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Biodiversité : le vote mercredi au Parlement européen est « à l’épicentre de la baston qui se joue entre la droite et les écolos »

L’incertitude est totale sur l’issue du vote, ce mercredi, au Parlement européen, sur la loi de restauration de la nature qui vise à réparer les écosystèmes abîmés, et qui aura des conséquences dans les pays membres. La gauche, les écologistes et Renaissance soutiennent le texte, quand la droite et l’extrême droite s’y opposent. Avec en toile de fond, les prochaines élections européennes qui électrisent les positions.
François Vignal

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L’enjeu est autant de fond que politique. Le Parlement européen est actuellement le théâtre de débats et d’intenses négociations. Des manifestations s’organisent devant son siège, à Strasbourg, avec d’un côté des agriculteurs en colère, de l’autre des activistes du climat. Ce qui concentre ces tensions, c’est le projet de loi de l’Union européenne sur la restauration de la nature. Son objectif : enrayer le déclin de la biodiversité et réparer les écosystèmes abîmés.

« Ça va se jouer à quelques voix »

A un an des élections européennes, il est au cœur d’une bataille politique, entre d’un côté la gauche et les écologistes, qui soutiennent le texte, de l’autre la droite européenne et l’extrême droite, qui s’y opposent. Entre les deux, les libéraux du groupe Renew, celui des eurodéputés macronistes de Renaissance, présidé par un proche d’Emmanuel Macron, Stéphane Séjourné. Le groupe est partagé, entre une majorité de pour, environ 70 % du groupe, et une minorité de contre. Et à la clef, un vote, prévu ce mercredi, qui « va se jouer à quelques voix », reconnaît l’eurodéputée LR Anne Sander, qui suit le sujet. Ce mardi, personne ne se risque au pronostic, ni dans un sens, ni dans l’autre. « Ça va être serré, on est totalement en zone grise », confirme-t-on du côté des eurodéputés Renaissance. Strasbourg est en plein brouillard.

L’eurodéputé EELV David Cormand explique le contexte : « Cette loi s’inscrit dans un package global autour du concept de green deal, qui est une espèce de plan vert européen lancé en 2019, qui se décline en différents textes législatifs, sur la transformation de nos infrastructures, la fin de la voiture thermique en 2035, le développement du ferroviaire, le développement du renouvelable, etc. Cette loi de restauration de la nature, c’est le pendant biodiversité du plan vert », explique celui qui sera en seconde position de la liste de son parti pour les européennes de 2024. Concrètement, le texte permet de prendre des mesures pour réparer des espaces terrestres et marins, dans la lignée de l’accord de Montréal, en remettant en eau des tourbières, en replantant des haies dans les champs lieu de vie pour les insectes, en laissant dans les forêts une partie des arbres morts ou en assurant 25.000 km de cours d’eau libre d’ici à 2030.

« Vu l’effondrement de la biodiversité, des populations d’insectes, on est face à une situation dramatique », alerte Yannick Jadot

Pour les écologistes, ce règlement européen, qui devra ensuite s’appliquer aux Etats membres, s’il va au bout, est indispensable. « On a 80 % de nos écosystèmes qui sont dégradés. Or c’est la nature qui permet la pollinisation, l’alimentation, de lutter contre le dérèglement climatique. Au fond, la nature, c’est la vie. Vu l’effondrement de la biodiversité, des populations d’insectes, on est face à une situation dramatique », soutient l’eurodéputé Yannick Jadot, ancien candidat d’EELV à la présidentielle.

Autant de sujets sensibles aux yeux de la droite européenne. « C’est un texte qui est complètement à l’épicentre de la baston qui est en train de se jouer entre la droite et les écolos, en gros », résume David Cormand. Après « une forme d’acceptabilité d’une partie de la droite du green deal en 2019, la droite, sous l’influence du président du groupe PPE (le Parti populaire européen, qui rassemble les partis de droite conservatrice, dont les LR font partie, ndlr), Manfred Weber, et la droite européenne en général, a décidé de théoriser son opposition à l’écologie, le fait de dire que ça commence à bien faire, que l’économie est en danger, qu’il y a la guerre en Ukraine, la concurrence chinoise. Donc les idées farfelues des écolos, c’est terminé », décrypte David Cormand, qui ajoute :

 C’est une contre-réforme écologiste, un backslash écolo. On le voit dans la tonalité de la campagne en vue des européennes. 

David Cormand, député européen EELV

« C’est un texte qui engage une idéologie de la décroissance, où le mot produire devient un gros mot » dénonce l’eurodéputée LR Anne Sander

Une attaque que récuse la droite. « Le groupe PPE a voté plus d’une vingtaine de textes dans le cadre du green deal. On ne l’a pas remis en question. Mais ici, c’est un texte qui engage une idéologie de la décroissance, où le mot produire devient un gros mot. Nous espérons au contraire produire mieux, de façon plus vertueuse. Mais pour cela, il faut miser sur l’innovation », rétorque l’eurodéputée LR Anne Sander, cheffe de file de la délégation française du PPE sur le texte. « Cette proposition n’est pas bonne. Par exemple, le texte dit qu’il faut 10 % de jachère, quand au niveau de la PAC c’est 4 %. Certains disent que ce n’est pas obligatoire, mais une fois que ce sera inscrit dans le texte, ça le sera. Il y aura des plans nationaux de restauration et ces objectifs seront évalués et deviendront contraignants », souligne Anne Sander, qui renvoie vers « l’article 14 » du texte, où est évoqué « l’objectif visant à ce qu’au moins 10 % de la surface agricole de l’Union soit constituée de particularités topographiques à haute diversité à l’horizon 2030 », ce qui inclut, selon les annexes du texte, « les jachères » et « les haies ».

La droite craint aussi d’autres conséquences, que ce soit avec « les indicateurs de la bonne santé forestière, où le bois mort devient un indicateur, alors que les préfets prennent des mesures contre les incendies avec la sécheresse », sur la « production d’énergie » ou encore sur la production alimentaire. « Les Européens ne vont pas arrêter de consommer. Si on baisse notre production ou qu’elle devient trop chère, on va se tourner vers des productions hors UE et on va renforcer ces productions sans aucun standard », craint l’eurodéputée LR, qui ajoute :

 Nous partageons la volonté de protéger la nature et la restaurer, ce n’est pas sujet. C’est la manière. C’est un texte dangereux, dogmatique, contre-productif. 

Anne Sander, députée européenne LR

« La droite européenne est dans une forme de double rupture »

Pour les écologistes, le discours et le blocage de la droite sont inquiétants à plus d’un titre. « La droite européenne est dans une forme de double rupture. Les chrétiens-démocrates ont été depuis 60 ans des piliers de la construction européenne. Et là, sur un texte important, ils fonctionnent comme l’extrême-droite, c’est-à-dire qu’ils rejettent l’idée d’une négociation sur ce texte. Ils ne sont plus dans le compromis, c’est une rupture fondamentale, y compris sur un texte défendu par la présidente de la commission, Ursula von der Leyen, qui est une représentante du PPE. Et au Conseil européen, beaucoup de pays dirigés par des conservateurs ont validé l’approche de la commission », pointe Yannick Jadot. Celui qui est par ailleurs candidat aux élections sénatoriales à Paris en septembre prochain ajoute :

 Sur la méthode et sur le fond, on a un alignement de la droite sur l’extrême droite, qui est extrêmement inquiétant. C’est clairement un déni. 

Yannick Jadot, député européen EELV

Une accusation portée aussi par les macronistes. « La droite est dans une stratégie de radicalisation car elle pense voir beaucoup de ses électeurs fuir vers des partis conservateurs ou d’extrême droite, donc elle entend incarner quelque chose de beaucoup plus à droite. En trahissant totalement leurs engagements, ils se sont ainsi mis à expliquer que cette loi était un cauchemar, avec un ensemble de fake news qui hystérisent les débats », dénonce Antoine Guéry, porte-parole de Stéphane Séjourné au Parlement européen.

« Ce n’est pas voter avec l’extrême droite, c’est un vote que nous assumons car le texte est mauvais »

Là encore, les LR démentent cette lecture. « Ce n’est pas voter avec l’extrême droite, c’est un vote que nous assumons et sur lequel nous sommes depuis le début, car le texte est mauvais », réplique Anne Sander. L’eurodéputée, qui siège aux côtés de François-Xavier Bellamy, insiste : « On n’est pas du tout dans des jeux d’alliance politique. Ce n’est pas le sujet sur ce texte ». Elle souligne au passage qu’« une bonne partie du groupe Renew votera avec nous… »

Chez les écolos, on pointe par ailleurs la responsabilité du chef de l’Etat français, qui aurait brouillé le message. « Emmanuel Macron, en faisant un discours sur la pause environnementale, a ouvert la boîte de pandore », regrette Yannick Jadot, qui pense que « chez Renaissance, ils sont emmerdés. Une partie de leur groupe est défaillant. Comme ça va se jouer à quelques voix… »

« Renew essaie de proposer un texte de compromis, pour rallier les centristes, la gauche et également des délégations de droite »

De son côté, Antoine Guéry souligne qu’entre « une droite qui n’a pas intérêt au compromis, qui se rapproche des climato sceptiques, et une gauche, pas toute, qui a intérêt a démontré qu’elle est dans le camp du bien et les autres, c’est le mal », « il y a des députés qui doutent, qui ont besoin d’éléments de réponse ». Ce proche de Stéphane Séjourné explique qu’« aujourd’hui, à Renew, on essaie de proposer un texte de compromis, pour rallier les centristes, la gauche et également des délégations de droite, qui avaient des inquiétudes ». Le porte-parole du président du groupe Renew note au passage qu’« il n’y a aucun groupe, à part le nôtre, qui a pris l’initiative de trouver un compromis ».

Chez certaines délégations, les inquiétudes portent sur la question des forêts, de la pêche ou la souveraineté alimentaire. Les Pays nordiques ont notamment des inquiétudes sur les forêts – ils en ont beaucoup – quand les Pays-Bas, territoire très dense, voient mal comment rendre des espaces à la nature.

Pas encore la fin de l’histoire

Si ces doutes sont levés, peut-être que quelques voix pourraient basculer d’ici demain… Pour compliquer la lecture des choses, il faut avoir en tête que lors du Conseil européen, qui réunit les chefs d’Etat et de gouvernement, les Tchèques, les Baltes, les Grecques ou les Irlandais avaient soutenu le texte, bien que leurs gouvernements soient au PPE.

Si la motion de rejet présentée demain n’est pas adoptée, le texte ne sera pas arrivé au bout. Il y aura encore une négociation entre Etats membres, au sein du Conseil, la Commission et le Parlement, dans les fameux trilogues, avec à la clef un nouveau texte qui doit être encore ratifié. En cas de rejet, ce ne sera pas non plus la fin de l’histoire. Car le Conseil peut encore décider de continuer la discussion, en soumettant le texte du Conseil aux voix du Parlement, ce qui pourrait amener à l’automne. Les institutions européennes ne manquent pas de surprises. D’ici là, les heures prochaines risquent d’être intenses dans les couloirs du Parlement…

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