Benalla : des sénateurs dénoncent « une affaire d’Etat »

Benalla : des sénateurs dénoncent « une affaire d’Etat »

Alors que l’affaire Benalla se concentre sur les contrats passés avec des oligarques russes, proches de Poutine, certains sénateurs y voient maintenant « une affaire d’Etat ». La commission d’enquête va bientôt rendre ses conclusions et pourrait transmettre le cas d’Alexandre Benalla à la justice pour possible faux témoignage.
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Chaque semaine, son lot de révélations. L’affaire Benalla n’en finit plus. Mediapart a révélé lundi 12 février de nouveaux éléments sur les contrats russes. Le premier contrat, signé avec Iskander Makhmudov, un proche de Vladimir Poutine suspecté de liens avec la mafia, a été « personnellement négocié » par Alexandre Benalla, quand il était encore en poste à l’Elysée et habilité au « secret-défense », selon le site d’investigation. Un deuxième contrat aurait été signé en décembre 2018 avec un second oligarque russe. Au total, Mediapart affirme que ces contrats représentent un montant de 2,2 millions d’euros (voir le sujet vidéo de Jonathan Dupriez).

Ce « feuilleton rocambolesque », selon le sénateur LR Marc-Philippe Daubresse, membre de la commission des lois, prend une nouvelle ampleur. « Vous êtes à la saison 5 de l’affaire Benalla. C’est une affaire d’Etat, une vraie, car elle touche plusieurs organes centraux de l’Elysée et Matignon » soutient l’ancien ministre. Sur France Inter, Christophe Castaner, ministre de l’Intérieur, a parlé lui plutôt d’« une affaire de cornecul ».

« Mensonge d’Etat »

Une affaire d’Etat ? « Ça le devient » pour le sénateur LR, François Grosdidier, membre de la commission des lois et à ce titre aussi de la commission d’enquête du Sénat. « Au début, on pouvait parler de petit dysfonctionnement de l’Etat, mais pas d’affaire d’Etat. Là où il y a une dérive, c’est que le secrétaire général de l’Elysée et le directeur de cabinet d’Emmanuel Macron construisent un mensonge d’Etat pour couvrir un petit dysfonctionnement d’Etat. Mais on se rend compte que la dérive est plus grande qu’on ne le pensait au départ » souligne le sénateur LR de la Moselle. Il ajoute :

« Avec cette dérive affairiste, on se rend compte que ce petit dysfonctionnement de l’Etat est peut-être un gros dysfonctionnement de l’Etat ».

« Cette affaire de contrats russes est une confusion des genres beaucoup plus grave, avec des risques et des intérêts qui peuvent être totalement contraires à ceux de la France » insiste encore François Grosdidier, « ce qui est gênant, ce sont les montants », « il y a peut-être d’autres prestations ».

Au-delà des révélations de la presse, pour le président du groupe LR, Bruno Retailleau, les événements soulignent l’utilité de la Haute assemblée dans cette affaire. « Si le Sénat n’était pas là, on aurait encore à l’Elysée un individu dans une relation ambiguë avec un oligarque russe. CQFD » lance le sénateur de Vendée.

La démission d’Ismaël Emelien à cause de la publication d’un livre, « un prétexte »

Hier, l’annonce par Ismaël Emelien, proche conseiller d’Emmanuel Macron, de son départ de l’Elysée en raison de la publication d’un livre, n’a fait que renforcer les questionnements. Le conseiller a été mis en cause dans l'affaire Benalla depuis que l'ex-chargé de mission a affirmé aux enquêteurs lui avoir transmis des vidéos obtenues illégalement auprès de la police, destinées à le disculper dans les violences du 1er mai. Ces images s'étaient retrouvées ensuite sur des comptes Twitter pro-Macron.

La sénatrice PS, Marie-Pierre de la Gontrie, a mis les pieds dans le plat sur Twitter, évoquant une future « mise en examen ».

Le livre n’est qu’« un prétexte » ajoute de son côté Patrick Kanner, président du groupe PS du Sénat. Pour Marc-Philippe Daubresse, ça fait beaucoup : « Un proche conseiller démissionne après qu’il est cité dans l’affaire Benalla, la cheffe de la sécurité du premier ministre qui s’en va, son compagnon fait l’objet d’une mesure de suspension, des contrats russes, pour lesquels Alexandre Benalla nous a dit sous serment, lors de son audition devant la commission d’enquête, qu’il n’était pas concerné… Il y a un double parjure qui se profile entre la société russe et sur son passeport diplomatique ».

Devant les sénateurs, Alexandre Benalla avait affirmé le 21 janvier n’avoir « jamais rencontré » Iskander Makhmudov (voir à 3'20 dans la vidéo ci-dessous). Il avait précisé également d’avoir jamais « contribué », ni n’avoir été « intéressé » au « moindre contrat » négocié par son ami Vincent Crase.

« Je n’avais aucun lien d’ordre professionnel avec une société de sécurité ou de défense », déclare Benalla
08:11

Le rapport de la commission d’enquête bientôt terminé

Les regards vont bientôt se tourner de nouveau vers la commission d’enquête du Sénat, présidée par le sénateur LR Philippe Bas. Les réunions continuent en interne. Les auditions sont analysées au plus près. « Nous travaillons, nous regardons tout. Nous avons procédé à 40 ou 50h d’auditions, sollicité l’envoi de très nombreux documents » raconte le sénateur PS Jean-Pierre Sueur, co-rapporteur de la commission d’enquête.

Les différentes déclarations des auditions ont même été transcrites dans de grands tableaux afin d’aider les sénateurs, épaulés des administrateurs du Sénat, à constater les contradictions. Les membres de la commission d’enquête veulent être le plus précis possible.

D’ici la publication du rapport, qui pourrait intervenir d’ici la fin du mois de février, le co-rapporteur de la commission d’enquête, le socialiste Jean-Pierre Sueur, reste prudent. « Les choses sont de plus en plus graves dans cette affaire » dit-il, après les dernières informations de Mediapart.

Faux témoignage

Mais le sénateur PS du Loiret constate déjà, qu’en présence de l’ancien chargé de mission de l’Elysée, l’appareil d’Etat a dérapé. « A partir du moment où Alexandre Benalla était considéré comme porteur d’une autorité particulière, beaucoup de personnes se sont mises à dysfonctionner, que ce soit à l’Elysée, au ministère de l’Intérieur, à la préfecture de police, au quai d’Orsay, dans les ambassades, peut-être à Matignon. Tout une série de choses se sont produites autrement que ce qui aurait dû se produire ». Il prend le cas du téléphone crypté classé « secret-défense », qu’Alexandre Benalla avait d’abord conservé : « Il part, on ne lui demande rien » souligne Jean-Pierre Sueur (voir la vidéo ci-dessous). « C’est un exemple mais je pourrais en citer 10 autres ».

Benalla : « Les choses sont de plus en plus graves dans cette affaire » selon Jean-Pierre Sueur
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Pour Patrick Kanner, cela ne fait pas de doute que la commission d’enquête demandera au bureau du Sénat de transmettre le dossier à la justice pour faux témoignage d’Alexandre Benalla. « Manifestement, il nous a menti mais pas qu’une seule fois », « Philippe Bas doit aller au bout de son investigation » pour le président de groupe PS, « si nous sommes intimement convaincus qu’il y a mensonge, nous devons demander à la justice de sanctionner Monsieur Benalla ».

« On peut aujourd’hui tout imaginer »

Les contrats russes amènent d’autres questions. « Comment quelqu’un d’aussi proche du Président, qui avait des fonctions de sécurité, a-t-il pu mener des affaires personnelles et personne n’était au courant ? » se demande Patrick Kanner, qui ajoute : « Je pense qu’Emmanuel Macron doit regretter les propos qu’il a tenus l’été dernier (…) quand il a dit « qu’ils viennent me chercher », c’est moi le responsable. Je suis convaincu qu’il n’y a pas de collusion, mais la prudence aurait été de mise ce soir-là ». « On se rend compte que beaucoup nous ont mentis. On peut aujourd’hui tout imaginer » lâche de son côté François Grosdidier, « la justice aura certainement à faire la lumière sur le volet des contrats russes ».

Devant les députés, lors des questions d’actualité au gouvernement, le premier ministre Edouard Philippe a souligné que « dans ces affaires, la justice est saisie » et « agit de façon totalement indépendante », alors que la tentative de perquisition dans les locaux de Mediapart a suscité l’émoi. « On laisse à penser que nous couvririons des choses, cacherions des choses, et bien non, il n’en est rien » a assuré le premier ministre en réponse à un député. Et d’ajouter : « La justice fait son travail. Si elle détermine que des actes illégaux ont été établis, elle prononcera des sanctions ».

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