Hasard du calendrier, vendredi, le jour où le Sénat lançait un groupe de travail sur la décentralisation, Élisabeth Borne annonçait une revalorisation de la dotation globale de fonctionnement (DGF). Initialement prévue à 210 millions d’euros, elle sera portée dans le budget à 320 millions, de sorte que « 95 % des collectivités verront leur dotation se maintenir ou augmenter », a assuré la Première ministre, à Bordeaux, devant la Convention des intercommunalités de France.
Il s’agit là d’une première hausse de la DGF en 13 ans, mais comme le calcule Philippe Laurent, maire de Sceaux (UDI), deuxième vice-président de l’Association des maires de France (AMF), « 300 millions sur les 27 milliards de la DGF, ça fait une augmentation de 1,5 %, ce n’est pas un pactole ». Ce serait même « une aumône » pour l’élu local. Il rappelle que les dépenses de fonctionnement des collectivités locales représentent 100 milliards, « avec une inflation à 5 %, c’est 5 milliards de manque à gagner ».
TVA, CVAE : « C’est encore de l’argent en plus dans les caisses de l’Etat que nous ne récupérons pas »
Reçus le 5 septembre à l’Elysée, les représentants de l’AMF avaient demandé une actualisation de la dotation globale de fonctionnement calquée sur l’inflation, soit + 4,3 %.
Le maire de Sceaux en profite également pour rappeler que les collectivités locales sont sujettes à une TVA à 20 % sur les contrats de prestations de services. De quoi grever leurs budgets si on le conjugue à la suppression prochaine de la CVAE (cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises) en 2024, « C’est encore de l’argent en plus dans les caisses de l’Etat que nous ne récupérons pas ».
Sur ce dernier point, Élisabeth Borne a annoncé vendredi que l’État « ne conservera pas la CVAE qu’il a recouvrée sur les entreprises en 2022. Celle-ci « aurait dû être versée aux collectivités en 2023 », a-t-elle reconnu. En conséquence, « ce sont entre 300 et 500 millions d’euros supplémentaires qui pourront soutenir vos investissements au travers du fonds vert ».
« La solution la plus simple et la plus équitable serait d’indexer la DGF sur l’inflation pour 2023 »
Au Sénat, l’état des finances des collectivités locales, confrontées à la flambée des prix de l’énergie, à l’inflation ou encore la hausse du point d’indice des fonctionnaires, préoccupe les élus depuis des mois. Cet été, une table ronde organisée par la délégation aux collectivités avait conduit à la demande par les élus locaux d’un bouclier tarifaire. La crise et l’inflation se sont depuis aggravées. « La hausse des prix de l’énergie représente 11 milliards pour les collectivités. La solution la plus simple et la plus équitable serait d’indexer la DGF sur l’inflation pour 2023 et que toutes les collectivités puissent bénéficier d’un tarif régulé de l’énergie », plaide Françoise Gatel, la présidente centriste de la délégation aux collectivités territoriales.
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Rappelons que depuis le 1er janvier 2021, date de l’entrée en vigueur d’une disposition de la loi relative à l’énergie et au climat, seules les très petites collectivités peuvent bénéficier du tarif réglementé. C’est-à-dire, celles qui souscrivent une puissance inférieure ou égale à 36 kilovoltampères, les collectivités ayant moins de dix personnes employées et dont le chiffre d’affaires, les recettes ou le total de bilan annuels n’excèdent pas 2 millions d’euros.
« En juillet, lors de l’examen du projet de loi de finances rectificative, nous avons déposé un amendement pour étendre la régulation des tarifs de l’électricité à l’ensemble des collectivités et nous avons été bien seuls à le défendre », rappelle la sénatrice communiste, Céline Brulin, dont le groupe demande également l’indexation de la DGF sur l’inflation.
« C’est un enjeu de solidarité nationale »
Dans quelques semaines, lors de l’examen du budget 2023, l’ensemble des groupes politiques de la Haute assemblée, à l’exclusion des LR et du RDPI (à majorité LREM) pourrait, de nouveau, se retrouver en votant en faveur d’une contribution exceptionnelle sur les superprofits touchés par les entreprises grâce à la crise et qui serait reversée à la collectivité au sens large. « A situation exceptionnelle, dispositif exceptionnel, c’est un enjeu de solidarité nationale. Les collectivités ne réclament pas une rente mais de pouvoir conserver l’accessibilité de services essentiels à sa population », appuie Françoise Gatel.
En sus du nouveau bouclier tarifaire qui limite la hausse des prix du gaz et de l’électricité à 15 % pour 2023, l’exécutif s’est engagé auprès des collectivités les plus en difficulté. Celles-ci pourront demander un acompte sur les aides de l’Etat, afin de compenser l’augmentation de leurs dépenses. Céline Brulin reste dubitative. « Dans mon département de Seine-Maritime, il y a une commune de 7 000 habitants qui voit son contrat d’électricité se terminer à la fin du mois. Sa facture va passer de 320 000 euros à 2 millions. Le préfet du département nous a dit qu’il n’avait aucun levier opérationnel pour agir ».
« Si le gouvernement veut baisser le niveau des services publics, qu’il le dise »
L’examen du projet de loi de finances intervient dans un contexte rendu tendu par la fuite récente d’une note confidentielle des services de l’Etat à contrecourant du constat fait par les élus locaux. L’étude faisait état de perspectives « favorables » pour les budgets des collectivités, tirés par des recettes dynamiques. « C’est une note qui additionne tout. Les plus petites communes qui n’ont pas de personnels ni de services, et qui vont plutôt bien, avec les villes moyennes, les métropoles, les départements, les régions », nuance Philippe Laurent.
« La fuite de cette note, c’est une provocation. Le budget des collectivités, à la différence de celui de l’Etat, ne peut pas être en déficit et ne pèse pas sur la dette publique », s’agace Céline Brulin.
Le deuxième vice-président de l’AMF tempère. « C’est un débat vieux comme la décentralisation. Il y a toujours une tentation de la part de Bercy de piocher dans les finances locales pour rentrer dans les critères européens. Nous avons de bonnes relations avec Caroline Cayeux, Christophe Béchu et même Gabriel Attal. Nous avons l’impression d’être écoutés. Mais de là à être entendu… Après c’est un choix politique. Si le gouvernement veut baisser le niveau des services publics, qu’il le dise ».