C’était l’un des rebondissements de la nuit de vendredi à samedi lors de l’élection des membres du Bureau de l’Assemblée nationale. Après un premier tour annulé à cause du trop grand nombre de bulletins de vote recueillis au moment du dépouillement, la fin de la nuit a débouché sur une situation jamais vue sous la Ve République.
La majorité sortante, qui croyait avoir fait le plus gros la veille, en faisant réélire à la présidence de l’Assemblée nationale, Yaël Braun-Pivet, s’est fait surprendre quelques heures plus tard. Pas assez nombreux dans l’hémicycle en cette heure tardive, les députés Ensemble pour la République n’ont pu empêcher l’élection de 12 représentants du Nouveau Front Populaire sur les 22 qui composent le Bureau (six vice-présidents, trois questeurs et douze secrétaires), présidé par Yaël Braun-Pivet. Il y a deux ans, la macronie avait concédé au Rassemblement national deux vice-présidences, dans le souci d’une représentation équitable des groupes, comme le préconise le règlement de l’Assemblée. Cette fois-ci, le groupe Ensemble pour la République (EPR) présidé par Gabriel Attal avait décidé de ne mettre aucun bulletin « ni pour le RN, ni pour LFI », et de s’affranchir de cette proportionnalité. De l’autre côté, le RN avait voté pour des représentants des trois blocs qui se partagent l’Assemblée. Ce qui a permis à Marine Le Pen de dénoncer des « magouilles » et des « achats de poste » qui « foulent aux pieds la démocratie ».
Contrôle de la recevabilité des propositions de loi
Le Bureau est la plus haute autorité collégiale de la chambre basse ; « le Bureau a tous pouvoirs pour régler les délibérations de l’Assemblée et pour organiser et diriger tous les services », selon l’article 14 du règlement. On ne parle pas ici de l’ordre du jour. Celui-ci est établi en Conférences des présidents dans les limites de l’article 48 de la Constitution, à savoir deux semaines de séances par mois réservées en priorité à l’examen des projets de loi du gouvernement, une semaine réservée au contrôle parlementaire de l’action du gouvernement et une séance par mois réservée à l’examen des propositions de lois.
Mais le Bureau a compétence pour apprécier la recevabilité financière des propositions de loi au moment de leur dépôt. « Le Bureau réceptionne les textes et les attribue aux commissions permanentes. En ce qui concerne les propositions de lois, le Bureau contrôle leur recevabilité au titre de l’article 40 de la Constitution, c’est-à-dire qu’elles ne peuvent ni diminuer des ressources publiques, créer ou aggraver une charge publique. Il y avait une tolérance jusqu’à présent. Mais elle a été mise à mal avec le dépôt, l’année dernière, de plusieurs propositions de lois visant à abroger la réforme des retraites », rappelle Mathieu Carpentier, professeur de droit public.
En octobre dernier, le groupe LFI avait vu sa proposition de loi en ce sens frappée d’irrecevabilité financière au titre de l’article 40. Les députés de la France Insoumise avaient donc choisi de reprendre dans leur niche un texte similaire déposé quelques mois plus tôt par le groupe LIOT sans avoir été jugé irrecevable par le Bureau. La proposition de loi reprise dans la niche des Insoumis, le Bureau avait changé sa position et l’avait déclaré irrecevable.
« Ce deux poids deux mesures risque maintenant de se retourner contre la majorité sortante. D’autant plus qu’à 11 groupes (un record sous la Ve République NDLR), chacun d’entre eux n’aura pas plus d’une niche par an », souligne le constitutionnaliste.
Plus rare, le Bureau peut également être saisi par le Président de l’Assemblée pour statuer sur la recevabilité financière d’amendements.
Pouvoir de sanction
C’est l’une des prérogatives du Bureau qui aura marqué le premier passage de Yaël Braun-Pivet au Perchoir. Outre le rappel à l’ordre simple prononcé par le président de l’Assemblée, le Bureau est compétent pour prononcer des sanctions disciplinaires plus lourdes à l’encontre des parlementaires qui auraient perturbé les débats. Elles peuvent aller du rappel à l’ordre avec inscription au procès-verbal à la censure avec exclusion temporaire. Plus d’une centaine de sanctions avaient été prononcées entre 2022 et 2024 principalement à l’encontre d’élus de la Nupes contre 8 entre 2012 et 2017 et 16 lors du premier quinquennat d’Emmanuel Macron, a comptabilisé Mediapart. La censure qui emporte de droit la privation, de la moitié de l’indemnité parlementaire tout comme l’exclusion pendant 15 jours du député est prononcée par l’Assemblée sur proposition du Bureau. « On peut espérer que cette tendance au renforcement des sanctions ne soit plus réservée qu’au cas les plus grave. Yaël Braun-Pivet a parfois intimé à son bureau d’avoir recours à des sanctions qu’on pourrait qualifier de disproportionné. De l’autre côté, le rééquilibrage des forces au sein du Nouveau Front Populaire va peut-être conduire les élus LFI à faire preuve de moins d’outrance », résume Mathieu Carpentier.
Enfin, le Bureau est compétent pour décider de lever l’immunité parlementaire d’un député. Or cas de flagrance, l’inviolabilité d’un parlementaire empêche son interpellation ou son arrestation sans avoir obtenu l’accord préalable du Bureau de l’assemblée à laquelle il appartient. Mais l’immunité parlementaire ne fait pas obstacle à l’ouverture d’une enquête, ni même à l’engagement des poursuites.