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Budget : entre les divisions du bloc central et l’absence de majorité, le 49.3 paraît inévitable

Les hausses d’impôt ciblées sur les grandes entreprises et les plus fortunés, annoncées par Michel Barnier, continuent de diviser la majorité relative. Frondeur en chef, Gérard Darmanin continue de profiter de sa liberté retrouvée en jouant sa propre partition, au risque d’affaiblir le premier ministre. Tous ne ferment pourtant pas la porte à la hausse de la fiscalité.
François Vignal

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Les hausses d’impôts se précisent. Et le sujet n’en finit plus de diviser l’ex-majorité présidentielle, autobaptisée « bloc central ». Le premier ministre Michel Barnier l’a redit lors de son discours de politique générale : Si les deux tiers de l’effort, soit 40 milliards d’euros, viendront d’économies, le tiers restant, soit 20 milliards, proviendra de hausses de la fiscalité.

Michel Barnier a ainsi confirmé qu’une participation serait demandée aux « grandes entreprises qui réalisent des profits importants » et aux « Français les plus fortunés », au nom de la « justice fiscale ». Sur ce dernier point, on en sait un peu plus ce matin. « Nous parlons vraiment des plus fortunés », soit « 0,3 % » des quelque 20 millions de foyers s’acquittant de l’impôt sur le revenu, a annoncé sur France 2 le ministre du Budget et des Comptes publics, Laurent Saint-Martin. Soit un ménage sans enfant qui gagne « 500.000 euros par an ».

Le premier ministre a vu un soutien de taille – mais pas sûr qu’il soit encore de poids – en la personne d’Emmanuel Macron, qui s’est prononcé sur les entreprises. En déplacement en Allemagne, le chef de l’Etat a estimé mercredi qu’une « taxation exceptionnelle sur les sociétés » était « bien comprise par les grandes entreprises » mais qu’elle devait être « limitée ».

Gérald Darmanin juge « inacceptable » le projet de budget

Cela n’a pas empêché un certain Gérald Darmanin de continuer à faire entendre sa petite musique. Une musique grinçante, aux oreilles de Michel Barnier. Comme il l’avait fait dimanche, lors de sa rentrée politique, il a répété jeudi matin, sur France Info, son opposition à toute hausse de la fiscalité. « Je ne voterai pas une augmentation d’impôts », a prévenu celui qui voulait rester au gouvernement avec le même Michel Barnier. Au point de juger « inacceptable » le projet de budget. Il critique aussi la tentation d’une révision des « allègements de charges » pour les entreprises.

Une nouvelle sortie qui intervient alors que les tensions s’accentuent dans l’ex-majorité présidentielle. Michel Barnier, en faisant la leçon à son prédécesseur, Gabriel Attal, sur l’état des finances du pays, a rajouté de l’huile sur le feu. Et le groupe EPR compte un nouveau départ, en perdant Stella Dupont, figure de l’aile gauche macroniste, qui dénonce globalement la ligne.

« On est sur un choc fiscal de l’ampleur de celui de François Hollande en 2012 », dénonce le député Renaissance Mathieu Lefèvre

L’ex-ministre de l’Intérieur n’est pas le seul à jouer les frondeurs. Une partie des macronistes – ou peut-être bientôt ex-macronistes, tant chacun s’autonomise – insiste pour prendre ses distances avec un gouvernement qu’ils sont pourtant censés soutenir… Dans La Tribune, 27 députés Renaissance ont entonné le chant du « pas touche aux impôts ». Mathieu Lefèvre en fait partie.

« Attendons de voir la copie, exactement, et le débat parlementaire. Mais il est vrai que là, on est sur un choc fiscal de l’ampleur de celui de François Hollande en 2012 », lâche le député du Val-de-Marne. Pas vraiment un compliment dans la bouche de l’élu Renaissance. Et la prise de position d’Emmanuel Macron ne change rien à ses yeux :

 Je considère que revenir au taux de fiscalité qui prévalait au moment de François Hollande, c’est une erreur économique. 

Mathieu Lefèvre, député Renaissance du Val-de-Marne.

Mathieu Lefèvre explique son refus de toute hausse d’impôt : « On n’a pas un problème ponctuel de déficit public, mais un problème structurel de déficit public. On y répond par des réformes structurelles ou par des économies dans la durée, mais pas par des hausses d’impôts temporaires. Il y a quelque chose de contradictoire », pointe le député. Il craint « que ce choc fiscal ait des conséquences assez importantes sur la croissance et donc sur l’emploi. A ce niveau-là, les répercussions sont évidentes. Si vous touchez les allègements de charge, vous avez un effet sur l’emploi ». « J’ai cru comprendre qu’il y avait aussi la fiscalité des billets d’avion », ajoute-t-il, craignant les conséquences pour Air France. Mathieu Lefèvre résume : « Tout ça n’a pas de sens économique. C’est ça qu’on dénonce ».

François Patriat « pas fermé » à « un prélèvement temporaire, via l’impôt sur les sociétés, les rachats d’actions »

Mathieu Lefèvre laisse entendre que son camp est « assez aligné » sur cette position. Il n’est en réalité pas unanime. François Patriat, à la tête du groupe des sénateurs Renaissance (RDPI), est ainsi plus ouvert. « Il est hors de question de mettre des impôts qui pénalisent la croissance et font perdre la confiance. Mais je ne suis pas fermé – ce que d’ailleurs a accepté Emmanuel Macron – à un impôt, un prélèvement temporaire, via l’impôt sur les sociétés, les rachats d’actions », défend le sénateur de la Côte-d’Or. Un effort qui ne lui « paraît pas insoutenable ».

« Si on ne réduit pas la dette, on sera sanctionné par les marchés, les taux monteront et les pensions baisseront. Ce seront les plus défavorisés qui seront touchés », met en garde François Patriat, qui ajoute :

 Le manque de justice fiscale risque d’entraîner demain une vraie injustice sociale. 

François Patriat, président du groupe RDPI du Sénat.

Quant au cas de l’ancien ministre de l’Intérieur, qui multiplie les attaques, François Patriat a son explication. « Gérald Darmanin méritait de rester au gouvernement. Je l’aurais très bien vu à un poste important (son nom était évoqué pour le Quai d’Orsay, ndlr). Il n’est pas resté. Et les poids lourds, soit vous les avez dans le gouvernement, soit non, et ils s’expriment. Donc Gérald Darmanin a une liberté totale. Il s’exprime, il existe, il a un franc-parler », remarque le patron du groupe RDPI. Autrement dit, Michel Barnier n’a peut-être pas fini de payer son choix de préférer voir « Gérald » plutôt dehors, que dedans…

« Une taxation provisoire sur les gens plus fortunés doit être mise en débat », selon Stéphane Travert

Chez les députés aussi, certains suivent Michel Barnier. L’ancien ministre de l’Agriculture, Stéphane Travert, en « fait partie ». « Sur une taxation provisoire sur les gens plus fortunés, ça doit être mis en débat. Je ne m’oppose pas, par principe, à ce qu’on puisse regarder comment aller récupérer des moyens pour financer l’école, les solidarités. Ça se regarde, et faut voir qui est touché. Il ne faut pas toucher les classes modestes et les entreprises qui investissent et innovent. Dans ce cas, ça peut aller », soutient le député Renaissance de la Manche, selon qui « il ne faut pas s’interdire d’aller regarder la rente ». Ce membre de Territoires de progrès, qui rassemble la sensibilité de gauche, ajoute : « A un moment, la solidarité doit jouer ».

L’allié Modem, qui défend depuis un moment une taxe sur les superprofits, soutient également l’idée d’une hausse ciblée des impôts. « Dans cette situation-là, tout le monde va être appelé à faire des efforts », a assuré le président des députés Modem, Marc Fesneau, invité de la matinale de Public Sénat ce jeudi, tout en insistant : « Ceux qui sont le plus à l’aise doivent faire plus d’efforts que les autres ».

« J’ai la conviction que ça terminera en 49.3 »

Devant les positions qui se crispent, trouver une majorité pour Michel Barnier ne risque-t-il pas de devenir mission impossible ? « Globalement, l’ensemble des troupes va suivre la position d’Emmanuel Macron », veut croire un responsable de Renaissance. Mais en réalité, le spectre d’un passage en force, par le recours au 49.3, est déjà dans toutes les têtes. Déjà que la majorité est relative, si en plus elle se divise… Sous couvert d’anonymat, tout le monde a l’air en réalité de considérer la chose comme acquise.

« J’ai la conviction que ça terminera en 49.3 », confie un parlementaire avisé. « Je ne vois pas dans quel monde la gauche peut voter le budget et dans quel monde le gouvernement compte sur le RN pour le voter… Donc oui, évidemment, ils vont faire un 49.3 », confirme un député Renaissance. Un autre encore partage l’analyse :

 Les débats vont être très difficiles, car chacun sait que ça se terminera par un 49.3. Ça me paraît impossible de faire autrement. 

Un député Renaissance.

Tout le monde considérant le recours à l’arme atomique certain, on comprend pourquoi chacun se lâche d’autant plus facilement, et fait de la politique en crantant certains sujets. « On pense qu’économiquement et politiquement, les hausses d’impôts, c’est déraisonnable et dévastateur. Et surtout, que c’est un truc sur lequel nous sommes crédités », explique un opposant à toute hausse. Et ce n’est pas la cohésion de la majorité relative qui va pousser ces frondeurs à calmer leur offensive.

« Michel Barnier doit faire avec un gouvernement de coalition, pas de cohabitation. Donc c’est tous les jours compliqué pour lui »

Au milieu de cette confusion, les LR, traditionnellement opposés aux hausses d’impôts, pourraient soutenir leur ami Michel Barnier, du moins certains. « Sur la question de la fiscalité, je n’ai pas de ligne rouge », nous assurait lundi Jean-François Husson, rapporteur LR du budget. « C’est vrai qu’on avait dit qu’on n’accepterait pas de hausse d’impôts. […] Après, on a les explications de Bercy sur les 0,3 % de contribuables concernés, […] on ne peut pas dire que les classes moyennes sont concernées », ajoute ce jeudi au micro de Public Sénat le sénateur LR Roger Karoutchi, qui résume la situation : « Michel Barnier doit faire avec un gouvernement de coalition, pas de cohabitation. Donc c’est tous les jours compliqué pour lui, ça c’est clair. Mais y a-t-il d’autres solutions ? » Peut-être pas. Du moins pas tant qu’une censure ne sera votée.

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