Les superprofits, Bruno le Maire ne sait toujours pas ce que c’est. Par contre, le ministre de l’Economie est désormais décidé à mettre un terme aux « rentes sur des prix délirants de l’énergie » amassées par les producteurs d’électricité d’origine nucléaire ou renouvelable, qui engrangent des bénéfices exceptionnels en vendant leur production à un prix très supérieur à leurs coûts de production ». Un amendement gouvernemental en ce sens va être introduit au projet de loi de finances (PLF) pour 2023.
L’annonce du ministre n’en est pas vraiment une, les élus en avaient été informés, il y a quinze jours, lors des « Dialogues de Bercy », une réunion où étaient conviés les responsables parlementaires de tous les groupes.
Le dispositif ne fait que reprendre celui proposé par la Commission européenne mi-septembre en fixant le plafonnement des recettes à 180 euros/mégawhattheure. La différence entre ce niveau de revenus et le prix de gros du marché serait récupérée par les Etats pour être redistribuée aux ménages et entreprises. A noter, que charbon et méthane sont exclus du mécanisme.
« Cinq à sept milliards d’euros » dans les caisses de l’Etat
« En ce moment, il n’est pas juste de réaliser des bénéfices extraordinaires grâce à la guerre sur le dos des consommateurs », avait affirmé devant le Parlement européen, Ursula von der Leyen lors de son discours sur « l’état de l’Union ».
« Ce mécanisme va nous rapporter de l’ordre de cinq à sept milliards d’euros (ce qui) nous permettra de financer des aides importantes pour les entreprises […] mais aussi pour toutes les collectivités locales qui aujourd’hui n’arrivent plus à joindre les deux bouts », a précisé le ministre de l’Economie, ce jeudi.
« Cette manne financière va compléter le bouclier tarifaire énergétique »
« C’est la transcription législative de ce qui a été décidé la semaine dernière par les ministres de l’Energie des 27. Ça va permettre d’améliorer la couverture énergétique des entreprises, des plus grosses aux PME dont certaines ont vu leur tarif d’électricité multiplié par onze. Cette manne financière va compléter le bouclier tarifaire énergétique », explique Serge Babary, président LR de la délégation aux entreprises du Sénat.
En effet, 1,5 million de très petites entreprises sont éligibles au bouclier tarifaire, qui limite la hausse des coûts de l’énergie. Certaines se voient proposer au moment de leur renouvellement de contrat des offres à « prix délirants », a reconnu le ministre. « Trop de cas inacceptables nous sont remontés », a-t-il à l’issue de cette réunion avec les principaux énergéticiens dont EDF, TotalEnergies et Engie, citant des « factures avec des prix exorbitants, des conditions de contrats qui sont révisées de manière unilatérale, une visibilité insuffisante sur les contrats ».
Serge Babary partage ce constat. « Certaines entreprises se voient refuser leur renouvellement de contrat ou à des garanties exorbitantes. Nous ne pouvons pas les laisser sans contrat d’énergie. L’Etat va faire comme lors de la crise covid, et se porter garant ».
L’Etat prendra sur lui « la prime de risque » demandée aux entreprises par les fournisseurs pour garantir leur éventuel défaut de paiement, en mettant en place « une garantie publique sur les cautions bancaires qui sont demandées par les fournisseurs à leurs clients lors de la signature de contrats », a expliqué Bruno Le Maire.
« Il faut créer un grand service public de l’énergie », plaide Fabien Gay
Mais pour Fabien Gay, vice-président communiste de la commission des affaires économiques, « c’est un pansement sur une jambe de bois. On s’attaque aux conséquences et non aux causes. Il faut sortir de cette logique de marché qui consiste à calquer le prix de l’électricité sur celui du gaz. Dans ce contexte de transition énergétique qui va nécessiter des milliards d’euros d’investissements, il faut créer un grand service public de l’énergie ».
Ursula von der Leyen avait également annoncé une « contribution temporaire de solidarité » pour les producteurs et distributeurs de gaz, charbon et pétrole, qui réalisent des bénéfices massifs grâce à la flambée des cours. « Ces grandes entreprises doivent donc payer une juste part, verser une contribution de crise », avait-elle justifié. Cette contribution devrait être fixée à 33 % des superprofits (bénéfices supérieurs de plus de 20 % à la moyenne des années 2019-2021). Nuance sémantique, Bruxelles prend soin de ne pas parler de « taxe », car toute disposition fiscale requiert l’unanimité des Vingt-Sept, une procédure plus compliquée et risquée qu’une adoption à la majorité qualifiée.
Mais pour la France, cette contribution se chiffrerait à quelques centaines de millions d’euros, principalement ciblée sur TotalEnergies. Raison pour laquelle, à la Haute assemblée, l’idée d’une taxation nationale supplémentaire devrait fait l’objet de plusieurs amendements au budget 2023. « Emmanuel Macron a dit que nous étions en guerre à l’époque du covid. Il y a eu des profiteurs de guerre. Les entreprises du Cac 40 ne se sont jamais aussi bien portées. Et elles ont profité d’aides publiques comme le chômage partiel », insiste Fabien Gay.
Cet été, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, pas moins de sept amendements, proposés par les communistes, socialistes, écologistes et les centristes militaient en faveur d’une taxation des superprofits. Ces amendements voulaient tous taxer les « superprofits » notamment sur les « sociétés pétrolières et gazières, de transport maritime ou encore des concessionnaires d’autoroute ».
L’idée de cette taxe sur les superprofits devrait animer les a discussions budgétaires cet automne. Majoritaire au Sénat, le groupe LR, s’y était farouchement opposé, rejoignant ainsi la position du gouvernement. « Quand il y aura des pertes, est ce que l’Etat sera là pour mettre la main à la poche. On taxe les superprofits mais est-ce qu’il y aura des subventions pour les superpertes », compare Serge Babary.
« On travaille à l’aveugle »
D’autant que pour la droite sénatoriale une telle mesure qui ne figure pas au projet de loi initial ne bénéficie donc pas d’une étude d’impact, ni de l’avis du Conseil d’Etat.
« On travaille à l’aveugle, en fonction des annonces. On doit prendre des décisions qui engagent le pays pour des années sans avoir un projet stratégique énergétique consolidé au niveau européen et national », constate Jean-François Husson (LR), le rapporteur général du budget.
« Je préfère me prononcer quand l’amendement sera déposé », nous répond également un sénateur socialiste.
Jeudi, en commission des finances de l’Assemblée nationale, la majorité présidentielle a repoussé les amendements portés par la gauche et le RN en faveur d’une taxation des « superprofits » de grandes entreprises qui bénéficient de l’explosion du prix de l’énergie. Les députés macronistes privilégient une contribution au niveau européen.