Paris: Weekly session of questions to the government

« Ça fait 100 jours que François Bayrou est premier ministre et la seule chose qu’il propose, c’est de reprendre des propositions de lois »

Alors que le premier ministre a passé le cap des 100 jours, François Bayrou a fixé quatre priorités sur l’éducation, la santé, la simplification et les finances publiques, dans un courrier adressé aux présidents de groupes. Mais la plupart restent « sur leur faim » et attendent davantage.
François Vignal

Temps de lecture :

11 min

Publié le

Mis à jour le

L’ancien professeur de lettres classiques, qu’est François Bayrou, a pris sa plus belle plume pour s’adresser aux présidents de groupe parlementaires et aux présidents de l’Assemblée et du Sénat. Répondant à ceux qui jugeaient le programme parlementaire pour le moins léger ou flou dans les semaines à venir, le premier ministre a écrit dans la nuit de vendredi à samedi pour annoncer que le gouvernement allait lancer « d’ici le 15 avril » quatre chantiers prioritaires : éducation, accès aux soins, « lutte contre la bureaucratie » et finances publiques, via l’installation d’une conférence nationale. Une missive qui tombe au moment où le Béarnais vient de passer le cap symbolique des 100 jours à Matignon.

Les critiques avaient pu venir jusque dans son propre camp, à l’image d’Edouard Philippe, qui pense qu’« il ne se passera malheureusement pas grand-chose de décisif dans les deux ans ». Certains voulaient des précisions. « Tout le monde lui demande régulièrement, à chaque réunion du mardi matin de la majorité, en disant « on aimerait bien être éclairés sur les choix des semaines à venir » », confie-t-on.

Sur l’éducation, le gouvernement fixe « deux piliers essentiels », avec « des choix structurants en particulier pour la formation des enseignants et la reconquête de l’écrit ». Sur la santé, il mise sur les parlementaires « pour apporter des réponses à la question des déserts médicaux », alors que le socialiste Guillaume Garot porte une proposition de loi (PPL) pour réguler l’installation des médecins.

« Beaucoup, dans l’amélioration de la vie publique, ne passe pas par la loi »

Le premier ministre veut aussi mener « le combat contre la bureaucratie qui épuise les Français », via le projet de loi de simplification, déjà adopté au Sénat. Enfin, il voit « la conférence nationale des finances publiques » comme la « première pierre de la préparation collective » du budget 2026, qui s’annonce très difficile. François Bayrou évoque enfin sa volonté de lancer « un débat large et ouvert » sur le thème « qu’est-ce qu’être Français ? », sans préciser.

On notera d’abord l’absence de plusieurs sujets, comme la fin de vie, les retraites, le travail ou le régalien. Un ministre dont le portefeuille est concerné minimise : « Beaucoup, dans l’amélioration de la vie publique, ne passe pas par la loi », avance ce membre du gouvernement, qui évoque plutôt « la démocratie sociale et la capacité à trouver des résultats par la concertation », ainsi que le recours « aux décrets » et à « une meilleure orientation des politiques publiques ». Autrement dit, « on peut être beaucoup plus volontaristes. Pas besoin de loi », selon ce ministre.

« Ça a le mérite de clarifier l’agenda et les priorités affichées pour les prochaines semaines » salue Hervé Marseille

De leur côté, les présidents de groupes du Sénat restent visiblement sur leur faim, dans leur majorité. Le président du groupe Union centriste et président de l’UDI, parti membre de la majorité gouvernementale, Hervé Marseille, est certes lui conciliant. « Ça a le mérite de clarifier l’agenda et les priorités affichées pour les prochaines semaines. Et d’éclairer l’ordre du jour, de manière à ce que l’on sache à quoi s’attendre, qu’on puisse travailler », salue le sénateur des Hauts-de-Seine.

Pour le sénateur UDI, les critiques d’Edouard Philippe n’étaient qu’« un constat. C’est difficile de faire de grandes réformes à partir du moment où il y a une maladie infantile, si on peut dire, qui est l’absence de majorité ». Avec le risque de ne proposer que de l’eau tiède ? « Il est obligé de faire des choses qui ne mettent pas à mal son socle parlementaire, et permettre d’avancer. C’est ce qu’il a fait sur le budget, le texte sur le narcotrafic, l’agriculture », défend Hervé Marseille.

« On a une urgence budgétaire » souligne Mathieu Darnaud

Face à cette lettre « arrivée nuitamment », le président du groupe LR du Sénat, Mathieu Darnaud, se dit quant à lui « aligné sur nombre de propositions et priorités qui sont mises en exergue, je pense notamment à la question budgétaire ». « Il faut que ce soit une priorité. Depuis, la question du budget de la défense s’est invitée à nouveau. Cela fait qu’on a une urgence budgétaire. Il nous faut un cadre, une méthode », défend le sénateur LR, parti membre du socle commun. « On peut bien sûr se rejoindre sur l’accès aux soins – nous allons faire d’ailleurs des propositions dans les semaines à venir – et sur l’école », continue Mathieu Darnaud, « maintenant, ce que les Français attendent, ce sont des éléments concrets. C’est vraiment un calendrier ».

« Aujourd’hui, faute de majorité à l’Assemblée, nous avons fait le choix, pour avancer concrètement, de poser plusieurs propositions de loi. Mais il faut maintenant essayer de voir plus loin que l’été », ajoute cependant le président de groupe, qui lâche quelques critiques. « Il manque quand même des choses dans ce courrier, notamment au sujet du régalien et sur le travail. Pour être au rendez-vous du budget 2026 et du conclave sur les retraites, il faut repenser les choses. On voit aujourd’hui qu’on est arrivé au bout d’un système. Chaque année, c’est plus difficile de financer notre système social, de boucler notre budget. Et on ne répond pas. C’est une priorité absolue », met en garde Mathieu Darnaud.

« Il faut aller plus loin, on attend d’un premier ministre qu’il conduise l’action du gouvernement et qu’il fixe des lignes d’horizon », demande Mathieu Darnaud

Quant à la conférence sociale sur les budgets, « on sait très bien que ça permet de poser un diagnostic – qu’on connaît soit dit en passant – mais qui appelle des décisions ». Il faut voir « par-delà la conférence sociale, car on en a eu sur à peu près tous les sujets », pointe le sénateur de l’Ardèche.

Après les 100 premiers jours de François Bayrou à Matignon, « il a fait montre d’intention. On a réussi à faire en sorte que certains textes importants au Sénat, comme le narcotrafic, sur les collectivités, les sujets agricoles, soient traités. Mais aujourd’hui, il faut aller plus loin. On attend d’un premier ministre qu’il conduise l’action du gouvernement et qu’il fixe aussi des lignes d’horizon », demande Mathieu Darnaud.

« Il y a de quoi s’interroger sur la durabilité de son gouvernement », affirme Patrick Kanner

A gauche, les critiques sont sans surprises plus dures. Patrick Kanner, à la tête du groupe PS du Sénat, y voit « une nouvelle déclaration de politique générale pour les 100 jours ». Il donne quelques bons points : « Ce qui va dans le bon sens, c’est de dire qu’il va utiliser les rapports parlementaires pour mieux influencer les projets de l’exécutif. L’éducation et la santé, cela a été aussi notre combat dans le cadre du budget », commence le sénateur PS du Nord. Mais « sur la conférence nationale sur les finances publiques, il est hors de question de coconstruire le budget, en tant qu’opposition. L’exécutif propose, nous on dispose. On participera quand on sera consultés », prévient Patrick Kanner, qui regrette aussi l’absence « de justice fiscale ». « Il manque aussi la politique salariale. Il n’y a aucun message envoyé aux salariés sur le pouvoir d’achat, pas de conférence salariale. Or c’est majeur », ajoute l’ancien ministre.

A l’heure du bilan des 100 jours, « très honnêtement, on en espérait davantage, après la négociation qu’on a accepté de mener lors du budget. J’ai été refroidi par l’expression « submersion migratoire », par son refus sur les 62 ans sur les retraites. Si je devais noter, ce n’est même pas passable. Comme c’est parti, il y a de quoi s’interroger sur la durabilité de son gouvernement », lance Patrick Kanner. Avec des risques de censure ? « Bien sûr. On a toujours dit que le juge de paix serait les conclusions sur les retraites. Mais il s’est tiré une balle dans le pied », ne comprend pas le socialiste.

« Tout ceci est étrange » pour Cécile Cukierman

De son côté, la présidente du groupe communiste (CRCE-K), Cécile Cukierman, s’étonne déjà, sur la forme, du « mail, reçu à 00h41, dans la nuit de vendredi à samedi ». « La première chose qui peut paraître étonnante, c’est que ça fait 100 jours que François Bayrou est premier ministre et la seule chose qu’il a proposée, c’est de reprendre les différentes propositions de lois, et il ne nous met pas de projet de loi sur la table. Il a beau dire que le calendrier est contraint, il n’en demeure pas moins que les semaines du gouvernement ne sont pas remplies de projets de loi en avril, mai et juin », pointe la sénatrice PCF de la Loire.

« Si c’était simplement pour nous dire qu’on allait juste parler éducation et santé, mais merci… Et on ne va pas faire croire aux Français qu’on va régler les déserts médicaux en un mois », grince encore Cécile Cukierman, qui attend plutôt des « projets de loi structurants pour répondre aux défis de l’éducation, de la santé, du pouvoir d’achat, du logement, d’ailleurs absent de ses propos ». « Quant à son paragraphe sur la lutte contre la bureaucratie, je ne sais pas si lui-même sait ce qu’il veut nous dire… » raille la présidente du groupe CRCE-K. Au final, elle s’étonne de voir « un tel courrier, qui renvoie beaucoup de choses à mi-avril, alors qu’il y a une coupure parlementaire mi-avril… Tout ceci est étrange ».

« Son courrier part dans tous les sens » pointe Guillaume Gontard

Même incompréhension chez l’écologiste Guillaume Gontard. « Que ce soit l’heure, la manière, tout ça est très lunaire et inquiétant. Peut-être qu’il s’ennuie le soir, et qu’il se dit « tiens, je vais écrire aux présidents de groupes ». Dans la forme, il commence en disant qu’il était interpellé par les présidents de groupes pour savoir où on allait. Donc il acte le flou dans lequel on est. C’est assez déroutant. En fait, il n’y a rien qui va », tance le président du groupe écologiste du Sénat. Il ajoute : « C’est du même tonneau que sa déclaration de politique générale, on reste sur sa faim. Ça laisse dans un grand flou, c’est inquiétant ».

« Son courrier part dans tous les sens », soutient encore Guillaume Gontard, qui ajoute qu’« il n’y a qu’une chose où François Bayrou est constant : c’est la transition écologique, il n’en parle jamais. Il y a juste une phrase ». « Le gouvernement ne travaille plus, ce ne sont que des PPL. Et je vois que ces textes, souvent issus de la majorité sénatoriale et des LR, sont avec des orientations hyperdroitières », regrette encore le président de groupe.

S’étonnant de l’absence d’évocation du contexte international et de l’élection de Donald Trump, le sénateur écologiste de l’Isère soutient qu’« il est incapable de planifier, de prioriser. Ce qui est un comble pour un ancien commissaire au plan ». Conclusion de Guillaume Gontard : « Ce courrier est une énigme ».

Pas de cession extraordinaire en juillet « pour éviter à tout prix une censure »

L’absence, de plus en plus évoquée, de session extraordinaire au Parlement en juillet, ce qui n’est pas arrivé depuis des années, étonne aussi les présidents de groupes. « C’est ce que j’entends », confirme Patrick Kanner, « ce serait pour éviter à tout prix d’aboutir à un 49.3 et donc une censure ». « Sa méthode, c’est moins il en fait, plus j’ai de chance de durer », raille Guillaume Gontard.

« Il y a assez peu de chances qu’il y ait un budget rectificatif, car qui dit PLFR, dit 49.3 », ajoute un membre de la majorité, qui comprend le choix de ne pas convoquer députés et sénateurs en juillet. « C’est surtout que le Parlement est un animal indocile, qui peut être dangereux. Donc vous n’allez pas vous mettre dans ses pattes inutilement », décrypte ce parlementaire, qui souligne qu’« il y a des gens qui aimeraient bien qu’il y ait des législatives anticipées. D’autres à gauche qui cognent tous les matins. On sait ce que c’est, la conjonction des impatients des agressifs ». Les dossiers sur la pile, eux, attendront.

Pour aller plus loin

Dans la même thématique

LAC DES BOUILLOUSES
6min

Politique

« Qu’on arrête de marcher sur la tête ! » : le coup de gueule de la sénatrice Frédérique Espagnac contre la suppression du Conseil national de la montagne

Dans le cadre de l’examen du projet de loi simplification, les députés ont supprimé en commission le Conseil national de la montagne, instance consultative qui rassemble les acteurs de ces territoires. Un vote qui étonne la sénatrice PS Frédérique Espagnac, d’autant que Matignon lui avait donné des assurances. « Que tout ce petit monde revienne à la raison », demande l’élue des Pyrénées-Atlantiques.

Le

« Ça fait 100 jours que François Bayrou est premier ministre et la seule chose qu’il propose, c’est de reprendre des propositions de lois »
2min

Politique

Visite du président du Rassemblement national en Israël : « Jordan Bardella ira indirectement porter la voix de la France », affirme Thomas Ménagé

Invité de la matinale de Public Sénat, Thomas Ménagé, député RN du Loiret, a évoqué le voyage de Jordan Bardella en Israël, qui aura lieu les 26 et 27 mars. Pour le porte-parole du Rassemblement national, cette visite constitue un « prémice » de l’engagement sur la scène internationale du Rassemblement national et n’est pas « une instrumentalisation » de la lutte contre l’antisémitisme, contrairement à ce qu’affirme Yonathan Arfi, le président du CRIF.

Le