Alors que le gouvernement demande un effort budgétaire de 5 milliards d’euros aux collectivités – « 11 milliards » selon les élus – le socialiste Karim Bouamrane affirme que « Michel Barnier est totalement inconscient ». Le PS a organisé ce matin, devant le congrès des maires, un rassemblement pour défendre les services publics.
Budget, assurance chômage, Nouvelle-Calédonie… Les dossiers chauds qui attendent Michel Barnier
Par Romain David
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La première des priorités de Michel Barnier sera politique. La nomination d’un nouveau chef de gouvernement ne clôture pas totalement la séquence de transition ouverte avec la dissolution. Place désormais à la constitution d’un nouveau gouvernement. Et c’est peu dire que la tâche s’annonce ardue au regard de la fragmentation politique issue des législatives anticipées. Le Premier ministre a entamé ses consultations ce vendredi matin, d’abord avec son prédécesseur Gabriel Attal, chef de file du groupe Ensemble pour la République à l’Assemblée nationale, puis avec les principaux représentants de sa famille politique, les présidents des deux groupes parlementaires LR, Laurent Wauquiez et Bruno Retailleau, ainsi que Gérard Larcher le président du Sénat.
Les équilibres seront difficiles à trouver pour s’assurer du soutien d’une majorité de centre-droit, entre un camp présidentiel qui a commencé à s’émanciper de la tutelle du chef de l’Etat, et une droite qui a longtemps refusé toute alliance avec la macronie. Faut-il s’attendre à des débauchages du côté des socio-démocrates ? Sur France Inter, Olivier Faure, le premier secrétaire du PS, estimait inimaginable qu’un socialiste puisse rejoindre le nouvel exécutif, alors que le Nouveau Front populaire annonce déjà qu’il censurera le gouvernement à venir.
Le tout se fera sous la surveillance du Rassemblement national, dont la mansuétude affichée pour le nouveau Premier ministre pourrait potentiellement s’effriter en fonction des personnalités choisies pour tel ou tel portefeuille. On a vu par exemple que l’hypothèse Xavier Bertrand pour Matignon, bête noire de Marine Le Pen dans les Hauts-de-France, avait provoqué une levée de boucliers du côté des députés RN.
L’urgence budgétaire
Premier dossier législatif sur le bureau de Michel Barnier, et pas des moindres : le budget 2025. Le calendrier de présentation du projet de loi de finance pour 2025 (PLF) est contraint par les textes de lois. Or, les consultations de l’été ont fait perdre un temps précieux à l’exécutif, même si le gouvernement sortant a commencé à plancher sur une première version. Le PLF doit être déposé sur le bureau de l’Assemblée nationale avant le premier mardi d’octobre, ce qui implique une présentation en Conseil des ministres au plus tard la semaine du 25 septembre.
La marge de manœuvre de Michel Barnier, qui souhaite « ajouter (sa) propre valeur ajoutée » aux dossiers laissés par son prédécesseur, est particulièrement mince. Les lettres plafonds envoyées par Gabriel Attal aux membres de son gouvernement prévoyaient de reconduire à l’identique le budget 2024, mais avec une nouvelle répartition des crédits d’un ministère à l’autre. Avec le dérapage budgétaire attendu pour la fin de l’année, la Direction générale du Trésor préconise une économie de 30 milliards en 2025 pour maintenir la trajectoire de réduction des déficits présentée à Bruxelles. Sur ce point d’ailleurs, la France, qui est visée par une procédure européenne de déficit excessif, devra présenter à l’UE son plan d’attaque avant la fin du mois de septembre.
Lors de la passation de pouvoirs, le nouveau Premier a promis aux Français « la vérité », « d’abord sur la dette financière et la dette écologique qui pèsent déjà lourdement sur les épaules de nos enfants ». Où ira-t-il chercher les économies nécessaires ? Faut-il s’attendre à des hausses d’impôts. Bercy s’est alarmé cette semaine de l’augmentation des frais de fonctionnement et des dépenses d’investissement des collectivités territoriales, mais trancher de ce côté reviendrait aussi à se mettre les élus locaux – et une partie du Parlement – à dos. « Vous pensez bien qu’avec 3 200 milliards de dettes, il va falloir faire des économies. Ce sera un budget difficile, un budget délicat, mais il faut que l’on soit courageux », explique Hervé Marseille, le président du groupe centriste au Sénat.
Quel avenir pour la réforme de l’Assurance chômage ?
La réforme contestée de l’Assurance chômage, qui prévoit de durcir les conditions d’accès à l’allocation de retour à l’emploi et de raccourcir les délais d’indemnisation, avait finalement été suspendue par Gabriel Attal après le premier tour des législatives. Ce revirement de dernière minute a été interprété comme un signe adressé à la gauche afin de faciliter les reports de voix contre le Rassemblement national.
Les organisations syndicales avaient salué cette suspension, certaines, comme la CFDT, allant même jusqu’à parler d’un « abandon ». À l’époque, Gabriel Attal avait ouvert la piste « d’aménagements » et de nouvelles discussions entre les partenaires sociaux et le patronat, qui n’avaient pas réussi à s’entendre sur la convention fixant les règles d’indemnisation pour la période 2024-2027. Les syndicats réclamaient notamment au patronat des gages sur l’emploi des seniors.
Les règles actuellement en vigueur courent encore jusqu’au 31 octobre. Reste à savoir si Michel Barnier se contentera de réactiver la réforme laissée de côté ou s’il laissera les partenaires sociaux reprendre la main.
Le secteur agricole toujours en attente de réponses
« L’incertitude, elle est dramatique pour un secteur économique comme le nôtre. Il y a eu des promesses, qui restent pour le moment en l’air », a déploré Arnaud Rousseau, le président de la FNSEA fin août. Pour calmer la grogne qui a secoué le monde agricole en début d’année, le gouvernement Attal s’était engagé sur une série de mesures, pour certaines laissées en plan après la dissolution. Quid, par exemple, du fonds de 100 millions d’euros piloté par la Banque publique d’investissement et qui doit permettre aux agriculteurs les plus fragiles d’obtenir les prêts que leur refusent les banques ?
Surtout, le parcours législatif du projet de loi d’orientation agricole, destiné à répondre aux causes structurelles de la crise traversée par le secteur, a été stoppé net avec les législatives anticipées. À peine adopté par l’Assemblée nationale, le texte a tout juste eu le temps d’échoir sur le bureau de la commission des affaires économiques du Sénat. Michel Barnier fera-t-il réinscrire ce texte à l’ordre du jour ?
Jeudi soir, le nouveau chef de gouvernement a laissé entendre qu’il accorderait une importance particulière au secteur agricole. « On attend d’un Premier ministre qu’il dise la vérité sur le rôle vital que tiennent et que jouent les acteurs du monde de l’économie, les grandes entreprises industrielles, les entreprises du monde agricole, et de la pêche aussi dont j’ai eu l’honneur d’être ministre », a-t-il déclaré. En tout état de cause, les organisations agricoles, qui ne se satisfont pas du texte laissé en suspens, espèrent peser dans la balance. Dans un communiqué diffusé ce vendredi, la FNSEA et le syndicat Jeunes agriculteurs appellent Michel Barnier à se saisir de leur propre loi pour « entreprendre en agriculture ».
La crise calédonienne
Au printemps dernier, la réforme du corps électoral en Nouvelle-Calédonie, contestée par les indépendantistes, déclenche de violentes émeutes dans l’archipel, faisant une dizaine de morts dont deux gendarmes, sur fond de marasme économique. Après plusieurs jours de blocage, le chef de l’Etat lui-même se saisit de ce dossier, annonçant la suspension de la révision constitutionnelle – sans pour autant y renoncer – et la mise en place d’une mission visant à trouver un accord global avec les partis politiques sur l’île.
Là aussi, la dissolution a mis un coup d’arrêt au processus d’apaisement. Fin juin, l’un des hauts fonctionnaires chargés de mission confiait à Public Sénat que les travaux étaient « en stand-by de facto ». Pour autant, si la flambée de violences a été mise en sourdine par la dissolution et la séquence électorale qui a suivi, la situation reste particulièrement tendue sur le « Caillou ». Le Haut-commissariat de la République y maintient toujours des mesures restrictives, comme le couvre-feu, l’interdiction des rassemblements et des restrictions à la vente d’alcool. Michel Barnier devra trouver au plus vite un moyen de débloquer ce dossier s’il veut s’épargner une nouvelle crise.
Le projet de loi sur la fin de vie, victime de la nouvelle configuration politique ?
Annoncé comme la grande réforme sociétale du second quinquennat d’Emmanuel Macron, le projet de loi ouvrant le droit à une aide à mourir, fruit de longs travaux préparatoires, était en train d’être débattu à l’Assemblée nationale lorsque la dissolution a été enclenchée. Tout juste les députés venaient-ils d’adopter l’article 5, qui ouvre la possibilité de demander une aide à mourir, lorsque leurs travaux ont été stoppés.
À présent, ce sont les nouveaux équilibres politiques qui menacent l’avenir de la réforme. Le RN, qui dispose désormais de 126 élus, y était opposé. Le parti de Marine Le Pen se risquerait-il à censurer le gouvernement sur ce texte ? En tout cas, il est peu probable que la gauche, favorable au projet de loi, vote une telle motion.
Notons que les députés LR, dont le groupe est vraisemblablement appelé à jouer un rôle prépondérant au sein de la nouvelle majorité, ont également bataillé contre l’ouverture d’une aide à mourir. Réputé conservateur sur les sujets sociétaux, Michel Barnier ne s’est encore jamais exprimé publiquement sur le sujet.
Le serpent de mer des retraites
Michel Barnier va-t-il se risquer à rouvrir cet épineux dossier ? Qu’il le veuille ou non, la réforme des retraites va revenir dans l’actualité parlementaire : le Rassemblement national souhaite profiter de sa niche parlementaire, le 31 octobre, pour présenter une proposition d’abrogation. De quoi promettre une séquence particulièrement animée au Palais Bourbon.
Durant la campagne des législatives, le NFP voulait abroger la réforme de 2023, pour revenir dans un premier temps à un âge légal de départ à 62 ans, avant d’étudier la possibilité d’un retour à 60 ans. Si la question de l’âge de départ est devenue une ligne de fracture indépassable entre les partis de gauche et l’ancienne majorité, plusieurs voix se sont élevées au sein du camp présidentiel ces dernières semaines pour faire savoir que la réforme était « améliorable », selon le mot de François Bayrou. On se souvient notamment que les dispositifs consacrés à la pénibilité et aux carrières longues avaient suscité d’âpres débats dans l’hémicycle.
Durant les primaires LR de 2021, Michel Barnier avait défendu un report de l’âge de départ à la retraite à 65 ans.
Le pouvoir d’achat
Bien que l’inflation revienne à des niveaux comparables à ceux d’avant la guerre en Ukraine, la question du pouvoir d’achat des Français et de la rémunération du travail s’est imposée comme l’un des principaux thèmes de la campagne des législatives. Le Nouveau Front populaire proposait une mesure choc, largement critiquée par les autres formations politiques : un SMIC à 1 600 euros. Du côté de la majorité sortante, Gabriel Attal voulait relever le plafond de la prime Macron et baisser les charges au-dessus du SMIC pour pousser les employeurs aux augmentations de salaires. Le Premier ministre sortant a fait savoir qu’il laissait sur son bureau, à l’attention de son successeur, des mesures pour œuvrer à la « désmicardisation » de la France.
Le pacte législatif des LR évoque aussi une baisse des charges, notamment la défiscalisation des heures supplémentaires, mais aussi le rachat de RTT, « la relance de l’intéressement, la participation et l’actionnariat salarié » comme pistes de revalorisation. Si le nouveau Premier ministre a placé « le travail et le niveau de vie des Français » parmi ses priorités, il n’en a pas dit plus sur les options qui seront privilégiées.
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