qui seront trois à être convoqués demain pour l’audition et le scrutin. « C’est en réflexion », affirmait l’un d’entre eux.
La position des trois députés LIOT (Groupe Libertés, indépendants, outre-mer et territoires) pourrait aussi contribuer à faire pencher la balance dans un sens ou dans l’autre.
Le Rassemblement national réserve encore sa position
Le suspense est entier pour les 16 députés RN. Au vu de leur effectif, leur comportement dans l’isoloir sera clé mercredi. « Nous nous déclarerons dans les prochaines heures, voire demain », a précisé le député Bryan Masson, au micro de LCP, en début d’après-midi. La semaine dernière, Marine Le Pen s’est contentée de fustiger la « dérive » consistant à « systématiquement nommer des politiques au Conseil constitutionnel ». Dans le cas d’une abstention de tous les députés RN, la barre des 3/5e serait fixée à 64 parlementaires sur 106 suffrages exprimés.
Les deux députés de l’UDR (Union des droites pour la République) d’Éric Ciotti n’ont pas non plus indiqué précisément leur comportement. « Je ne voterai pas pour la candidature de Richard Ferrand », a simplement indiqué Brigitte Barèges.
Quoiqu’il advienne, ce pourrait être le vote le plus serré d’une personnalité proposée pour le Conseil constitutionnel, depuis que les commissions des lois ont obtenu le droit de se prononcer en 2010. « Ce peut-être ric-rac », pressent une sénatrice LR.