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Budget : dans l’Aisne, un département « très inquiet » face aux économies imposées par le gouvernement

[REPORTAGE] Confrontés à la hausse des dépenses sociales, comme le RSA, et à la baisse de leurs recettes, les départements sont pris en tenaille, au point de ne plus « y arriver ». Celui de l’Aisne fait partie de ceux les plus en difficultés. Il va couper certaines aides aux associations, dans le sport ou la culture. Le sénateur LR Jean-François Husson, rapporteur du budget du Sénat, a passé la journée à Laon, la préfecture. S’il est prêt à « revoir la copie » du gouvernement pour répartir l’effort, il entend maintenir les 5 milliards d’euros d’économies, demandés aux collectivités.
François Vignal

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Pour se rendre à l’hôtel du conseil départemental de l’Aisne, il faut entrer par la même grille que pour la préfecture. Juché derrière les remparts du XIIe siècle, qui ceinturent le cœur historique de la ville haute de Laon, le « plateau », comme l’appellent les habitants de cette commune de l’ancienne Picardie, l’hôtel départemental a pour voisin direct le représentant de l’Etat. Un Etat qui demande beaucoup aux collectivités dans ce budget 2025 de tous les dangers : 5 milliards d’euros.

Dans ce régime (presque) au pain sec et à l’eau, les départements, comme les autres collectivités, font grise mine. Surtout ceux qui ont déjà le couteau sous la gorge. C’est le cas de l’Aisne, justement. En cette matinée d’automne, c’est la soupe à la grimace.

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Crédits photo : Jean-François Husson, sénateur LR et rapporteur général de la commission des finances du Sénat.

Cette terre qui a connu la guerre – le Chemin des Dames est quelques kilomètres plus au sud – cumule aujourd’hui les difficultés sociales : près de 11 % de la population est au chômage, soit plus de 3 points au-dessus de la moyenne nationale ; le taux de pauvreté est de 18,8 %, le taux d’illettrisme de 13 %, contre 7 % en France. Pour les départements, qui ont la charge du social, c’est aussi un poids financier.

C’est pourquoi le sénateur LR Jean-François Husson, rapporteur général de la commission des finances du Sénat, passe la journée, ce mardi 15 octobre, derrière les murs de la « Montagne couronnée ». C’est le surnom de Laon, ville de 24.000 habitants bâtie sur une butte témoin. Au chevet des départements, le sénateur s’est déjà déplacé en Gironde, avant de voir bientôt les présidents réunis des Vosges, de Meurthe-et-Moselle et de Moselle.

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Crédits photo : la préfecture de l'Aisne.

« Temps d’échange un peu prolongé sur le terrain »

Pas le temps de faire du tourisme. Arrivé un peu en retard pour cause de réunion au petit matin, pendant une heure, avec le Président du Sénat, Gérard Larcher, en vue de l’arrivée du projet de loi de finances (PLF), le sénateur de la Meurthe-et-Moselle rentre tout de suite dans le dur, à peine accueilli par le président (divers centre) du département, Nicolas Fricoteaux.

« Rien ne remplace le temps d’échange un peu prolongé sur le terrain », lance Jean-François Husson. Il n’est plus dans l’opposition, mais soutient aujourd’hui le premier ministre Michel Barnier, un LR, comme lui à l’origine. Alors Jean-François Husson porte son discours sur « l’effort collectif », y compris pour les collectivités, dont les sénateurs sont pourtant toujours les premiers défenseurs. Mais face au déficit qui se creuse, il s’agit de « voir ce que les départements peuvent éventuellement apporter au redressement des comptes », mais en adaptant, selon les cas. « D’emblée, tout le monde va vous dire non », sourit Nicolas Fricoteaux.

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Crédits photo : Jean-François Husson (à gauche), sénateur LR et rapporteur général de la commission des finances du Sénat, et Nicolas Fricoteaux (à droite), président du département de l'Aisne.

« L’effet ciseau nous a tué en 2023, ça va nous tuer en 2024 »

Jean-François Husson connaît bien la problématique, qu’il résume : « Il y a un effondrement des ressources. Mais l’Aisne reste très impacté par l’envolée des dépenses sociales ». En même temps, « on n’a créé aucune ressource nouvelle dynamique et on ne réduit pas les dépenses publiques. C’est le grand déni qui nous conduit dans une situation de porte à faux », dénonce le sénateur du groupe LR.

C’est le fameux « effet ciseau ». « Cet effet ciseau, ça nous a tué en 2023, ça va nous tuer en 2024 », lance Nicolas Fricoteaux, graphiques à l’appui. Il peste contre les mesures annoncées : « Quand j’entends le gouvernement dire que la dynamique de la TVA sera gelée l’an prochain, c’est un coup de massue direct ». Un coup de massue qui coûte 5 millions d’euros au département. Si le gouvernement a déjà prévu d’épargner les collectivités les plus en difficulté d’une partie de l’effort, elles n’y couperont pas. Le département de l’Aisne chiffre au total cette baisse des recettes à près de 10 millions d’euros en 2025. Ce qui s’ajoute aux baisses successives de la dotation globale de fonctionnement (DGF) depuis 2014, soit 205 millions d’euros en cumulés. Elle devrait rester stable l’an prochain, mais sans prise en compte de l’inflation, ce qui revient à un recul.

« Je fais le tour des territoires pour dire, “ne comptez pas trop sur nous” »

Les dépenses sociales se cumulent, entre APA (allocation personnalisée d’autonomie, + 12 millions de dépenses en 2022 par rapport à la moyenne), PCH (prestation de compensation du handicap) et RSA (+ 28 millions en 2022), qui est à la charge des départements. Il représente un coût de 113 millions d’euros pour l’Aisne, avec 15.800 bénéficiaires, compensé à hauteur de 40 % par l’Etat. « L’aide sociale à l’enfance pèse beaucoup aussi. On a pris 20 millions quasiment en deux ans, c’est une catastrophe », alerte le président de l’exécutif départemental. Au total, le social représente 75 % des dépenses du département.

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Conséquence de cette situation financière : le département va couper dans ses aides dans le sport, la culture, les associations et bien sûr les communes. « Je fais le tour des territoires pour dire, “ne comptez pas trop sur nous”. Prévoyez un budget sans notre participation », prévient Nicolas Fricoteaux. « Le pire, ce sera les associations », rebondit la sénatrice LR de l’Aisne, Pascale Gruny, présente également. « Il y a 650 associations à Saint Quentin par exemple. Là, ça touche vraiment la population. Et après, ça se traduit par de la colère dans les urnes, à l’extrême droite », ajoute celle qui est aussi conseillère départementale. « On est le département où le RN fait ses plus gros scores, lors des élections », rappelle Nicolas Fricoteaux, à la tête du département depuis 2015.

« Comment faire pour réparer le toit du collège ou remettre un coup de goudron ? »

Autre difficulté : les DMTO, les droits de mutation à titre onéreux, plus connus sous le nom de « frais de notaires », lors d’une transaction immobilière. Ils ont partout chuté, avec le retournement du marché de l’immobilier. L’impact en volume peut être très fort dans les départements plus riches et dynamiques. Dans l’Aisne, qui attire peu et où les ventes sont plus faibles et difficiles, l’impact ne se fait pas moins sentir. L’Aisne est le troisième département avec le niveau de DMTO le plus faible, par habitant.

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Pour ne rien arranger, l’Aisne est confronté aussi à une forte dette, de 515 millions d’euros. Si elle est stable depuis plusieurs années, elle s’était envolée entre 2007 et 2015, entre « les problèmes de financement du RSA et un plan collège ambitieux ». Se sont ajoutés des emprunts toxiques. Résultat, « quand vous n’avez pas d’épargne brute, comment faire pour réparer le toit du collège ou remettre un coup de goudron ? » demande l’ancien maire de Rozoy-sur-Serre, qui ajoute :

 C’est la réalité de terrain, pas la réalité arithmétique de l’ENA. 

Nicolas Fricoteaux, président du département de l'Aisne.

S’il ne baisse pas les bras, on sent le président du département pris en tenaille. « Si un fonds de péréquation (système pour que les départements les plus riches aident les plus pauvres, ndlr) arrive, mais si on perd la dynamique de la TVA, c’est un jeu à somme nulle. On n’y arrive pas, nous », lâche l’élu local, qui se dit « très inquiet ».

« On nous fait les poches en permanence », dénonce Noël Bourgeois, président des Ardennes

Variation sur le même thème, ensuite, lors d’un déjeuner de travail. Le président du département voisin des Ardennes, Noël Bourgeois (LR), est présent, comme le préfet, Thomas Campeaux. « Vous avez une concentration de causes perdues », sourit Nicolas Fricoteaux. « On nous fait les poches en permanence », dénonce son homologue ardennais, « on est à l’os ». « En 2025, on va y arriver encore, mais en 2026, on ne saura plus équilibrer notre budget », prévient Noël Bourgeois, alors que les collectivités ont obligation de présenter un budget à l’équilibre. Pour marquer le coup, l’Aisne a carrément mis dans son budget un prêt fictif de l’Etat, pour alerter. Nicolas Fricoteaux a pu être ensuite reçu par les conseillers de l’Elysée et de Matignon.

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Crédits photo : la cathédrale de Laon domine « la ville basse » de la préfecture.

Autour de la table, la parole tourne et le déjeuner s’anime. « Est-ce qu’il est normal de manquer de place comme ça pour les enfants en situation de handicap ? Comme département, on n’a pas les moyens d’augmenter les places. Et ça veut dire que des enfants ne sont pas scolarisés », dénonce Anne Maricot, vice-présidente (divers gauche) du département, chargée de l’autonomie, le plus gros budget du département, avec 204 millions d’euros. Le département doit aussi supporter la revalorisation du smic sur l’inflation, qui arrive dès novembre, au lieu de janvier, comme annoncé par Michel Barnier. « Sur les 740 assistantes familiales, c’est 700.000 euros », lâche Isabelle Letrillart, vice-présidente (divers droite) à l’insertion, le retour à l’emploi et la famille.

« On arrive au bout d’un système »

Pour Noël Bourgeois, « si rien ne change, je ne donne pas cher de notre peau ». Un constat partagé par le préfet. « Ça repose la question de la décentralisation », telle qu’elle fonctionne aujourd’hui, « avant les collectivités avaient des recettes et elles votaient le taux. On arrive au bout d’un système » soutient Thomas Campeaux.

C’est la question d’une remise à plat, avec à la clef la question sensible du retour d’un nouvel impôt local, dont les collectivités ne bénéficient plus depuis la suppression de la taxe d’habitation. « Depuis 2 ans, Gérard Larcher dit qu’il faut remettre un impôt résidentiel », rappelait quelques minutes plus tôt Jean-François Husson lors de son entretien avec le président du département. « Le président de la République m’a dit, lors d’un échange, qu’on pourrait peut-être augmenter le taux des DMTO », confie Nicolas Fricoteaux, avant d’ajouter aussitôt : « Mais avec ça, tu ne règles rien ». « C’est un emplâtrage sur une jambe de bois », confirme le sénateur LR. Selon nos informations, il s’agit pourtant bien d’une piste de « réflexion », au sein du gouvernement, pour ce budget 2025. Mais rien n’est arbitré.

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L’après-midi, direction la ville basse, 120 mètres d’altitude plus bas, dans le quartier de Laneuville, où siègent les différents services sociaux du département. Les « VP », accompagnés des directeurs de services, refont un point détaillé. Le message est le même. Isabelle Letrillart insiste sur « la misère matérielle, la misère éducative » au sein de la population, « avec des familles qui souffrent », et auquel le département doit faire face. Rien qu’une place en famille d’accueil pour un enfant, « c’est 60.000 euros par an », ajoute l’élue locale.

« On va essayer de faire peut-être pas de la dentelle, mais de la couture de précision », avance Jean-François Husson

Un retour du terrain qui devrait inspirer les propositions de la majorité sénatoriale, lors de l’examen du budget. Nicolas Fricoteaux ne nie pas l’effort nécessaire, mais « chacun doit le faire en fonction de ses moyens. Il y a besoin d’une équité de traitement, dans cet effort collectif. Tout le monde ne peut pas être dans la même situation », demande le président de l’Aisne.

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S’il est « à l’écoute », Jean-François Husson n’a pas encore les réponses. « On va proposer une copie où on aura toujours l’objectif de 5 millions d’euros d’économie pour les collectivités, mais avec un autre ordonnancement, des solutions alternatives », avance le rapporteur du budget. « Lesquels ? Je n’en sais rien », dit-il. Tout juste avance-t-il l’idée « d’une année blanche pour les départements. Mais ça ne peut pas durer éternellement ».

Il juge aussi que l’objectif d’une économie de 800 millions d’euros sur le fonds de compensation pour la TVA (FCTVA), dont bénéficient les départements, « n’est pas une méthode terrible ». Jean-François Husson ajoute : « On va essayer de faire peut-être pas de la dentelle, mais de la couture de précision. Un effort le mieux partagé possible ». Du côté de Matignon, le premier ministre Michel Barnier est en réalité prêt à accepter pour les départements d’autres mesures, à condition que l’effort global reste là. « Entre l’Assemblée nationale et le Sénat, on a 70 jours pour essayer de modifier la copie », conclut le rapporteur du budget. Mais les collectivités sont prévenues : ce ne sera pas open bar.

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