France Macron

« Casserolades » : la rupture est-elle consommée entre l’opinion publique et Emmanuel Macron ?

Depuis quelques semaines, les déplacements d’Emmanuel Macron et de ses ministres sont systématiquement perturbés par des manifestants. Au-delà des « casserolades », l’incapacité du Président de la République à mettre en scène le contact avec le « peuple » pose question dans les institutions de la Vème République. D’autant plus qu’au-delà de ces scènes sur le terrain, les enquêtes d’opinion font transparaître une hostilité profonde au chef de l’Etat.
Louis Mollier-Sabet

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Le conflit social s’enlise, mais depuis la décision du Conseil constitutionnel vendredi 14 avril dernier, et la promulgation de la loi dans la foulée, celui-ci semble être rentré dans une nouvelle phase. Le chef de l’État espérait qu’elle serait celle des « 100 jours » de reconquête de l’opinion, elle restera probablement dans l’histoire comme celle des « casserolades. » Un néologisme qui regroupe l’ensemble des perturbations des déplacements du Président de la République et de ses ministres dans le pays, par le bruit des casseroles, notamment. Cette innovation du mouvement social est une sorte de réponse à la volonté d’Emmanuel Macron et des membres de son gouvernement, d’arpenter « le terrain », comme ce mardi à Vendôme, sous-préfecture du Loir-et-Cher, où le chef  de l’État se rend avec le ministre de la Santé, François Braun.

Un moyen de mettre en scène le « contact » avec les Français, qui a pour le moment surtout débouché sur des images d’un Président de la République interpellé, empêché de visiter usines et écoles par des coupures de courant, et sur des ministres exfiltrés de la Gare de Lyon après un déplacement annulé à l’Inspé de Lyon, comme Pap Ndiaye ce lundi soir. Or, le voyage présidentiel et le déplacement sur le terrain sont une sorte de « passage obligé », notamment pour un Président de la République élu au suffrage universel direct dans un régime – la Vème République – qui entend créer un lien direct entre le chef de l’État et « les Français. » Comment imaginer alors un quinquennat où le Président de la République ne puisse plus arpenter le pays en dehors de dispositifs policiers importants ?

Voyages présidentiels : « Le PS ou le RPR ramenaient des bus entiers de militants, pour organiser un accueil digne de ce nom »

Nicolas Mariot, chercheur au CNRS, a travaillé dans les années 2000 sur les voyages présidentiels depuis le XIXème siècle (Bains de Foule. Les voyages présidentiels en province, 1888-2002, Ed. Belin). L’historien et politologue rappelle que ces perturbations de déplacements présidentiels ou d’autres personnalités politiques « n’ont rien de nouveau » et étaient fréquentes pendant la IIIème République, ou même sous Napoléon III. « Ce qui a changé, fondamentalement, depuis la fin du mandat de Sarkozy et les années 2010, c’est qu’Emmanuel Macron n’a pas de militants. François Hollande et Nicolas Sarkozy en avaient encore un peu d’ailleurs », analyse Nicolas Mariot. « Là ce qui est embêtant c’est moins la présence d’opposants que le manque de militants. Il y a toujours eu des opposants dans les déplacements, mais le PS ou le RPR ramenaient des bus entiers de militants, pour organiser un accueil du chef de l’État digne de ce nom. Et avec un accueil, la présence d’opposants n’est pas si grave, on retombe dans une opposition politique classique entre soutiens et opposants. »

La situation d’Emmanuel Macron aujourd’hui est probablement un peu inédite, estime l’historien : « Renaissance est un parti qui existe peu en termes militants, donc Macron apparaît un peu comme un homme seul, un peu nu en quelque sorte. » Or les travaux de Nicolas Mariot montrent justement que les voyages présidentiels ont toujours été l’occasion pour l’Elysée et les équipes du président de mettre en scène le soutien populaire et l’adhésion. Il explique que jusqu’à de Gaulle, on était resté sur un modèle des voyages de la IIIème et la IVème République : « L’arrivée du chef de l’État représentait un événement considérable, de Gaulle mobilisait des foules considérables. On organisait des bals, on mettait les fonctionnaires en congés pour l’accueillir, c’était un vrai bouleversement pour la ville. Cela fait longtemps que ce n’est plus le cas. »

« Les visites présidentielles, ça ne ratait jamais, c’est pour ça qu’elles ont toujours été remises sur le métier »

Bien sûr le rapport aux institutions et aux médias a changé depuis la mise en place de la Vème République et les années 1960. Mais les machines partisanes ont ensuite pris le relais, explique l’historien : « Pendant très longtemps le fonctionnement de ces voyages n’a pas changé : on mettait en place un ‘pool’ de journalistes pour faire faire des images à tour de rôle à TF1 et à France 2. Sous prétexte de faciliter la vie des journalistes pour suivre facilement le chef de l’État, on donnait 30 secondes d’images d’acclamations pour le JT du soir. »

C’était la recette d’une « machine politique très bien rodée » pour Nicolas Mariot, et abondamment utilisée : « Les visites présidentielles, ça ne ratait jamais, c’est pour ça qu’elles ont toujours été remises sur le métier. Le pouvoir arrivait toujours à produire les images attendues : la bise au bébé, les vivats, bref, le contact avec les Français. » Et Nicolas Mariot d’ajouter : « Là ça devient plus difficile. »

« Sans militants pour organiser un accueil chaleureux, il reste peu de monde et ce sont tous des opposants, donc on entend les insultes et les casserolades », poursuit le politologue, avant d’ajouter qu’avec la généralisation des smartphones, il serait impossible d’autant verrouiller la communication qu’il y a encore 20 ans. Toutes ces évolutions, tant dans le champ politique que médiatique, rendent l’exercice beaucoup plus périlleux pour l’actuel Président de la République, qui a d’ailleurs écrit aux adhérents de Renaissance ce lundi soir, pour les appeler à « sillonner le pays » plutôt que de « déserter le terrain. »

« La détestation que la présidence ultra-verticale d’Emmanuel Macron suscite a quelque chose d’inédit et dangereux »

Une sorte d’aveu de faiblesse, pour un parti dont l’ancrage local et la mobilisation militante n’ont jamais été le fort, d’autant plus que les enquêtes d’opinion vont dans le même sens que ces remontées du terrain. D’après le baromètre politique d’Odoxa, réalisé par Mascaret pour Public Sénat et la presse quotidienne régionale, réalisé les 19 et 20 avril, la cote de popularité d’Emmanuel Macron reste en berne à 70% d’opinion défavorable, au niveau des moments les plus intenses de la crise des Gilets Jaunes à l’hiver 2018-2019. Ces niveaux d’impopularité avaient pu être atteints par Nicolas Sarkozy ou François Hollande, qui était même tombé plus bas pendant une bonne partie de son mandat. Des CRS avaient par exemple dû intervenir à Bayonne le 1er mars 2012 pour dégager l’accès à un café où Nicolas Sarkozy – alors candidat à sa réélection – tenait une réunion publique. Une scène qui en rappelle de plus récentes, même si le reportage de France 2 de l’époque fait tout de même état de la présence de militants UMP lors du départ du chef de l’État.

Aujourd’hui, au-delà des cotes de popularité, l’intensité de l’hostilité envers Emmanuel Macron semble « rarement égalée », d’après les sondeurs. Tout comme cette impopularité s’exprime différemment par rapport à ses prédécesseurs dans les voyages présidentiels, avec un Président seul face à des opposants, l’image dépeinte par les sondages – sur un plan plus « qualitatif » – « témoigne d’une vertigineuse dégradation de tous ses traits d’image. » Le premier qualificatif cité par les enquêtés est en effet « brutal », pour 65% des Français interrogés (+ 16% sur un an) et à l’inverse le chef de l’État paraît « compétent » pour 36% des sondés (– 13% sur un an), sur un point qui paraît clé dans l’image d’Emmanuel Macron.

« La popularité du Président est faible. Ce sont des niveaux bas, et derrière cela, on voit qu’il y a beaucoup de qualificatifs extrêmement sévères », résume Céline Bracq, directrice générale d’Odoxa, sur le plateau de l’émission « Sens Public. » Mathieu Souquière, consultant et essayiste spécialisé en science politique abonde : « Le pouvoir est une école d’impopularité, mais n’est pas un problème insoluble. Il y a eu parfois pire qu’Emmanuel Macron. C’est une défiance qui ne génère pas, comme avec François Hollande, du mépris. Je ne sais pas ce qu’il vaut mieux choisir entre le mépris et la détestation. Mais dans ce contexte, la détestation que la présidence ultra-verticale d’Emmanuel Macron suscite a quelque chose d’inédit et dangereux. »

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