La polyphonie gouvernementale, assumée comme mode d’expression, tourne au couac. C’est cette fois le port du voile dans le sport qui est à l’origine d’un nouveau désaccord entre ministres, qui a tourné à la cacophonie sous tension, avant que l’exécutif ne siffle la fin de la partie, un peu tardivement.
Sujet de la discorde : la proposition de loi sénatoriale qui interdit le port du voile dans les compétitions organisées par les fédérations sportives. Le texte du sénateur LR Michel Savin a été adopté en février dernier par le Sénat, avec le soutien du ministre et ex-sénateur LR, François-Noël Buffet. Mais auditionnée la semaine dernière à l’Assemblée, la ministre des Sports, Marie Barsacq, a pris ses distances, estimant que « le port du voile (dans le sport) n’est pas de l’entrisme ». Elle a vu ensuite un soutien de poids, avec la ministre de l’Education nationale, Elisabeth Borne. Elle renvoie à la position du Conseil d’Etat, qui « a confirmé que quand les fédérations mettent en place des règlements intérieurs, cela suffit et cela permet de proscrire, de fait, les signes ostentatoires religieux dans les compétitions ». Autrement dit, ce n’est pas nécessaire de légiférer.
Le ministre de la Justice, Gérald Darmanin, entre à son tour en piste. Il dit tout le mal qu’il pense de ces prises de position. « Je regrette que la ministre des Sports comme la ministre de l’Education nationale ne soutiennent pas plus cette autorité républicaine, comme on l’a toujours fait en France », a lâché sur TF1 le ministre, et d’ajouter : « Je crains que ce soit de l’entrisme et il y a beaucoup de naïveté chez certains de nos dirigeants politiques ».
« Pas possible que les ministres se critiquent entre eux » demande François Bayrou
Pour le premier ministre, la liberté de ses ministres est allée trop loin. Il l’a souligné, ce mardi matin, lors du petit déjeuner de la majorité du socle commun. « Le premier ministre a dit ce matin qu’il n’était pas possible que les ministres se critiquent entre eux. Il a dit qu’il leur dirait, qu’il y mettrait un terme », selon un participant au petit déjeuner. « Il a dit qu’il allait convoquer les impétrants », confirme un autre participant. Chose faite. Gérard Darmanin, Elisabeth Borne, Laure Barsacq, la ministre Aurore Bergé, ainsi que le ministre de l’Intérieur, Bruno Retailleau, qui a fait ces derniers jours monter la pression sur les relations avec l’Algérie, ainsi qu’Aurore Bergé, sont invités à Matignon à 12h30, comme l’a révélé Le Parisien.
Mais à peine la réunion de recadrage commencée, Gérald Darmanin menace, toujours dans Le Parisien, de claquer la porte du gouvernement s’il n’obtient pas gain de cause. « Si le gouvernement est favorable au port du voile dans les instances sportives, on aura un sujet de participation », prévient le ministre, ajoutant qu’« on ne peut pas rester dans un gouvernement qui cède sur ces questions-là. Je ne participe pas à ça », prévient-il, dans des propos tenus avant la réunion, avant que son entourage assure, à l’AFP, qu’il « n’y a pas de chantage à la démission »… « La question ne se pose pas tant que la ligne du gouvernement n’est pas la remise en cause de l’interdiction du voile dans les compétitions sportives », précise-t-on.
« Il a raison de faire la police s’il estime que ça se passe mal »
A Matignon, le premier ministre a tenté de ramener l’ordre. « Il a insisté sur le fait qu’il ne fallait pas attaquer les autres ministres publiquement », selon l’entourage de Bruno Retailleau. Mais il ne faut pas y voir pour autant un changement de ligne dans la communication. « Il n’a pas dit ne vous exprimez plus à titre personnel. Mais il faut mettre les formes ». « Après, il a raison de faire la police s’il estime que ça se passe mal », juge un conseiller.
Sur le fond, François Bayrou a donné gain de cause aux défenseurs de la ligne de fermeté. « Cela a été acté de manière plus officielle sur l’interdiction du port du voile dans les compétitions organisées par les fédérations sportives », soutient l’entourage du ministre de l’Intérieur. Ce dernier s’en est félicité sur X.
Position publiquement exprimée ensuite par la ministre chargée de l’Egalité entre les femmes et les hommes et de la Lutte contre les discriminations, Aurore Bergé. « Il n’y a qu’une seule ligne au sein du gouvernement, c’est celle portée par le premier ministre et cette ligne est très claire, […] c’est le soutien à la proposition de loi amendée, qui a été portée au Sénat, et qui dit explicitement qu’il n’y a aucun signe religieux ostentatoire qui ne peut être porté dans les compétitions sportives », cadre la ministre lors des questions d’actualité au gouvernement.
Bordel organisé
Fin du psychodrame gouvernemental. Reste que le premier ministre donne l’impression d’être dépassé par ses ministres et de céder à la pression des poids lourds de son gouvernement, Bruno Retailleau et Gérald Darmanin, pris à son propre piège du bordel organisé.
« C’est le rôle de François Bayrou de faire jouer la cohérence du gouvernement. S’il y a des problèmes, on les règle en interne », apprécie un cadre du socle commun, dont le cœur balance cependant. « Ils ont tous les deux raisons. Car de l’autre côté, Gérald Darmanin n’a pas tort de dire ce qu’il dit sur le voile ». Ce responsable ne croit d’ailleurs pas au coup de la démission. « Il met un coup de pression. Gérald, c’est celui qui existe le plus librement. Il n’est inféodé à personne. Il veut exercer sa liberté. Mais c’est le rôle du premier ministre de dire stop, arrêtez les polémiques ». « Les ministres ont tendance à s’exprimer, le premier ministre ne peut pas laisser dépasser certaines lignes », ajoute un autre membre des petits dej’ de la majorité.
« Bouillie de chat »
Le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse a une explication à ces tensions : « C’est parce qu’il n’y a pas de chef. C’est ça le sujet », lance l’ancien ministre. « Du temps de Nicolas Sarkozy, si un ministre exprimait une position différente, il ne restait pas 48 heures au gouvernement », se souvient le sénateur du Nord, qui estime que « Gérald Darmanin a raison » sur le fond. « On attend du premier ministre qu’il dise, maintenant, c’est comme ça. Sinon, c’est de la bouillie de chat », tance Marc-Philippe Daubresse.
Le problème, c’est que François Bayrou « n’est pas supérieur aux autres, car il est lui-même président d’un parti. Son rôle est un rôle d’animation et de facilitation », pense un cadre de la majorité. Pour ne rien arranger, « François Bayrou a voulu des personnalités très fortes dans son gouvernement, et plusieurs anciens premiers ministres. On ne peut pas les traiter comme des débutants », constate ce chapeau à plumes de la majorité. Le même ajoute : « Ce n’est pas le tempérament de François Bayrou de gendarmer tous les matins. C’est un centriste, je vous le rappelle… Ce n’est ni un bonapartiste, ni un césariste ».
« Aujourd’hui, il n’y a pas d’organisation politique »
Pour ce responsable, ce nouveau couac est symptomatique d’une difficulté plus profonde. « Ça repose un problème global qui est celui de l’organisation politique du socle. Aujourd’hui, il n’y a pas d’organisation politique », ne peut-il que constater. « Il y a un socle qui a le mérite d’exister. Il soutient le gouvernement. Mais après, ses membres ne donnent pas le sentiment d’appartenir à un collectif. Ils agissent de façon unilatérale, comme avec Edouard Philippe ce week-end, ou Bruno Retailleau, qui est certes en campagne contre Laurent Wauquiez », souligne ce responsable du socle commun.
Si la tentative de création d’un intergroupe a capoté en 2024, ce parlementaire souligne que c’était « sous Michel Barnier, de l’eau a coulé sous les ponts ». Et d’espérer : « Pour se coordonner, ils pourraient se voir ensemble, les uns et les autres. Il faudrait trouver une solution, car il y a les municipales, le prochain budget, des choix politiques. C’est quand même mieux si les gens se parlent. Sinon, ça donne la cacophonie ». Mais avec des agendas individuels parfois divergents, c’est peut-être trop demander.