Davantage de sévérité pour les mineurs délinquants et leurs parents, déploiement de fonctionnaires des ministères régaliens dans les quartiers en difficulté, encadrement de jeunes si besoin avec l’armée, renforcement de l’accompagnement à destination des familles en difficulté : le gouvernement a délivré principalement un message de fermeté et d’une présence accrue des équipes de l’Etat dans les quartiers en difficulté, ce 26 octobre. Après deux mois d’échanges et de réflexions post-émeutes, Elisabeth Borne et quatre de ses ministres sont revenus sur les suites à prendre devant près de 500 maires de communes victimes des violences urbaines de l’été.
De la sécurité, en passant par la réponse pénale ou encore accompagnement des familles et des jeunes, l’exécutif a décliné une série d’annonces, dont beaucoup nécessiteront des modifications législatives. Très attendu, le discours d’Elisabeth Borne et de ses ministres suscite des réactions contrastées chez les sénateurs, qui seront sans doute saisis d’un ou plusieurs projets de loi donnant corps aux annonces du jour.
« J’attends de voir les moyens qu’on met derrière pour tout ça »
À droite, majoritaire au palais du Luxembourg, la sénatrice LR du Val-d’Oise Jacqueline Eustache-Brinio souscrit aux propositions pénales du jour, qui auraient dû être mises sur la table bien plus tôt selon elle. « On s’aperçoit qu’il a fallu des nuits d’émeutes pour que le gouvernement accepte la réalité de ce qui se passe dans ce pays. Ce qui manque, c’est la fermeté et la sanction, cela fait des années qu’on le dit », regrette la parlementaire. Elle salue la proposition de stages de responsabilité parentale, au titre des délits des enfants. « Il y a bien longtemps que nous disons qu’il faut sanctionner les parents qui laissent leurs mômes dehors. J’attends de voir les moyens qu’on met derrière pour tout ça. »
Françoise Gatel, sénatrice de l’Union centriste qui forme avec LR la majorité au Sénat, va également dans le sens du message adressé par le gouvernement. « Je pense qu’il était indispensable et urgent d’annoncer des mesures, qui doivent être de deux ordres : la sanction, pour une prise de conscience, et l’éducation, la mobilisation de toute une société », insiste la sénatrice d’Ille-et-Vilaine.
Ancien ministre de de la Ville, de la Jeunesse et des Sports, Patrick Kanner regrette la la tendance générale exprimée par le gouvernement ce jeudi. « On voit bien que c’est un tournant sécuritaire dans la politique de la ville ». Le président du groupe socialiste au Sénat pointe des « mesures de droite » d’un gouvernement « toujours dans la course derrière le RN ». « On a, encore une fois, une réponse sécuritaire, et très peu de mesures de prévention, avec une prise d’otage des familles monoparentales, qui ont peu de moyens pour encadrer leurs gamins. C’est là-dessus qu’il aurait fallu mettre le paquet. »
« Est-ce que l’AMF a été consultée ? »
Dans le détail, certaines mesures sont plus commentées que d’autres. A ce titre, le retour de la proposition d’une extension des pouvoirs de la police municipale n’est pas tombée dans l’oreille d’un sourd à la commission des lois du Sénat. En tant que représentants des maires et législateurs, les sénateurs vont scruter avec attention l’idée selon laquelle les polices municipales pourraient effectuer certaines actes de police judiciaire. « Dans quel cadre cela s’exerce ? J’attends avec impatience la réaction des associations d’élus sur le sujet. Est-ce que cela correspond à leurs attentes ? » s’interroge ainsi Françoise Gatel, qui préside la délégation aux collectivités locales.
« Est-ce que l’AMF [l’Association des maires de France, ndlr] a été consultée ? Je n’en suis pas certain », regarde avec scepticisme Patrick Kanner. « On est dans des effets d’annonce. Pas sûr que les maires aient une envie farouche. J’ai le sentiment que l’on est pas prêt, qu’il y a beaucoup d’approximations, y compris sur le plan juridique voire constitutionnel », doute le sénateur du Nord.
Au rang des inconnues, l’annonce de la mise en place dès la fin de l’année de « Forces d’action républicaine » (FAR) est accueillie avec quelques regards perplexes au Sénat. Promesse d’Emmanuel Macron, ces équipes multidisciplinaires doivent servir à concentrer l’action de l’Etat, sur plusieurs mois, dans des zones où l’insécurité est particulièrement élevée. Elles mobiliseront conjointement des policiers, des magistrats, des personnels éducatif et judiciaire, ou encore des travailleurs sociaux. « C’est creux. Je ne sais pas concrètement ce que cela peut avoir comme effets, ni comment cela peut fonctionner », relève à ce stade Jacqueline Eustache-Brinio.
« On ne balance pas ça comme ça. Mobiliser les services de la République, ce n’est pas idiot, mais il y a quoi derrière l’annonce ? », se questionne Patrick Kanner.
« On flatte la demande de sécurité des maires »
Sur le placement de mineurs délinquants dans des unités éducatives de la protection judiciaire de la jeunesse, Françoise Gatel qualifie l’idée d’ « intéressante » mais attend les précisions des textes. Quant à l’appel aux militaires pour encadrer ces jeunes en manques de repères, Patrick Kanner n’est pas vraiment emballé par l’idée, même si celle-ci a un temps été défendue par Ségolène Royal en 2007. « Ce n’est pas son métier. Il faudrait plutôt mettre le paquet sur les clubs de prévention qui sont en train de disparaitre. »
Comme bien souvent, les sénateurs attendent désormais la matérialisation des annonces dans des projets de loi, seul moyen de traduire dans les actes les engagements du jour. « On va voir si ce que la Première ministre a annoncé va suffire », déclare Jacqueline Eustache-Brinio. « On flatte la demande de sécurité des maires, mais on la flatte avec des mesures dont je doute de la réalité opérationnelle », résume Patrick Kanner.