Budget : « 2024 est une année noire pour les finances publiques », alerte Pierre Moscovici

Auditionné par le Sénat, le président du Haut conseil des finances publiques affirme que les hausses d’impôts prévues dans le budget 2025 ne sont pas de 20 milliards d’euros, comme le dit gouvernement, mais « de 30 milliards d’euros ». Un effort indispensable, insiste Pierre Moscovici : « Le poids de la dette permet-il encore d’agir ? Non. Quand vous avez ce niveau de dette, walou ! »
François Vignal

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Si le Haut conseil des finances publiques nous a habitués à un langage toujours très diplomatique, son président, Pierre Moscovici, y va fort. Auditionné par la commission des finances du Sénat, ce vendredi matin, suite à son avis donné sur le budget 2025, enfin présenté la veille en Conseil des ministres, l’ancien ministre de l’Economie de François Hollande n’y est pas allé de main morte.

« 2024 est une année noire pour les finances publiques. Je pèse mes mots, mais je le dis », lance d’emblée Pierre Moscovici devant les sénateurs (voir la vidéo ci-dessus). Auditionné la veille à l’Assemblée, il avait déjà jugé le dérapage du déficit « absolument considérable et totalement inédit ».

Alors que le budget voté, il y a un peu moins d’un an, prévoyait un déficit public de 4,4 % du PIB en 2024, il a été relevé à 5,1 % en avril « et l’année se termine probablement avec un déficit de 6,1 %, soit 180 milliards d’euros », rappelle le président du Haut conseil pour les finances publiques (HCFP). Soit une hausse de 1,7 point sur an et « 52 milliards de plus », note Pierre Moscovici, qui ajoute : « Je ne garde pas le souvenir d’avoir assisté à quelque chose comme ça, d’autant que nous ne sommes pas en période de crise économique et financière et nos partenaires européens ont marqué des évolutions strictement inverses »

« Le quoi qu’il en coûte, en fait, ne s’est jamais arrêté. La dépense publique a continué à filer allègrement »

Comme il l’avait déjà dit, on est selon lui au-delà du dérapage. « J’ai le sentiment que nous avons vraiment perdu le contrôle de nos finances publiques. Cette expression a pu déplaire, je la maintiens. Il faut reprendre le contrôle de nos finances publiques », lance-t-il, mais avec des efforts « acceptables socialement, soutenables économiquement. Ce n’est pas une politique d’austérité qui doit être menée ».

Mettant à mal tout le récit qu’a tenu l’ex-ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, ces derniers mois, il insiste : « Le quoi qu’il en coûte, en fait, ne s’est jamais arrêté. La dépense publique a continué à filer allègrement », pointe du doigt Pierre Moscovici (voir vidéo ci-dessous). Soit « une dégradation de 20,4 milliards d’euros par rapport à la cible du programme de stabilité. Cela s’explique pour la moitié par le dynamisme des dépenses des collectivités territoriales, en fonctionnement comme en investissement, et pour l’autre moitié en dépenses de l’Etat », précise le président du HCFP.

« La prévision de déficit 2025 est fragile »

Il a rappelé les grandes lignes de l’avis rendu public jeudi. Tout n’est pas négatif dans la copie rendue par le gouvernement. La trajectoire macroéconomique pour les années à venir, en repoussant l’objectif d’un retour aux 3 % de déficit de 2027 à 2029, « est plus raisonnable que celle de la loi de programmation des finances publiques et le programme de stabilité ».

Quant à la réduction du solde structurel de 1,2 point en 2025, Pierre Moscovici parle d’« une inflexion réelle et bienvenue ». Si bien que globalement, « la question de la sincérité ne s’est pas posée ».

Mais il a un « mais ». Et même plusieurs. « Dans le contexte international, le Haut conseil considère que la prévision de 2024 est réaliste, mais celle de 2025 a un élément de fragilité », avec des « prévisions de croissance un peu élevées » en raison de possibles aléas, avec 1,1 % de croissance prévue par le gouvernement. Précision de vocabulaire : en langage du HCFP, « un peu élevé, ça ne veut pas dire infaisable, mais ce n’est pas le plus probable ». Une « prévision de déficit 2025 fragile », d’autant que « l’ampleur des mesures à mettre en œuvre n’est pas documentée à ce stade », avec des « modalités de moindre dépense qui restent peu définies ».

« L’effort repose à 70 % sur des hausses de prélèvements obligatoires »

Pierre Moscovici est revenu sur un point sensible de l’avis du Haut conseil : le niveau réel de la hausse des impôts et des économies. Pour l’institution, qui a fait un calcul en se basant sur les efforts structurels, « cet effort repose à 70 % sur des hausses de prélèvements obligatoires, 30 milliards d’euros, soit 1 point de PIB, et à 30 % sur les dépenses, 12 milliards d’euros, soit 0,4 point de PIB ». Soit l’inverse des chiffres du gouvernement, qui parle de deux tiers d’économies, pour 40 milliards d’euros, et un tiers de hausses d’impôts, pour 20 milliards d’euros. Une différence qui s’explique par la méthode retenue par le gouvernement, qui s’exprime en tendanciel, soit les niveaux de dépenses et d’impôts si rien n’avait été fait. « Du fait de ce choix de méthode, l’effort en dépenses est considérable », note Pierre Moscovici, qui ajoute : « On cherche à nous opposer, mais ce n’est pas ça. Les deux modes de calculs existent ».

Reste que la méthode n’explique pas entièrement la différence. « La classification fiscale » sur l’augmentation de la taxe sur l’électricité voulue par le gouvernement et la réduction des allègements de cotisations pour les entreprises, joue aussi. « Le gouvernement comptabilise ces deux données en économies. Je crois franchement que ce sont des prélèvements obligatoires. Donc si vous raisonnez en tendanciel, en fait, c’est plus de l’ordre de 30 milliards d’euros (d’économies) et 30 milliards d’euros (de hausses de prélèvements), c’est-à-dire 50/50 », recadre Pierre Moscovici.

Autrement dit, en prenant la méthode de calcul du gouvernement, c’est quand même la moitié de l’effort qui provient des hausses d’impôts, qui ne sont par ailleurs pas de 20 milliards d’euros, mais de 30 milliards, un chiffre « robuste ».

Ce sont les « certitudes tranquilles » de Pierre Moscovici : « J’ai quand même une certitude tranquille : le structurel, c’est ce qui reste. Et j’ai une autre certitude tranquille, c’est que le partage recettes/dépenses n’est pas exactement celui qui est affiché, dans la mesure où il y a des classifications qui sont à reclasser. Et je pense que le gouvernement ne peut pas le contester et ne va pas le contester »

« On fait dire aux chiffres ce qu’on veut »

Cette question du tendanciel fait quelque peu tiquer le président PS de la commission des finances, Claude Raynal. « Je comprends bien qu’on fait dire aux chiffres ce qu’on veut. Il suffit de faire un tendanciel un peu plus fort et on a un niveau d’économies un peu plus fort », lance le socialiste, « donc on fait monter le tendanciel », avec un chiffre de 7 % de déficit, si rien n’avait été fait. « On a parfois l’impression que c’est un peu (fait sur) un coin de table », confirme Pierre Moscovici…

Le président du Haut conseil note au passage un point important, en vue des débats au Parlement : « Le solde présenté dans l’article liminaire du budget n’est pas de 5 points mais de 5,2 points » de déficit pour 2025. Explication : « Certaines mesures ne sont pas intégrées au projet de loi de finances, mais doivent être intégrées par amendement, pour arriver à 5 points. Donc l’objectif de 5 points dépend de l’adoption par les assemblées de tels amendements. Ça suppose une très grande force de conviction du gouvernement et extrêmement de sagesse de la part des parlementaires ». Le 49.3 pourrait aussi simplifier la tâche de Michel Barnier.

« Le poids de la dette permet-il encore d’agir ? Non. Quand vous avez ce niveau de dette, walou ! »

Derrière cet enjeu du déficit, il y a évidemment celui de la dette, par nature liés. Alors que la dette sera de 115 % du PIB l’an prochain, le président du Haut conseil souligne qu’« avec un tel niveau de dette, on ne peut rien faire. […] La charge de la dette va devenir l’an prochain proche du niveau du budget de l’Education nationale », « elle est passée de 25 milliards en 2021, à 53 milliards cette année, elle sera à 70 milliards en 2025 ». Histoire de se faire clair, il ajoute : « Notre dette trouvera preneur. Mais le poids de la dette permet-il encore d’agir ? Non. Quand vous avez ce niveau de dette, walou ! Pardon de parler comme ça, mais on ne peut pas faire grand-chose », lance Pierre Moscovici. Regardez :

Assumant « ce rôle de vigie des finances publiques », le président du HCFP l’espère : « Nous finirons par être entendus. On dit parfois que ce n’est pas la peine d’espérer pour entreprendre. Et bien, ce n’est pas la peine d’être entendu pour l’ouvrir. Nous le faisons ».

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