Ce n’est pas tous les jours qu’un président de commission change de parti politique. Le centriste Jean-François Longeot, à la tête de la commission de l’aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, vient de prendre sa carte à Horizons, le parti créé par Édouard Philippe en 2021. L’annonce s’est faite jeudi dernier par la voix du délégué du département du Doubs, un mois après la venue de l’ancien Premier ministre à Besançon.
Pour le sénateur qui se présente comme « chiraquien », cette adhésion se fait dans le prolongement de son engagement politique, et de ses votes au Sénat ces dernières années. « J’ai soutenu Alain Juppé pour 2017. Et comme Édouard Philippe est dans la filiation d’Alain Juppé, il me paraissait important d’officialiser de ce que je pense depuis un moment », explique à Public Sénat Jean-François Longeot.
« Je suis dans la majorité sénatoriale », précise Jean-François Longeot
Le sénateur du Doubs assure que ce choix ne « change rien » concernant son positionnement au sein du Sénat. « Je suis bien à l’Union centriste. Je m’entends super bien avec Gérard Larcher, avec mon président de groupe Hervé Marseille. Je suis dans la majorité sénatoriale », insiste Jean-François Longeot. Le sénateur du Doubs n’est pas le premier dans son groupe à s’engager dans un parti membre de la majorité présidentielle au Parlement. Groupe pivot et pluriel au Sénat, ayant la particularité d’avoir à la fois un pied dans l’opposition et un pied dans la majorité présidentielle, l’Union centriste compte quelques membres du MoDem et, désormais, un troisième sénateur engagé chez Horizons.
En soutenant le maire de Havre, le sénateur place également son choix dans la perspective de 2027. « Même si Edouard Philippe appartient à la majorité présidentielle, c’est quelqu’un qui vient de la droite traditionnelle et qui est capable d’ouverture », justifie-t-il. Un élu de droite de la région ne se montre guère surpris de la décision du sénateur. « Jean-François Longeot était au RPR, puis à l’UMP, LR, puis au Parti radical, à l’UDI, et désormais chez Horizons. C’est sa marque de fabrique de changer si souvent. »
« Je vois des gens venir vers moi et me demander qui appeler », relate le sénateur Horizons Franck Dhersin
Dans le camp philippiste, cet épisode est plutôt symptomatique d’un mouvement plus profond. Ce ralliement pourrait être suivi par d’autres dans les mois à venir. Bien avant 2027, d’autres rendez-vous importants sont à préparer, en particulier les élections municipales de 2026, qui détermineront pour partie le résultat des sénatoriales quelques mois plus tard. Le Doubs fait d’ailleurs partie des départements renouvelables. À ce titre, le mouvement d’Edouard Philippe a eu l’occasion de progresser sensiblement lors des sénatoriales de 2023. Il compte désormais près d’une quinzaine de membres officiels ou sympathisants. Petite originalité au Sénat, ils sont présents dans trois groupes, les Indépendants de Claude Malhuret, leur base principale, mais aussi dans le groupe RDPI de François Patriat (Renaissance) ou encore l’Union centriste, comme nous l’expliquions. Plus de deux ans après sa création, le parti philippiste a surtout élargi son assise territoriale. Il revendique aujourd’hui le soutien de 450 maires et dispose de 1103 comités municipaux.
« Il y a beaucoup de sympathies sur tous les bancs », considère Emmanuel Capus, l’un des sénateurs Horizons du groupe Les Indépendants. « Je vois bien qu’il y a une inquiétude chez certains de mes collègues LR et centristes, qui se disent qu’ils n’auront pas de candidat en 2027. Le Sénat n’est pas une île, il ne peut pas vivre éternellement en dehors du monde politique nationale », analyse le sénateur du Maine-et-Loire, prudent toutefois sur la recomposition à court terme. « Les choses au Sénat se font très lentement. Le confort du groupe majoritaire est un frein à des rapprochements partisans pourtant évidents. » Sans citer de noms, Jean-François Longeot affirme que d’autres sénateurs aimeraient lui emboîter le pas. « J’ai reçu des messages me disant : bravo, ce n’est pas évident. »
Son collègue Franck Dhersin (Horizons), siégeant également au sein du groupe Union centriste, se montre convaincu que certains sénateurs sortiront du bois, une fois les européennes du 9 juin passées. « Les choses bougeront à partir de septembre, une fois qu’on aura tiré les leçons des européennes, avant de se lancer dans les municipales. » Et d’ajouter : « Edouard Philippe apparaît véritablement comme celui qui, demain, sera le seul capable d’empêcher Marine Le Pen d’arriver au pouvoir ». Ces derniers mois, Franck Dhersin affirme avoir été approché spontanément à plusieurs reprises par des sénateurs UC ou LR. Il raconte avoir mis en relation quelques-uns d’entre eux avec les Philippistes. « Je vois des gens venir vers moi et me demander qui appeler. Je mets en contact et je laisse la négociation se faire. » À titre personnel, le sénateur arrivé au palais du Luxembourg en septembre, estime que son étiquette « Horizons » a été décisive pour sa propre élection, dans un département, où les listes se sont multipliées.
Après les européennes, « le navire va plus que tanguer », redoute un sénateur LR
Ancien membre LR, poussé vers la sortie en raison de sa proximité avec la majorité présidentielle, le sénateur Jean-Pierre Grand (Horizons) appelle à un rassemblement entre Renaissance, le MoDem, Horizons et les Républicains partisans d’un rapprochement avec le centre. « Il y a des élections qui se profilent, notamment municipales. S’il n’y a pas de chapeau commun, il va y avoir beaucoup de déperdition », redoute-t-il. Pour le sénateur de l’Hérault, le symbole de l’adhésion de Jean-François Longeot « n’est pas neutre ». En mars, une nouvelle alliance avait déjà bousculé de vieux repères au Sénat : l’UDI a rejoint la liste présidentielle pour les européennes, prenant ses distances avec LR.
Un sénateur LR ne se fait guère d’illusions sur le fait que certains au sein de son groupe puissent être tentés par une entrée chez Horizons. « Forcément, si les résultats aux européennes sont mauvais, des gens vont se positionner autrement. Le navire va plus que tanguer », pressent-il. « Pour l’instant, il y a surtout de l’expectative. Des collègues se posent des questions, c’est bien naturel. On est dans une période politique perturbée. Macron a foutu un beau bordel. » Avant même les résultats de la liste de François-Xavier Bellamy, – créditée de 7 à 8 % dans les intentions de vote – la composition de la liste LR a déjà mis le feu aux poudres aux sein du groupe (relire notre article). « C’est plein de choses qui s’accumulent », observe de l’extérieur le centriste Franck Dhersin.
« Il y a en beaucoup qui se posent des questions et s’interrogent sur un rapprochement avec Édouard Philippe. Ils trouvent que la ligne portée par les Républicains se resserre sur elle-même, et qu’il n’y a pas de dynamique au sein du parti LR, sauf une spirale de défaite », constate également Agnès Canayer, rattachée aux Républicains. Elle aussi anticipe une « recomposition » après les européennes. « Plus on se rapprochera de 2027, plus certains voudront franchir le Rubicon », imagine cette proche d’Édouard Philippe avec qui elle siège au conseil municipal du Havre, sans toutefois avoir adhéré à Horizons.
Si certains LR pourrait prendre leurs distances avec le parti LR, l’éventualité de départs du groupe éponyme est néanmoins perçue comme une hypothèse plus fragile. « Bruno Retailleau a fait en sorte d’écouter tout le monde. Avec une ligne, il assume pleinement ses responsabilités de chef de groupe, mais il sait qu’il y a plusieurs sensibilités. Il a beaucoup de respect pour les idées de chacun », défend le sénateur LR Olivier Rietmann. « J’ai beaucoup d’estime pour lui. C’est un excellent président qui m’a toujours laissé une grande latitude pour mes voix », ajoute Agnès Canayer.
La diversité des sensibilités au sein du groupe LR pourrait être aussi sa faiblesse. Au sein de ce groupe de 133 membres, un sur quatre est apparenté ou rattaché administrativement, rendant de fait un départ vers d’autres structures potentiellement plus facile. La recomposition politique, entamée en 2017, n’est sans doute pas terminée au palais du Luxembourg.